L’évolution de l’agriculture moderne et son impact sur l’environnement

L’importance des éléments semi-naturels et des ressources florales pour le service c.de pollinisation

La présence des pollinisateurs dans les parcelles va dépendre de la présence de leur habitat et des ressources florales nécessaires à leur reproduction (Winfree et al., 2011). Que ce soient les abeilles ou les syrphes, ils sont souvent associés aux milieux ouverts (Winfree et al., 2011). L’habitat des abeilles domestiques est principalement une ruche dont la présence est déterminée par l’homme. En effet, les populations sauvages d’abeilles domestiques dites « férales » sont très peu présentes dans les milieux agricoles (Oleksa, Gawroński & Tofilski 2013) suite à l’apparition du parasite Varroa destructor en Europe et aux Etats-Unis qui a décimé les populations (Potts et al. 2010). La distance des ruches aux parcelles déterminent leur abondance dans les parcelles agricoles (Cunningham et al., 2016). Pour les pollinisateurs sauvages, il n’y pas de consensus entre les études sur les paysages qui influencent la présence de ces insectes dans les parcelles. Dans une synthèse de 29 études, Garibaldi et al. (2011) a montré que le nombre de visites des pollinisateurs ainsi que le succès de pollinisation diminuaient avec la distance aux éléments semi-naturels (haies, forêt, prairie). Cette diminution du nombre de visites est corroborée par une autre étude sur 23 cultures, mais cette diminution n’affecte pas le succès de pollinisation des plantes (Ricketts et al., 2008). Alors que Kleijn et al. (2015, Fig 5) ont montré que les visites des principaux pollinisateurs dans les cultures ne sont pas influencées par les éléments semi-naturels.

La diminution des visites avec la distance aux éléments semi-naturels pourrait dépendre de la zone géographique de l’étude. En effet, cette diminution est beaucoup plus importante dans les zones tropicales que dans les zones tempérées (Garibaldi et al., 2011; Ricketts et al., 2008). En zones tempérées, les abeilles nichent plutôt dans le sol et seraient moins dépendantes des éléments semi-naturels type bois ou haie que les espèces tropicales (Potts et al., 2005). Finalement, l’effet du paysage pourrait varier en fonction de l’identité des pollinisateurs (Cariveau et al., 2013), mais les traits déterminant cette réponse (taille du corps, niveau de sociabilité) restent pour le moment peu identifiés (Bartomeus et al., 2017). Les études sont par contre en accord sur le rôle des ressources florales sur le maintien des pollinisateurs dans les paysages agricoles et sur leur rôle dans le service de pollinisation. Plusieurs études ont montré que les paysages agricoles qui ont des ressources florales plus importantes (présentes naturellement ou implantées par l’homme, par exemple des bandes fleuries) ont une diversité et une abondance en pollinisateurs plus importante ce qui se traduit par une augmentation des visites de pollinisateurs dans les cultures dépendantes des pollinisateurs (Blaauw and Isaacs, 2014; Feltham et al., 2015; Motzke et al., 2016; Norfolk et al., 2016). En effet, il a été montré que ces ressources supplémentaires augmentent la reproduction des pollinisateurs (Bukovinszky et al.,

Importance de la pollinisation entomophile dans la production agricole

Les pollinisateurs peuvent augmenter le nombre de fruits par plante comme c’est le cas pour les pastèques, les fraises ou les melons (Garibaldi et al., 2013; Rader et al., 2015) ainsi que le nombre de graines par fruit comme chez la moutarde (Atmowidi et al., 2007) ou la féverole (Garratt et al., 2014b). La pollinisation entomophile peut également se traduire par une augmentation du poids moyen d’un fruit (ex. les pommes, Garratt et al. 2014a, ou la myrtille Bos et al. 2007) ou une modification de la qualité de la production (Chautá-Mellizo et al., 2012; Stein et al., 2017). Les traits associés à la qualité varient en fonction de l’identité de la plante. Par exemple, la pollinisation entomophile améliore l’aspect esthétique des fraises (Klatt et al., 2014) ou diminue la quantité de graines vides dans le sarrasin (Bartomeus et al., 2014). Cependant, il n’existe pas de consensus sur les effets de la pollinisation entomophile. En effet, plusieurs études ont montré des effets négatifs des pollinisateurs sur le poids, la qualité des graines ou des fruits (Brittain et al., 2014; Garratt et al., 2014a; Zou et al., 2017b). Les mécanismes qui entraînent la modification (l’augmentation ou la diminution) de la quantité, du poids, ou de la qualité des graines ou des fruits suite à la pollinisation des fleurs par les pollinisateurs restent peu étudiés. Plusieurs études ont avancé un mécanisme d’investissement préférentiel dans les graines issues d’une pollinisation entomophile (Chautá-Mellizo et al., 2012; Stein et al., 2017) car cette graine serait issue d’une allopollinisation plutôt que d’une autopollinisation. En effet les pollinisateurs peuvent augmenter le taux d’allopollinisation (Matsuki et al., 2008; Wang et al., 1998) mais ils peuvent aussi augmenter le taux d’autopollinisation (Devaux et al., 2014; Karron et al., 2009). De plus, l’importance de l’origine du pollen pour la pollinisation dépend fortement de l’espèce de plante (Chamer et al., 2015; Dogterom et al., 2000; Niesenbaum, 1999). Il est aussi possible que certains compromis (voir Encadré 1) au sein de la plante amènent à un effet négatif des pollinisateurs comme entre le nombre de graines et le poids des graines de colza (Zou et al., 2017b).

