LES SOURCES RELIGIEUSES, SCIENTIFIQUES ET PROFANES

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Arc-en-ciel

Parmi les trois phénomènes étudiés, l’arc-en-ciel44 est peut-être celui qui se distingue le plus : par sa « banalité » et aussi par sa signification, en règle générale, beaucoup plus positive que les éclipses ou les comètes. La définition donnée par l’Encyclopaedia Universalis45 le décrit comme le résultat de deux phénomènes physiques combinés qui sont la réflexion et la réfraction de la lumière solaire par des gouttelettes d’eau en suspension dans l’atmosphère. L’arc-en-ciel appartient à la famille des météores et des phénomènes atmosphériques directement perceptibles, autres que les nuages, au niveau du sol, dans la troposphère ou dans les couches plus élevées de l’atmosphère. Pline évoque ainsi l’arc-en-ciel dans la partie dite de « l’air et des phénomènes atmosphériques » (H.N, III, 147-153). Il s’agit pour lui d’un phénomène fréquent qui n’est ni merveilleux ni prophétique : il ne prédit même pas la pluie ou le beau temps avec certitude. Il l’explique comme étant un rayon solaire entré dans une nuée concave et renvoyé vers le soleil, finissant par se briser. Ses diverses couleurs sont dues au mélange des nuages, du feu et de l’air. Il ne se trouve jamais autrement qu’en opposition avec le soleil ni sous une forme différente d’un demi-cercle. Il n’y a jamais plus de deux arc-en-ciel à la fois et ils n’apparaissent jamais pendant la nuit. Ce dernier détail est en contradiction avec Aristote46 qui déclare qu’ils sont très rares et peu visibles mais qu’il arrive que certains arcs-en-ciel se forment pendant la nuit. De plus, Aristote propose une théorie sur les couleurs, réduites à trois : le rouge, le vert et le lilas. Les gouttelettes d’eau agissent comme autant de miroirs minuscules et invisibles qui ne deviennent distinguables que lorsqu’ils forment une quantité continue d’une même couleur. Il s’agit, selon lui, de l’intensité du flux visuel qui change la couleur ; donnant l’exemple du soleil qui apparaît rouge à travers la brume ou la fumée, ce qui expliquerait la couleur de la première bande de l’arc. Les couleurs se nuancent ensuite à cause de la noirceur des nuages par exemple. On retrouve la même idée chez Lucrèce : « Si le soleil alors, perçant la tempête obscure, éclaire de plein fouet l’aspersion des nuages, en leur noirceur jaillit la couleur de l’arc-en-ciel »47.
Sénèque confirme également la présence indispensable du soleil et d’un nuage pour former un arc-en-ciel48. En fait, le nuage tient lieu d’eau, nécessaire à la réfraction du soleil. Pour Sénèque, la définition de l’arc-en-ciel se présente ainsi : il s’agit d’une image du soleil se formant dans un nuage creux et chargé d’humidité. La définition n’évolue pas beaucoup par la suite puisqu’on trouve la suivante au XVIIIᵉ siècle49 : « Météore en forme d’arc de diverses couleurs qui paraît lorsque le temps est pluvieux dans une partie du ciel opposée au soleil et qui est formé par la réfraction des rayons de cet astre, au travers des gouttes sphériques d’eau dont l’air est alors rempli. Il y a souvent un deuxième arc dont les couleurs sont inversées par rapport au premier. L’ordre initial des couleurs est le suivant, du dedans au dehors : violet, indigo, bleu, vert, jaune, orangé, rouge. »
En revanche, l’étymologie rattache directement ce phénomène à sa signification symbolique : « ιρις, ιριδος ». D’après la définition du dictionnaire grec-français Bailly, le premier sens désigne l’iris ou l’arc-en-ciel, le météore. Par extension il s’agit d’un cercle coloré ou vaporeux autour d’un corps lumineux et enfin la partie colorée de l’œil.

