L’évolution du mouvement d’action communautaire autonome Famille

Le système public québécois et la logique de gouvernance qui le caractérise.

Le Québec a un régime de santé et services sociaux gratuit et universel depuis les années 1970. Au départ, le système plaçait l’emphase sur la prévention et la santé communautaire, une approche qui est hautement compatible avec l’ACAF. Cependant, le système s’est rapidement déplacé vers un modèle qui met l’emphase sur la « santé publique». Par opposition à la santé communautaire, une approche de santé publique met moins l’ accent sur la construction des communautés et les services de proximité. Elle s’ inspire davantage du modèle médical classique. Elle a tendance à focaliser sur la gestion des facteurs de risque et l’ intervention (Fortin, 2003). Par ailleurs, le système de services publics du Québec a été influencé par les pratiques dites de Nouvelle gestion publique (NGP) à partir des années 1980 et celles-ci se sont progressivement imposées depuis (Demers & Provençal, 2016). Le terme NGP représente un ensemble de pratiques de gestion publique néolibérales qUI ont pour objectif d’améliorer la qualité et l’ efficacité des services publics en diminuant leurs coûts (Bach & Bordogna, 20 Il). Pour ce faire , ces méthodes favorisent la centralisation des décisions stratégiques (par exemple, décider quels objectifs de santé publique sont les plus pertinents, comme combattre le cancer ou réduire la pauvreté infantile) et la décentralisation des décisions opérationnelles (par exemple, attribuer un budget pour « diminuer la pauvreté infantile » et laisser les organisations gérer ce budget à leur guise, tant qu’ elles atteignent cet objectif).

De plus, elles mettent l’accent sur le contrôle de l’ atteinte d’ objectifs de performance qui doivent être concrets, mesurables et à court-terme (Verbeeten & Speklé, 2015). Ces réformes visent en premier lieu à diminuer la taille de l’ État et à augmenter la qualité et l’ efficacité des services publics pour favoriser une plus grande justice sociale. Elles ont été implantées à travers le monde, majoritairement, mais pas uniquement, dans les pays dits « développés » depuis les années 1980. Elles continuent d’ être implantées un peu partout et sont souvent présentées comme des « meilleures pratiques ». Cependant, les effets de ces réformes sont au mieux mitigés ou nébuleux. Le seul effet positif documenté serait des bénéfices économiques à court terme, tandis que de nombreux effets négatifs sont décriés. Partout à travers le monde, la NGP a mené à une augmentation et à une complexification des problèmes sociaux, à une diminution de la qualité et de l’ accessibilité des services publics, ainsi qu’à une augmentation de la taille de l’ État due à l’ explosion des processus de contrôle et des besoins de coordination (Abramovitz & Zelnick, 2015; Arellano-Gault, 2010; Overeem & Tholen, 20 Il; Siltala, 2013; D. E. Smith & Griffith. 2014; Verbeeten & Speklé, 2015). Au Québec, la NGP a émergé dans les années 1980, mais n’a pris la place de paradigme dominant que depuis les années 2000.

Les deux dernières réformes du système de santé et services sociaux, respectivement en 2004 et 2015, ont instauré de plus en plus de principes de gestion néo libéraux. dont: la centralisation des décisions stratégiques et la décentralisation des décisions opérationnelles. l’ usage de contrats basés sur la performance, la marchandisation et la privatisation des services et une diminution du rôle de l’ État (Demers & Provençal, 2016; Tremblay et al., 2017). Justifiées par un discours d’ optimisation, ces réformes consistaient principalement en des coupes budgétaires qui ont eu un impact dévastateur sur la qualité et l’ accessibilité des services. La dernière réforme, datant de 2015, a été décriée plus ou moins par l’ ensemble des associations de citoyens, employés publics, gestionnaires publics et organisations publiques. Elle a créé une perte d’expertise pour l’ État, une augmentation de la bureaucratie. une perte de flexibilité. une augmentation des injustices sociales, une diminution de la démocratie et un sens général d’épuisement et d’ horreur chez les fonctionnaires (Tremblay et al., 2017).

La reconnaissance de l’autonomie des organismes communautaires Famille.