Contribution du service de pollinisation des cultures à l’échelle mondiale

La proportion de cultures dépendantes des pollinisateurs est de 70 % à l’échelle du monde (Klein et al., 2007) et 84% à l’échelle de l’Europe (Williams, 1994). La dépendance aux pollinisateurs varie avec l’espèce cultivée notamment avec leur tolérance à l’auto-fécondation (Fig. 6., Klein et al. 2007). Les cultures les plus dépendantes aux pollinisateurs sont les cultures à fruits secs (amandes), à fruits charnus (cerises, pommes,…) et les cultures à huiles (tournesol, moutarde ; Gallai et al. 2009). Ces cultures ne représentent que 35% de la production agricole mondiale (Klein et al., 2007). La majorité de la production vient de cultures totalement autofécondes comme le blé ou le riz, qui sont produites sur de plus larges surfaces. Néanmoins, cette étude ne prend pas en compte la qualité nutritionnelle des productions. Certaines vitamines ou antioxydants nécessaires à la santé humaine sont issus des fruits ou des graines venant de plantes cultivées dont la pollinisation dépend seulement des insectes (Eilers et al., 2011). Plusieurs études ont cherché à évaluer monétairement le service de pollinisation. En estimant la contribution des pollinisateurs pour la production totale de chaque culture et en multipliant par le prix de ventes des fruits et des graines par continents, les études ont estimé le service de pollinisation entre 127 et 152 milliards d’euros par an soit 10 % de la production agricole mondiale (Bauer and Sue Wing, 2016; Gallai et al., 2009).

En prenant en compte la différence de prix de vente plus finement entre pays, le service de pollinisation a été estimé entre 167 milliards d’euros et 253 milliards d’euros par an (Lautenbach et al., 2012). La contribution des pollinisateurs à la production agricole ne cessent de croître depuis les années 1990 (Lautenbach et al., 2012) suite à l’augmentation des surfaces agricoles dépendantes des pollinisateurs (Aizen et al., 2008). Cette valeur varie spatialement en fonction de la quantité de cultures dépendantes des insectes. Ainsi la Chine fait partie des pays les plus dépendants aux pollinisateurs (Fig. 7.a, Lautenbach et al. 2012; Potts et al. 2016). A l’échelle française, le service de pollinisation est estimé à 2.3 à 5.3 milliards d’euros (MEEM Ministère de l’Environnement de l’Energie et de la Mer, 2016) ce qui représente entre 5.2 à 12% de la production pour la France. Le pourtour méditerranéen est la partie de la France dont les surfaces agricoles sont les plus dépendantes aux pollinisateurs (Fig. 7.b, MEEM Ministère de l’Environnement de l’Energie et de la Mer 2016).