La symbolique

Mais Ιρις est aussi le nom d’une déesse dont Hésiode, dans sa Théogonie dit qu’elle est la fille de Thaumas et de l’océanide Electra. Iris50 est la messagère des dieux et quelquefois considérée comme celle particulière de Junon. Elle apparait dans l’Iliade(XI, 27-28 ; XVII, 547-548…) et dans L’Eneide. L’arc-en-ciel est le plus souvent un de ses attributs, qui lui sert de pont entre l’Olympe et le monde des humain ; mais quelquefois, le météore est la personnification de la déesse. Ainsi dans le cadre d’un récit mythologique, la figuration de l’arc-en-ciel est celle de la déesse messagère des dieux. Dans le contexte biblique, on peut se référer de nouveau au Dictionnaire de la Bible51 selon lequel l’arc-en-ciel serait l’arc de Dieu. On retrouve cette idée lorsque l’arc-en-ciel apparaît à Noé après le déluge comme le signe de son alliance avec Dieu : ce dernier le désigne comme « son arc ». Cette conception de l’arc diffère de celle de certaines religions où l’arc-en-ciel est l’arme des dieux. Quoiqu’il en soit cela suppose que Dieu est l’auteur et le maitre de ce phénomène. Il s’agit d’un signe particulier dans certaines circonstances, comme le déluge, un signe universel, pris dans la nature pour désigner l’ensemble des hommes avec qui il scelle son alliance (Genèse. X, 12-18) : « Et Dieu dit : « Voici le signe de l’alliance que j’institue entre moi et vous et tous les êtres vivants qui sont avec vous, pour les générations à venir : je mets mon arc dans la nuée et il deviendra un signe d’alliance entre moi et la terre. Lorsque j’assemblerai les nuées sur la terre et que l’arc apparaitra dans la nuée, je me souviendrai de l’alliance qu’il y a entre moi et vous et tous les êtres vivants, en somme toute chair, et les eaux ne deviendront plus un déluge pour détruire toute chair. Quand l’arc sera dans la nuée, je le verrai et me souviendrai de l’alliance éternelle qu’il y a entre Dieu et tous les êtres vivants […] ». Dieu dit à Noé : « Tel est le signe de l’alliance que j’établis entre moi et toute chair qui est sur terre ».
L’arc-en-ciel envoyé avec un nuage rempli d’une légère rosée contrastant avec les pluies terribles du déluge, Dieu signifie par là que les pluies à venir ne seront plus à craindre. L’arc-en-ciel apparaît dès lors dans les visions célestes comme un des principaux ornements du trône de Dieu. On trouve également la mention de l’arc comme délimitant le ciel d’une manière sacrée : « Vois l’arc et bénis celui qui l’a fait. Qu’il est beau dans sa splendeur ! Il entoure le ciel de son cercle de gloire, les mains du Très-Haut l’ont ouvert. »( L’Ecclésiastique, XLIII, 12-13).
On peut d’ores et déjà voir ici la possible explication de certaines représentations d’arc-en-ciel « à l’envers » délimitant un arc de cercle dans le ciel, espace sacrée où se trouve Dieu le Père ou la colombe du Saint Esprit. Néanmoins, si l’arc dans le contexte du Déluge signifie la bienveillance divine, il signifie aussi sa puissance. On peut le voir à travers les représentations du Christ en majesté, lors du Jugement Dernier ou encore à travers les chevaliers de l’Apocalypse, souvent figurés sur un arc-en-ciel.
Les Grecs considéraient l’arc-en-ciel comme un heureux présage, comme la plupart des peuples de l’Antiquité qui voyaient cette manifestation céleste comme la face réjouie des dieux. Depuis, dans le folklore populaire, l’arc-en-ciel est l’objet de nombreux proverbes, liés à l’enrichissement pour certains (comme celui qui dit qu’à l’autre pied de l’arc on trouvera de l’or). On le considère le plus souvent avec sympathie, ce qui explique ses nombreux surnoms, en particulier celui de « couronne » qui est utilisé à la fois en référence à la couronne du Christ ou des martyrs mais aussi en référence à l’auréole des saints, renvoyant à un divin lumineux52. La dimension divine est tellement prégnante que lorsque apparaissent deux arcs-en-ciel, on dit que le deuxième est une pâle copie faite par le Diable voulant se mesurer à Dieu. Toutefois, de nombreuses croyances profanes s’y rattachent aussi : on croit que c’est une sorte d’animal (de serpent ?) qui vient pomper l’eau d’un cours d’eau. On parle presque partout de ses pieds, jambes, queue, qui baignent dans l’eau. On dit même qu’on ne le verrait jamais s’il n’était pas obligé de descendre sur terre pour s’abreuver. Mais dans le folklore, l’arc-en-ciel n’est pas toujours un signe positif : on croit par exemple que s’il touche un arbre, il le dessèche ou qu’il détruit les récoltes ; que si un navire passe là où il est en train d’aspirer de l’eau, il peut être emporté avec elle, ou encore que si quelqu’un passe sous l’arc, il risque de changer de sexe. La vieille croyance faisant de lui un être animé pousse certains à « couper l’arc-en-ciel » par des gestes et formules destinées à conjurer le mauvais sort.
On peut donc remarquer que malgré son apparence plus tranquille et moins mystérieuse que les deux autres phénomène auxquels il est associé, l’arc-en-ciel n’en demeure pas moins un météore ambigu dont l’ambivalence se révèle au niveau des différentes significations qu’il peut revêtir.53