Comme pour les autres organismes communautaires, les OCF sont reconnus officiellement comme partenaires de l’ État depuis les années 1990 et ils sont officiellement reconnus comme autonomes par rapport à l’ État depuis 2001 (Gouvernement du Québec, 2001: White, 2012). Publiée en 2001, la politique de reconnaissance et de soutien à l’action communautaire reconnait que les organismes communautaires apportent « une contribution essentielle à l’exercice de la citoyenneté et au développement social du Québec » (Gouvernement du Québec, 200 l, p. 1). Dans le 28 cadre de cette politique, le gouvernement va plus loin, en s’engageant à respecter l’ autonomie des organismes communautaires à déterminer « leur mission, leurs orientations, leurs modes et leurs approches d’intervention ainsi que leurs modes de gestion » (Gouvernement du Québec, 2001 , p. 17). Ce concept d’autonomie est expliqué comme servant à protéger la distance critique qui doit exister entre les organismes communautaires et l’ État. pour que ceux-ci puissent protéger leur identité et conserver une marge de manoeuvre par rapport à l’ État et à leurs bailleurs de fonds. Toujours dans la politique, il est précisé que la reconnaissance de l’ autonomie des organismes communautaires est particulièrement imp0l1ante au Québec, étant donné que pour la grande majorité des organismes communautaires. le gouvernement est le bailleur de fonds principal, assurant plus de 80% de leur revenu.

De prime abord, il peut sembler que l’État québécois reconnait l’ importance de la contribution et de l’autonomie des organismes communautaires, dont les OCF. Cependant, même si l’ autonomie des organismes communautaires est respectée officiellement, dans les faits, cette autonomie est mise en danger par certaines des pratiques de financement de l’ État. Depuis le début des années 2000, en plus du financement donné à la mission, on assiste à une augmentation du financement « par entente de service » ou « par projet » entre les organismes communautaires et l’ État. Or, ce type de financement est associé à des contraintes qui briment l’autonomie des organismes communautaires. Ce type de financement place également les organismes communautaires dans une position de sous-traitants par rapport à l’ État et aux établissements publics, au lieu de préserver la relation égalitaire qui prévalait par le passé (Bourque, 2004). Pour les OCF, la création d’A venir d’ Enfants, un orgal11sme subventionnaire issu d’un partenariat public-privé entre le gouvernement du Québec et la Fondation Lucie et André Chagnon, a aussi contribué à limiter leur autonomie (Bouchard, 2013).

Les caractéristiques des communautés de pratique.

Selon la théorie de l’ apprentissage social, les communautés de pratique sont donc des groupes de personnes qui ont une pratique en commun et qui apprennent les unes des autres en interagissant de façon régulière. Plus précisément, Wenger (1998) ressort trois caractéristiques fondamentales qui font d’ un groupe une communauté de pratique: l’ entreprise commune, l’engagement mutuel et le répertoire partagé. L’ entreprise commune est une entreprise qui est partagée par tous les membres de la communauté et choisie par eux (Wenger, 1998). Par exemple, un groupe de psychologues communautaires peut avoir comme entreprise commune de favoriser l’empowerment d’une communauté, des ornithologues peuvent désirer mieux connaître et observer les oiseaux et des réparateurs de photocopieurs peuvent vouloir faire leur travaille plus efficacement possible, en fournissant le moindre effort. L’engagement mutuel reflète le fait que les membres de la communauté dépendent les uns des autres pour réaliser leur entreprise et pratiquer leur pratique (Wenger, 1998). Par exemple, un psychologue communautaire qui travaille avec une communauté AfroAméricaine au Kansas et un psychologue communautaire qui travaille avec des Innus au Labrador, ne dépendent pas l’un de l’ autre pour pratiquer la psychologie communautaire: ils ne forment donc pas une communauté de pratique. Cependant, si ces deux psychologues ont des interactions régulières et s’ aident l’ un l’ autre dans la négociation de leur relation avec les communautés qu ‘ ils souhaitent aider, ils dépendent donc l’ un de l’autre pour pratiquer la psychologie communautaire et ont une entreprise commune (mieux comprendre comment aider une communauté) : ils forment donc une communauté de pratique.

De la même manière, deux serveurs, un concierge, un cuisinier, un artiste-peintre et un comptable qui travaillent dans un restaurant familial peuvent former une communauté de pratique s’ ils interagissent régulièrement et dépendent les uns des autres pour faire fonctionner le restaurant. Enfin, le répertoire partagé représente les façons de penser, de parler et d’agir communes qui reflètent l’ histoire d’engagement mutuel entre les membres de la communauté (Wenger, 1998). Il peut s’agir de surnoms. de vieilles blagues comprises seulement par les membres de la communauté, de croyances ou de valeurs partagées, etc. Par exemple, dans un hôpital, la façon dont on accueille typiquement les visiteurs, la croyance en l’ importance d’ avoir de saines habitudes de vie, les habitudes de lavement des mains et le fait de référer aux personnes malades comme à des patients ou à des usagers sont tous des éléments qui font partie du répertoire partagé.

