Les substances antifongiques

Les recherches sur l’activité antifongique chez les bactéries lactiques n’ont commencé qu’à la fin des années 50 et au début des années 60, avec Guillo (1958) qui élabora un produit actif contre Candida albicans par Lactobacillus acidophilus, et Marth et Hussong (1963) qui ont testé le filtrat de Leuconostoc citrovorum ayant une activité antibactérienne sur quatre espèces de levures : Saccharomyces cerevisiae, S. fragilis, Glutinis Torula et Mycotorula lipolytica, mais tous les filtrats ont été jugés inactifs. Collins et Hardt (1980) ont constaté que le filtrat stérilisé d’une culture de Lb. acidophilus a pu légèrement retarder la croissance de C. albicans par rapport au bouillon fraîchement préparé. Wiseman et Marth (1981) ont démontré l’inhibition d’Aspergillus parasiticus par Streptococcus lactis C10, sans identification de la molécule inhibitrice. Actuellement, plusieurs équipes de recherche ont pu identifier les substances antifongiques produites par les bactéries lactiques , ainsi que l’effet synergique de l’acétate de sodium contenu dans le milieu de culture avec les acides organiques produits par ces bactéries (Stiles et al., 2002). Outre que les métabolites antifongiques, la compétition nutritionnelle a été prouvée aussi comme un obstacle antifongique (Bayrock et Ingledew, 2004).

Les acides organiques

Les principaux métabolites impliqués dans les activités antagonistes sont des acides organiques. L’acide lactique est le principal produit de la fermentation par les bactéries lactiques. C’est un produit majoritaire issu de la fermentation, mais d’autres acides organiques principalement acétique, formique, propionique, ou encore, caproïque et benzoïque sont également produits (Noda et al., 1980 ; Kuwaki et al., 2002).

L’acide lactique et l’acide acétique ont été les principales substances antifongiques produites par Leuconostoc citreum et Weissella confusa, ces acides organiques ont été capables d’inhiber la croissance de Cladosporium sp. YS1 et Penicillium crustosum YS2 à des concentrations supérieures à 17.5 mM (Baek et al., 2012). Le mécanisme d’action dépend du pH et de leur constante acide de dissociation (pKa), qui détermine leur forme dissociée ou non dissociée à un pH donné. Lorsque le pH est inférieur ou égal à son pKa, un acide est sous sa forme non dissociée (Gerez et al., 2010 ; Blagojev et al., 2012). La forme non dissociée de ces molécules lipophile, leur permettent de diffuser à travers la membrane plasmique et de pénétrer la cellule, dans laquelle le pH plus basique, favorise la dissociation de ces acides. Les protons accumulés dans le cytosol diminueront le pH de ce dernier et permettent ainsi d’inhiber les principales activités métaboliques de la glycolyse (Mollapour et Piper, 2008 ; Blagojev et al., 2012). Les bactéries lactiques peuvent produire un mélange d’acides organiques lors de la fermentation, y compris l’acide n-valérique, caproïque, formique et butyrique, le mélange produits par Lb. sanfrancisco CB1, agit de manière synergique (Corsetti et al., 1998). Le mélange aussi de l’acide lactique avec une substance de masse moléculaire de 83 non identifiée, agit de manière synergique et provoque des malformations au niveau du mycélium et conidie (Mandal et al., 2013).

L’ajout de 5 % de surnageant de Lb. brevis PS1 contenant des acides organiques et des protéines, dans le milieu de culture retarde la croissance de tube germinatif de Fusarium culmorum, par contre une quantité de 10 % l’inhibe totalement (Mauch et al., 2010). L’acide phényllactique est un acide organique faible, produit par certaines espèces lactiques comprenant le genre Lactobacillus en parallèle avec l’acide hydroxyphényllactique, à partir de la phénylalanine. Cet acide possède des propriétés antifongiques (Valerio et al., 2004 ; Corsetti et Valmorri, 2011).