ÉTAT DES CONNAISSANCES SCIENTIFIQUES JUSQU’AU XVIᵉ SIÈCLE

Les auteurs antiques tels Pline l’Ancien ou Sénèque, ont été nombreux à se pencher sur les phénomènes célestes aussi bien pour tenter de les expliquer que pour les relier à des croyances multiples ou les en détacher. Les connaissances scientifiques liées aux éclipses, comètes et arc-en-ciel sont donc au cœur des préoccupations des Anciens et vont continuer à l’être à l’âge moderne. Dans cette partie, nous donnerons un rapide panorama de l’évolution des connaissances scientifiques depuis l’Antiquité jusqu’au XVIᵉ siècle tout en mettant en parallèle la persistance des superstitions et des peurs suscitées par ces phénomènes.

Antiquité et Moyen-Age

On sait que c’est à partir de l’Amalgeste de Ptolémée au IIᵉ siècle après J.C, que le calcul des éclipses devient possible. Au milieu du IXᵉ siècle, l’astronome arabe Al-Battani conclue à la variation du diamètre apparent du soleil et donc à la possibilité d’éclipses de soleil annulaires. La méthode de Ptolémée sera d’ailleurs reprise pour une grande partie par Copernic. Les observations des éclipses faites par les Babyloniens, connues par les tablettes en écriture cunéiforme, est une des sources principales de l’histoire des éclipses et a servi de base aux études ultérieures. Selon Pline (H.N, II), le premier romain qui divulgua la théorie des éclipses du soleil et de la lune est Sulpicius Gallus, tribun militaire au VIᵉ siècle. Racontant sa première prédiction officielle d’une éclipse la veille du jour de la victoire de Paul-Émile sur le roi Persée, Pline insiste sur la notion de crainte qui se propage chez les soldats à l’annonce de l’éclipse à venir : « sollicitudine exercitu liberato »54. Il procède de la même manière en ce qui concerne les Grecs, établissant que les premières recherches concernant les éclipses datent de Thalès de Milet qui, dans la 4ᵉ année de la 48ᵉ Olympiade, prédit l’éclipse de soleil qui eut lieu sous le règne d’Alyatte, en l’an 170 de Rome (soit en 584 av. J.C.). Plus tard Hipparque prédit pour 600 ans les éclipses des deux astres. Les anecdotes concernant l’apparition d’éclipses remarquables se retrouvent chez de nombreux auteurs classiques tels Pline dans son Histoire Naturelle, Plutarque dans sa Vie d’Alexandre (livre XXXI) ou encore Quinte-Curce dans La vie d’Alexandre le Grand (livre IV). On note le même phénomène concernant les comètes. D’après Théophraste, disciple d’Aristote, l’appellation « astre chevelu » aurait une origine égyptienne, ce qui se révèle paradoxal vu qu’on ne trouve trace d’aucune mention de comète dans la littérature égyptienne. Cela conduit à penser que les Égyptiens devaient probablement les considérer comme des phénomènes atmosphériques. Au contraire, les