Table des matières

Sommaire
Table des matières
Liste des tableaux
Remerciements
Introduction
Problématique
Contexte de l’étude
Qu’ est-ce qu ‘un organisme communautaire Famille?
La structure des OC F
Les actions des OCF
Les valeurs, fondements et principes d’action de l’action
communautaire autonome Famille
Les valeurs d’action communautaire autonome Famille
Les fondements de l’action communautaire autonome Famille
Les principes d’action de l’action communautaire autonome Famille
L’évolution du mouvement d’action communautaire autonome Famille
Le système public québécois et la logique de gouvernance
qui le caractérise
Le mouvement communautaire et le système public
La reconnaissance de l’ autonomie des organismes
communautaires Famille
L’identité des organismes communautaires Famille
Cadre théorique
La psychologie communautaire
Élnergence
Développement de la psychologie communautaire
L’é lusive transformation sociale: un but utopique?
Du local au global
L’ intouchable neutralité
Les psychologues communautaires sont tributaires du statu quo
Les communautés de pratique
Une théorie sociale de l’apprentissage
Les caractéri stiques des communautés de pratique
Deux types de communautés de pratique
Les effets des communautés de pratique
Les facteurs critiques au succès des communautés de pratique
Les liens entre l’action communautaire et la théorie des
communautés de pratique
Affinités entre les communautés de pratique, l’action
communautaire autonome Famille et la psychologie communautaire
Les facteurs critiques au succès de la communauté de pratique
intentionnelle en action communautaire autonome Famille
Pertinence de l’étude
Cadre méthodologique
Participantes
Collecte de données
Entretiens de recherche
Observation participante
Documents institutionnels
Journal de recherche
Déroulement de l’étude
Cadre d’analyse
La théorisation enracinée
L’ethnographie institutionnelle
L’étude de cas
Validité externe des résultats de la thèse
Objectifs spécifiques de la thèse et présentation des articles
Chapitre r Solide et ouverte: l’ identité dans les communautés de pratique
en action communautaire autonome Famille
Les communautés de pratique
Les communautés de pratique spontanées en action communautaire
autonome Famille
L’enjeu d’autonomie des organismes communautaires Famille
La communauté de pratique intentionnelle en action communautaire
autonome Famille
Objectif de l’étude
Méthode
Participantes
Collecte de données
Entretiens de recherche
Observation participante
Documents institutionnels
Journal de recherche
Déroulement de l’étude
Cadre d’analyse
Résu Itats
Dans quelle direction se développe l’identité des personnes participantes?
Plus solide
Plus ouverte
Comment ce développement s’articule-t-il à travers ces deux contextes?
De quelles formes de travail dépend ce développement?
Quelles formes de relations sociales coordonnent ce développement?
Discussion
Conclusion
Références
Chapitre II Beyond New Public Management: Empowering
Community-based Organisations
Towards a Fairer World: New Public Management’s Proposition
New Public Management’s Impact on Community-based Organisations
Doing more with less: precarity and competition
Reaching outcomes « effectively » : devaluation and colonisation
Context of the Study
Community-based Organisations in Québec
New Public Management in Québec
Goal of the Study
Methods
Data Collection
Research interviews
Participant observation
Institutional documents
Research journal
Data Analysis
Results
The Impact of New Public Management on Family Resource Centres
Project-based funding
Devaluation, iso lation and colonisation
Fighting Fire with Fire: the AGORA Program
Selling their soul?
Unprecedented mobilization
How AGORA Protected FRCs from some ofNPM’s Deleterious Effects
How AGORA Reached NPM’s Goals
Two Systems of Coordination: AGORA Allies to Human Potential, while NPM Confines it
Discussion
Governance in Community Action
Community Action, Social Justice, Knowledge and Power
Limitations
Conclusion
References
Discussion générale
Les savoirs d’action communautaire autonome Famille
La théorie des communautés de pratique
La théorie de l’attachement appliquée aux communautés de
pratique en action communautaire autonome Famille
Quelle gouvernance?
Comment adresser et contrer les injustices macrosystémiques?
Gouverner autrement
Limites de l’ étude
Conclusion générale
La valeur des savoirs
La valeur des liens
Et maintenant?
Références générales
Appendice A Pseudonymes et caractéristiques des participantes
Appendice B Thèmes abordés lors des entretiens
Appendice C Canevas des entretiens
Appendice 0 Lettre d’ information et formulaire de consentement
Appendice E Questionnaire d’ information sociodémographique
Appendice F Lettre aux participantes
Appendice G Facteurs critiques au succès de la communauté
de pratique intentionnelle en ACAF

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