Le catabolisme des acides aminés chez les bactéries lactiques est initié par une réaction de transamination qui requiert la présence d’un α-kéto acide comme accepteur pour le groupement amine (Ndagano, 2011). La phénylalanine subite une réaction de transamination par une aminotransférase, la glutamate déshydrogénase, au cours de laquelle le groupement amine de la phénylalanine est transféré à l’α-kétoglutarate et le groupement cétone de ce dernier est transféré à la phénylalanine. Cette réaction génère la formation du glutamate et du phénylpyruvate ou acide phénylpyruvique. Celui-ci est ensuite converti en acide phényllactique par une lactate déshydrogénase (Mu et al., 2012). Lb. plantarum MiLAB 393 produit l’acide 3 phényllactique (Ström et al., 2002). Mais seules de fortes concentrations seront actives contre les levures et les moisissures [concentration minimale inhibitrice comprises entre 2.5 et 7.5 mg/ml] (Sjögren, 2005 ; Armaforte et al., 2006 ; Valan Arasu et al., 2013). Lb. plantarum 21B produit l’acide phényllactique et 4 hydroxyphényllactique (Lavermicocca et al., 2000). L’acide phényllactique inhibe l’enzyme phénylalanine déshydrogénase qui à partir de la phénylalanine génère de la pyridine intervenant dans la synthèse des nucléotides, possède une structure similaire à la phénylalanine déshydrogénase lui permettant de mimer le substrat originel et sa structure chimique est semblable à d’autres composés antifongiques, tels que la Phénylalanine-Proline et la Phénylalanine-4-OH-Proline (Ström et al., 2002 ; Ström, 2005). Certaines études mettent en évidence les propriétés antifongiques des acides gras et des acides gras hydroxylés (Sjögren et al., 2003). Les acides gras, produits par les bactéries lactiques à partir des lipides, mais également à partir des acides aminés (Ganesan et al., 2004). Leur mécanisme d’action n’est pas connu, mais il est supposé qu’ils altèrent la fluidité des membranes et la composition des lipides, ou bien encore qu’ils interfèrent avec la germination des spores (Ström, 2005 ; Black et al., 2013b). Lb. plantarum MiLAB 393 produit les acides 3-hydroxydécanoïque, 3-hydroxydodécanoïque, 3-hydroxytétradécanoïque et 3-hydroxy-5-cis-dodécanoïque (Magnusson, 2003 ; Sjögren et al., 2003). Ces acides gras 3-hydroxylés ont des concentrations minimales inhibitrices de l’ordre de 10 à 100 μg/ml contre plusieurs levures et moisissures (Magnusson et al., 2003 ; Sjögren et al., 2003 ; Broberg et al., 2007). Les bactéries lactiques peuvent dégrader la leucine en acide 2-hydroxy-4-méthylpentanoïque, cet acide a été détecté dans le surnageant de Lb. plantarum VE56 et W. paramesenteroides LC11. L’effet inhibiteur provoqué a été fait par les baisses d’expression des gènes impliqués dans la formation des spores (brlA), mais en même temps, le surnageant de culture active la voie de signalisation FadA/PkaA, dont le PkaA régule négativement les expressions de brlA (Ndagano, 2011 ; Ndagano et al., 2011).

Le peroxyde d’hydrogène 

Les bactéries lactiques ne possèdent pas de catalase, elles ne peuvent pas dégrader le peroxyde d’hydrogène, produit en croissance aérobie grâce à des flavoprotéines oxydases, à des NADH peroxydases, NADH oxydases ou α glycérophosphate oxydases (Condon, 1987). Le peroxyde d’hydrogène produit par Lb. acidophilus G/12A et G/26/2 et Lb. helveticus HY7801 inhibe la croissance de C. albicans par oxydation des lipides membranaires et des protéines cellulaires (Strus et al., 2005 ; Blagojev et al., 2012 ; Hyun-Min et al., 2012).

Les bactériocines

Les bactériocines sont des peptides synthétisées par les ribosomes entre la fin de la phase exponentielle de croissance et le début de la phase stationnaire. Elles représentent une large classe de substances qui diffèrent suivant leur poids moléculaire, leurs propriétés biochimiques, leurs cibles et leur mode d’action. Le classement des bactériocines produites par les bactéries lactiques porte le nom de « classification de Klaenhammer» . Cette classification se base sur la structure de la bactériocine (Klaenhammer, 1993 ; O’Keeffe et Hill, 1999). Les classes majeures de bactériocines produites par les bactéries lactiques sont les suivantes:
• Classe I : Les lantibiotiques : Le nom lantibiotique est une abréviation pour désigner un peptide antibiotique qui contient une lanthionine, de poids moléculaire inférieur à 5 kDa.
• Type A : Comprend les peptides linéaires flexibles, comme la nisine.
• Type B : Comprend les peptides globulaires, qui sont soit non chargés ou chargés négativement.
• Classe II : Les protéines de faibles poids moléculaire (<10 kDa) et stables à la chaleur.
• Classe IIa : «Pediocin-like bacteriocins» , ce nom fait référence à la première bactériocine découverte dans cette classe.
• Classe IIb : «Two-peptide bacteriocins» La lactococcine G (Len-α) et (Len-β) fut la première bactériocine de cette classe.
• Classe IIc : Sont des bactériocines cycliques dont les extrémités N-terminale et C-terminale sont liées de manière covalente.
• Classe IId : Sont des peptides linéaires non cycliques.
• Classe III : Sont des protéines de hauts poids moléculaire et sensibles à la chaleur, dont la masse moléculaire est supérieure à 30 kDa.
• Classe IV : Sont des protéines complexes dont l’activité requiert l’association de carbohydrates ou de moitiés lipidiques (Nissen-Meyer et al., 2009 ; Nissen-Meyer et al., 2010 ; Stoyanova et al., 2012).