Chaldéens croyaient que les comètes étaient d’autres planètes, des étoiles qui se seraient éloignées et qui seraient devenues visibles en approchant momentanément55. C’est chez Sénèque que l’on trouve finalement la plus grande modernité puisque, pour lui, les comètes sont comme des planètes ayant un cycle propre et un mouvement périodique. De plus, dans son livre V (qui correspond au livre I dans l’édition telle qu’on l’a connait) des Questions Naturelles56, il traite des phénomènes qui apparaissent dans le voisinage de la terre, qui sont inoffensifs et pas périodiques, comme les arcs-en-ciel. Ces phénomènes se trouvent ainsi distingués, par exemple, des comètes qui sont considérées comme des corps célestes dont le cours est régulier. Cependant, Aristote fera autorité jusqu’à Tycho Brahé (en ce qui concerne les arcs-en-ciel, il faudra d’ailleurs attendre jusqu’au XVIIᵉ siècle pour avoir une théorie exacte pour expliquer le phénomène).
Au Moyen-âge, l’intérêt pour les travaux sur l’optique poussera des savants comme Alhazen (Ibn al-Haytham) dans son Traité sur l’optique à étudier les phénomènes d’arc-en-ciel, comètes ou éclipses. Pourtant un tel ouvrage n’aura véritablement d’impact qu’au XVIᵉ siècle lors de sa publication en latin en 157257. Il servira alors de modèle à Kepler, notamment. On constate donc qu’il y a une tentative de la part des auteurs antiques de distinguer croyance et savoir concernant ces phénomènes mais cette distinction semble n’avoir eu que peu d’échos au sein de la société, mis à part peut-être dans une élite très fermée. Le manque de succès d’une rationalisation des éclipses, comètes et arc-en-ciel peut s’expliquer en comparant les divers ouvrages ayant traité ce sujet : bien que se concentrant tous sur l’aspect scientifique de ces phénomènes, ils font toujours allusion à un ou plusieurs événements précis que leurs contemporains mettent en relation à une éclipse, une comète ou un arc-en-ciel. Même s’il s’agit par la suite de les démentir, de telles croyances, se trouvent systématiquement imbriquées au sein des raisonnements scientifiques, formant ainsi un ensemble homogène et peu à peu indissociable entre les observations scientifiques et les superstitions. De telles extrapolations se retrouvent jusqu’au XVIᵉ siècle et même encore de nos jours. Toutefois, pour revenir au proprement scientifique, et déjà effectuer une brève incursion dans le domaine de la représentation, on remarque que, dès Aristote, existe une classification des comètes par leur forme. Cet état de connaissance perdure ainsi jusqu’au XVIᵉ siècle qui va véritablement révolutionner la vision du ciel et de ses phénomènes à travers les travaux d’astronomes devenus depuis des références tels Copernic, Tycho Brahé ou encore Kepler.