Interaction entre pratiques agricoles et pollinisation entomophile

La production de tournesol ou de colza n’est pas seulement dépendante des pollinisateurs. Les rendements de colza et de tournesol augmentent avec l’application de plusieurs fertilisants: l’azote (Abbadi et al., 2008; Rathke et al., 2005), le phosphore (Lickfett et al., 1999; Zubillaga et al., 2002) et le potassium (Amanullah and Khan, 2010; Cong et al., 2015). Les mécanismes qui permettent cette augmentation (augmentation du nombre de graines, du poids d’une graine) sont peu décrits dans la littérature, mais un compromis entre nombre de graines et qualité des graines est observé lorsque les fertilisants sont utilisés en grande quantité. En effet, le pourcentage de lipides par graine est diminué pour le colza avec l’augmentation de l’azote que ce soit pour le colza ou le tournesol (Abbadi et al., 2008; Rathke et al., 2005). Les rendements de tournesol et de colza augmentent avec la densité de plantes, en augmentant le nombre de graines par m² (Barros et al., 2004; Kuai et al., 2015; Zhang et al., 2012) malgré une corrélation négative entre nombre de graines par pied et densité de plantes. L’augmentation de la densité par parcelle pourrait avoir un effet négatif sur la qualité des graines, possiblement dû à la compétition entre plantes (Zhang et al., 2012). D’autres pratiques comme l’utilisation d’herbicides ou d’insecticides pour réduire les populations d’adventices ou d’insectes ravageurs retrouvés dans les parcelles de colza et de tournesol (Bijanzadeh et al., 2010; Michaud et al., 2007; Simić et al., 2011; Zhang et al., 2017) peuvent influencer la présence des pollinisateurs.

Les insecticides ne sont pas spécifiques aux insectes ravageurs. Plusieurs insecticides peuvent réduire la survie des abeilles domestiques (Henry et al., 2012; Woodcock et al., 2017) ainsi que celle des bourdons et des abeilles sauvages (Goulson et al., 2015; Ben A. Woodcock et al., 2016; Woodcock et al., 2017). Ces insecticides peuvent par exemple réduire la reproduction des reines chez les bourdons (Woodcock et al., 2017), et réduire le nombre de bourdons qui vont visiter les parcelles (Stanley et al., 2015) ou diminuer le taux de retour des abeilles domestiques la ruche (Henry et al., 2012). Toutefois, il a été montré que les parcelles traitées par des insecticides pouvaient être plus attractives pour les pollinisateurs car en réduisant les insectes ravageurs qui s’attaquent aux bourgeons floraux, le nombre de fleurs disponibles pour les pollinisateurs est plus important ainsi que la quantité de nectar dans ces fleurs (Lindstrom et al., 2017). De façon similaire, d’autres pratiques, comme la densité de semis, pourraient augmenter la présence des pollinisateurs dans les parcelles en proposant des ressources florales plus importantes. La réduction d’herbicide peut indirectement réduire la présence des pollinisateurs dans les parcelles : en réduisant la présence d’adventices dans la parcelle celle-ci pourrait être moins attractive pour les pollinisateurs (Norfolk et al., 2016). Outre l’étude de Stanley et al. (2015), peu d’études ont montré une modification du service de pollinisation par ces pratiques.

Table des matières

Introduction
A. L’importance des services écosystémiques pour la production agricole
1. L’évolution de l’agriculture moderne et son impact sur l’environnement
2. Les services écosystémiques et l’ « intensification écologique » dans les milieux agricoles
B. Le service de pollinisation dans les milieux agricoles
1. Pollinisation et diversité des systèmes de reproduction
2. Les pollinisateurs des milieux agricoles
3. Importance de la pollinisation entomophile dans la production agricole
C. Limites des études sur le service de pollinisation
1. Les méthodes
2. Avantages & biais respectifs:
D. Le cas du colza et du tournesol
1. Importance de la production de colza et de tournesol dans l’agriculture
2. Les déterminants du rendement de colza et sa qualité de production
3. Rôle des pratiques agricoles et de la pollinisation entomophile sur le rendement de colza et de
tournesol
E. Objectifs et plan de thèse
1. Problématique
2. Plan de thèse
Matériel et méthode
A. Site d’étude
B. Choix des parcelles
C. Les expérimentations :
1. Les captures de pollinisateurs
2. La contribution des pollinisateurs
Chapitre I : Les abeilles augmentent les rendements de colza de plus de 35% dans une étude expérimentale réalisée directement dans les parcelles des agriculteurs
Chapitre II : Quantification du bénéfice des pollinisateurs dans les rendements de tournesol par une approche expérimentale: réconcilier les estimations à l’échelle de la plante à celle de la parcelle
Chapitre III Importance relative des abeilles et des pratiques agricoles dans le rendement et le revenu des agriculteurs
Chapitre IV : Les abeilles domestiques améliorent la qualité de la production de colza
Discussion générale
A. Mécanismes de pollinisation
1. Les déterminants du succès de pollinisation
2. Les compromis d’allocation de ressources
B. Implication pour l’intensification écologique de la production de colza et de tournesol
1. Les pollinisateurs du colza et du tournesol
2. L’effet du paysage et des pratiques agricoles sur les pollinisateurs et leurs contributions aux
rendements
3. Les possibles freins et solutions
C. Limites &Perspectives
References

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