Les composés protéiques antifongiques ont pour caractéristiques d’être des peptides de faibles poids moléculaire (environ 3 à 4 kDa) et même de poids moléculaire élevé (environ 43 KDa) ; sensibles aux enzymes protéolytiques telles que la protéinase K et la trypsine ; stables ou non stable à la chaleur et au stockage, actifs en présence de l’acide lactique non dissocié à pH 3 et 6, d’autres actifs à pH 11 (Magnusson et Schnürer, 2001 ; Atanassova et al., 2003 ; Coda et al., 2008 ; Falguni et al., 2010 ; Shekh et Roy, 2012 ; Ahmed rather et al., 2013).

Table des matières

Introduction
Chapitre I
I.1. Les bactéries lactiques
I.2. La recherche de l’activité antifongique
I.3. Les lactobacilles et l’inhibition fongique
I.4. Les substances antifongiques
I.4.1. Les acides organiques
I.4.2. Le peroxyde d’hydrogène
I.4.3. Les bactériocines
I.4.4. Les dipeptides cycliques
I.4.5. La reutérine
I.4.6. Le diacétyle
I.5. Facteurs affectant la production et l’activité des substances antifongiques
I.6. La biopréservation
I.6.1. La biopréservation des céréales et ses dérivés
I.6.2. La biopréservation des produits laitiers
I.6.3. La biopréservation des fruits et légumes et ses dérivés
I.6.4. La biopréservation de la viande et ses dérivés
I.6.5. La biopréservation de l’ensilage
I.7. Les avantages de l’application des bactéries lactiques
I.8. Les bactéries lactiques et les mycotoxines
I.8.1. Généralité sur les mycotoxines
I.8.2. Les interactions entre les bactéries lactiques et les mycotoxines
I.8.2.1. La stimulation
I.8.2.2. L’inhibition
I.8.2.3. La dégradation
I.8.2.4. La liaison
I.8.2.4.1. La liaison de l’ochratoxine A
I.8.2.4.2. La liaison de l’aflatoxine B1
I.8.2.4.3. La liaison de l’aflatoxine M1
I.8.2.4.4. La liaison de la patuline
I.8.2.4.5. La liaison de la zéaralénone
I.8.2.4.6. La liaison de la beauvericine
I.8.2.4.7. La liaison des trichothécènes et des fumonisines
Chapitre II
II. Matériels et méthodes
II.1. Echantillonnage
II.2. Isolement des bactéries lactiques
II.3. Les souches fongiques
II.4. La recherche de l’activité antifongique
II.4.1. Préparation de suspension monosporale
II.4.2. Test qualitatif : Méthode des stries
II.4.3. Test qualitatif : Méthode de confrontation
II.4.4. Test quantitatif : Méthode des puits
II.5. Conservation des souches
II.6. Pré-identification des souches
II.7. Détermination du spectre d’inhibition
II.8. Caractérisation des métabolites antifongiques
II.8.1. L’effet de la température
II.8.2. L’effet des enzymes protéolytiques
II.8.3. L’effet du pH
II.8.4. La détection des substances volatiles
II.8.5. L’effet fongicide ou fongistatique
II.8.6. L’effet du milieu
II.9. Cinétique de production des métabolites antifongiques
II.10. Facteurs affectant la production des substances antifongiques
II.10.1. L’activité antifongique à différentes températures d’incubation
II.10.2. L’activité antifongique à différentes périodes d’incubation
II.10.3. L’activité antifongique à différents pH du milieu initial
II.10.4. L’activité antifongique sur MRS agar modifié
II.10.5. L’activité antifongique en présence de glycérol
II.11. L’effet des substances antifongiques sur la morphologie d’Aspergillus
II.12. Décontamination
Chapitre III
III. Résultats et discussion
III.1. La recherche de l’activité antifongique des lactobacilles
III.2. Caractérisation des métabolites antifongiques
III.2.1. L’effet de la température
III.2.2. L’effet des enzymes protéolytiques
III.2.3. L’effet du pH
III.2.4. Détection des substances volatiles
III.2.5. L’effet fongicide ou fongistatique
III.2.6. L’effet du milieu
III.3. Cinétique de production des métabolites antifongiques
III.4. Facteurs affectant la production des substances antifongiques
III.4.1. L’activité antifongique à différentes températures
III.4.2. L’activité antifongique à différentes période d’incubation
III.4.3. L’activité antifongique à différents pH du milieu initial
III.4.4. L’activité antifongique sur MRS modifié
III.4.5. Production des substances antifongiques en présence de glycérol
III.5. L’effet des substances antifongiques sur la morphologie d’Aspergillus
III.6. Décontamination
Discussion générale
Conclusion

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