La Renaissance

Bien que le XVIᵉ siècle soit la période ciblée, il nous faut remonter au XVᵉ siècle où savants et astronomes ont produit des traités d’observation ou encore des calendriers et autres éphémérides tels Regiomontanus avec son Calendarium58 et où on publie l’œuvre de Sacrobosco59. C’est à partir de leurs travaux que les astronomes du XVIᵉ vont mener leurs recherches. Si de nombreuses découvertes sur la cosmographie ne concernent pas directement les trois phénomènes sujets de cette étude, on se doit au moins de les citer car ils dominent longtemps le discours « des choses célestes ». Parmi ces nouveautés, Copernic (1473-1543) et son rejet du système géocentrique de Ptolémée qui faisait autorité depuis le IIᵉ siècle. Cependant, si ressortir la vieille hypothèse de l’héliocentrisme, d’un Archimède (287-212 av. J.C.) pas encore traduit en latin, devait avoir par la suite des conséquences gigantesques, la publication du De Revolutionnibus Orbium Coelestium de Copernic paru à Nuremberg en 154360, tomba dans une indifférence presque générale et n’eut donc aucune influence sur les représentations du XVIᵉ siècle en ce qui concerne la cosmographie. En effet, il y eut un rejet du système de Copernic qui impliquait la remise en cause traumatisante des Écritures en niant à l’homme sa position centrale au sein de l’univers, traumatisme dont, plus tard, le procès de Galilée (1564-1642) fournira un des exemples les plus parlant. Ce contexte conduisit par exemple Tycho Brahé à établir un système intermédiaire entre celui de Ptolémée et celui de Copernic, plaçant la Terre au centre, la Lune et le Soleil tournant autour d’elle et les cinq planètes tournant autour du Soleil. Mais Tycho Brahé et ses observations concernent plus particulièrement les comètes. En effet, en aout 1576, il se voit concédé, par Frédéric II du Danemark, l’ile de Hven afin d’y construire ce qui allait devenir le plus grand observatoire antérieur à l’avènement des instruments optiques. Cet observatoire sera d’ailleurs baptisé « Uraniborg », ce qui signifie : « Cité du ciel ». Il avait déjà ébranlé la théorie de l’immutabilité du ciel selon la doctrine aristotélicienne en 1572, lorsqu’il avait observé l’apparition d’une nouvelle étoile dans la constellation de Cassiopée et, en 1577, il recommencera en observant à partir de Uraniborg, la fameuse comète dont le déplacement devint la preuve que les sphères matérielles de cristal censées départager le ciel n’existaient pas. De même, Aristote s’était trompé en affirmant que les comètes étaient des objets sublunaires : celle de 1577 traversa le système solaire bien au-delà de l’orbite lunaire et même au-delà de l’orbite de Venus. Il créa également ses propres tables astronomiques grâce à de nouveaux instruments plus précis car celles de ses prédécesseurs avaient été déclarées fausses. A la mort de Frédéric II, il n’eut plus de soutien financier et dut aller s’installer à Prague où il fut rejoint en 1600 par un jeune assistant : Johannes Kepler (1571-1630). Leurs travaux communs apporteront encore davantage de précisions concernant les théories du Soleil et de la Lune. De leur côté, Petrus Apianus et l’humaniste et médecin Girolamo Fracastoro (1483-1553) observent, en 1531, que les queues des comètes sont opposées au soleil.
Même si les tables prévoyant les éclipses à l’avance existent depuis le Moyen-âge, on assiste au XVIᵉ siècle, suite à cette floraison de nouvelles théories de plus en plus précises, à la multiplication de publications d’éphémérides en Europe. La multiplication des éditions de livres d’astrologie et d’astronomie à Lyon au XVIᵉ siècle permet de se rendre compte de l’impact et de la diffusion de ces découvertes au sein de la société61 : les idées nouvelles sont déjà présentes au XVᵉ siècle avec le cardinal Nicolas de Cusa (1401-1464), auteur d’une cosmologie, ou encore avec la publication des tables de Regiomontanus. Mais le XVIᵉ siècle représente une période capitale puisque l’on assiste à la remise en question des théories grecques datant d’Aristote. Lyon est considérée comme le poste d’avant-garde intellectuelle européenne étant donné l’absence d’université pour censurer les idées nouvelles. Cet état de fait expliquerait la concentration de publication de livres d’astronomie et d’astrologie (bien souvent liés), ce qui explique que l’on retrouve parmi les imprimeurs férus de ce genre d’ouvrages, de grands imprimeurs lyonnais comme Benoist Rigaud ou encore la famille des De Tournes. De même, MM. Thornton et Tully, auteurs d’une bibliographie concernant les publications des livres scientifiques considèrent la publication d’almanachs comme une des plus importantes sources de profit pour les libraires62. La publication de pamphlets narrant des phénomènes anormaux, des passages de comètes, présages de calamités ou encore des pronostications populaires se multiplient à la fin du XVᵉ siècle et tout au long du siècle suivant. En parallèle, continuent à fleurir des ouvrages sérieux, s’appuyant ou dissertant sur les nouvelles théories du moment. C’est le cas de Antonio Brucioli qui, dans son dialogo XVIII : Della macula della luna e della causa degli eclypsi del sole, e della luna, inventorie les diverses opinions de son temps à propos des éclipses avant de donner finalement sa définition : « …certi dicono essere causa alcuno corpo interposto fra noi e quella […] Altri dicono che simile oscurità apparente in questo pianeta, è una certa similitudine di alcuno corpo, come della Terra, o del Mare… » (certains disent que la cause est un corps interposé entre nous et la lune […] d’autres disent qu’une semblable obscurité apparente sur cette planète est la ressemblance d’un autre corps comme la terre, ou la mer…)63.
Il procède de la même manière dans son dialogo XXIII : Della Cometa, à propos des comètes : « Fui chi teneva che le comete fussino molte stelle congregute […] Un’altra oppinione vi fu d’uno nostro amico che diceva la cometa essere una delle stelle errante… » (Il y a ceux qui pensent que les comètes sont une agrégation de plusieurs étoiles […] une autre opinion émane d’un ami qui disait que la comète était une étoile errante) .
De même, Girolamo Cardano (1501-1576), médecin milanais, qui consacre une partie de son ouvrage principal aux comètes64, donne entre autre la définition suivante : « il appert comete etre un globe constitué au ciel, laquelle enluminee du soleil est veue : et quand les raisons passent outre, ils forment l’effigie d’une barbe ou d’une queue. »
Il explique également que, selon lui, les comètes se manifestent quand l’air est sec et « atténué ». Il met ainsi en garde ceux qui seraient tentés de croire aux pronostications et autres croyances : « De ce il avient que quand l’air est sec, les mers soient moult agités de tempetes, et que les grans soufflements des vents souvent succedent, et que les princes et seigneurs qui sont secs par soing vigiles, viandes odoriferent et puissant vin, meurent. Pour cette cause aussi aviennent la diminution des eaux, la mort des poissons, les stérilités, la mutation des lois et les séditions aussi pour cette cause les royaumes sont subvertis ; lesquelles choses toutes sont faites, comme j’ai dit, par grande ténuité et secheté en sorte que la comete en peut etre le signe et indice, non pas la cause. »
On voit bien dans ce cas-là la volonté de trancher nettement entre explications scientifiques et superstitions. Il s’agit d’utiliser les nouvelles connaissances scientifiques afin justement de combattre les superstitions. Un peu plus loin, on observe la même démarche à propos de l’arc-en-ciel : « telles que tu vois les couleurs et là où tu les vois le Soleil present, ton compagnon ne les verra totalement : ou il les verra differentes, ou non en même lieu, pource qu’elles sont de vraies couleurs, mais seulement elles procedent par le moien du regard de l’œil. Dont il avient que je m’emerveille de ceus qui affirment que l’arc au lieu où il s’est assis, rend les plantes odorantes principalement si naturellement elles sont enclines à sentir bon (laurier, genevre, myrte) : je crois que c’est plutôt la cause, que j’ai dite pourquoi la bonne terre apres les secheresses sent bon quand la pluie survient. Car qui est-ce qui a vu l’arc celeste etre assis sur un arbre? ».
64 Girolamo Cardano, Les livres de Hierome Cardanus, médecin milannois, intitulés De la Subtilité, et subtiles inventions, ensemble les causes occultes, et raisons d’icelles, trad. par Richard Le Blanc, Paris, Guillaume Le Noir, 1556.
On perçoit l’ironie d’un homme qui se veut scientifique et qui tente, par des explications rationnelles et pragmatiques, de désamorcer les croyances de ses contemporains. Comme on l’a vu, Cardano n’est pas le premier à faire de tels efforts : depuis l’Antiquité, le constant mélange entre sciences et superstitions permet aux peurs de demeurer toujours très présentes dans les mentalités.

Des superstitions qui perdurent

En dépit de l’évolution des connaissances concernant les phénomènes célestes, les superstitions et croyances ne disparurent pas pour autant65. Dès l’Antiquité, Pline relate les craintes suscitées par les comètes : « Ce sont des astres qui en général sèment la terreur et ne cèdent pas à des expiations légères[…] On attache beaucoup d’importance aux régions vers lesquelles la comète s’élance, à l’étoile dont elle subit l’action, aux formes qu’elle imite et aux lieux de son apparition… » (HN, II, 93-95)66.
Les mots de Pline pourraient s’appliquer au XVIᵉ siècle. La forme, le lieu et la direction de la comète servent d’indicateur , de pronostications, de présages divers et variés. Cette interprétation des phénomènes en tant que signes se trouve également dans la Bible, ce qui a certainement dû conforter les hommes dans leur croyance : éclipse et comète apparaissent dans l’Apocalypse comme des signes célestes, annonciateurs de catastrophes. De cet arrière-plan apocalyptique, elles restent à jamais associées à des images de fin du monde.

Le buste d’Auguste à la comète

Cependant la comète peut être parfois un bon présage, telle celle associée à la figure d’Auguste, comme le raconte Pline : « Au cours de la célébration de mes jeux, une comète fut visible durant sept jours, dans la région septentrionale du ciel. Apparue vers la onzième heure du jour, elle était éclatante et visible de toutes les parties de la terre. Cet astre annonçait, suivant la croyance générale, que l’âme de César était reçue au nombre des puissances divines immortelles; et à ce titre une comète fut ajoutée au buste de César que nous consacrâmes peu de temps après sur le forum. »
Le portrait en buste de César surmonté de la comète est une image frappante. On la retrouvera sur les médailles, nous le verrons67. Ainsi,on représente la comète moins pour elle-même que pour le présage qu’elle renferme. La figuration de la comète est donc directement attachée à l’événement et/ou à la personne concernés. Ce récit de Pline est un bon exemple de la manière dont on joue sur les croyances populaires pour manipuler l’opinion. Pline ajoute après le discours d’Auguste : « Ainsi s’exprima-t-il à l’usage du public; en secret il se réjouissait d’une autre interprétation : la comète était née pour lui et c’est lui qui naissait en elle ; et à parler vrai, ce fut un bonheur pour la terre. »

Table des matières

INTRODUCTION
LES PHÉNOMÈNES
A. DÉFINITIONS ET SYMBOLIQUE DANS LES SOURCES ÉCRITES
1) Éclipse
2) Comète
3)Arc-en-ciel
B. ÉTAT DES CONNAISSANCES SCIENTIFIQUES DEPUIS L’ANTIQUITÉ JUSQU’AU XVIᵉ  SIÈCLE
1) Antiquité et Moyen-Age
2)La Renaissance
3) Des superstitions qui perdurent
C. NAISSANCE ET DEVENIR D’UNE ICONOGRAPHIE
1) Les premières représentations
2) Le Moyen-âge
3) L’objet de la représentation. Un premier bilan
LES SOURCES RELIGIEUSES, SCIENTIFIQUES ET PROFANES
A. LE CADRE RELIGIEUX
1) Religion et astronomie
2) Bibles illustrées et livres d’heures
3) Fresques, retables, peintures
B. LE CADRE SCIENTIFIQUE
1) Traités d’astronomie
2) Cosmographies et autres sommes explicatives
3)Observer les comètes : dessins et gravures
C. LE CADRE PROFANE
1)Almanachs, pronostications, canards
2)Emblématique et numismatique
3)Chroniques, Mémoires et Histoires
QUESTIONS DE REPRÉSENTATION
A. MODES ET FORMES DE REPRÉSENTATION
1) Comète : étoile, épée de feu ou visage hirsute?
2) Nombres et couleurs dans l’arc-en-ciel
3) Éclipse figurée, suggérée ou occultée
B. LE GESTE DE LA REPRÉSENTATION
1)Norme iconographique
2)Schémas explicatifs et didactiques
3) Illustration d’une observation effective ou fictive
C. LE DISCOURS DES IMAGES
1)Mise en oeuvre et symbolique
2)Découvertes astronomiques et Religion
3) L’exploitation politique et religieuse des phénomènes et de leurs images
CONCLUSION
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
INDEX

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