L’IMPACT DU MOUVEMENT A L’HEURE DE LA PAIX DU TRAVAIL

L’IMPACT DU MOUVEMENT A L’HEURE DE LA PAIX DU TRAVAIL

A partir du milieu des années trente, le monde occidental bascule dans une nouvelle ère et les anarchistes n’en font plus partie qu’en apparence1. Il y a bien sûr le grand espoir porté par l’anarcho-syndicalisme espagnol, qui répond au déclenchement de la guerre civile de 1936 par la collectivisation partielle des terres et des usines ; un espoir bien vite douché par la réalité des forces politiques et militaires en présence. Au niveau local, Genève assiste aussi aux sursauts locaux d’un syndicalisme d’action directe qui ne disparaît pas en un jour. Il n’empêche : à partir de 1937, le mouvement s’est tari aussi bien au niveau mondial, avec la « montée des périls » et la défaite annoncée en Espagne, qu’au niveau genevois, avec une F.O.B.B. délaissant l’action directe et un groupe du Réveil déliquescent. Ce changement de paradigme a été relativement brutal, même si des signes avant-coureurs peuvent être observés dès la généralisation de la crise économique mondiale. Face au durcissement des relations internationales et au bruit des bottes qui résonne dans toute l’Europe, le gouvernement suisse a réagi en réprimant de plus en plus durement les éléments jugés séditieux. Le Réveil en souffrira particulièrement. A gauche, la crise généralisée et la crispation entraînée par les deux totalitarismes, fascistes et communistes, pousse le parti socialiste à revoir son programme de façon plus réformiste et à entamer une intégration complète à l’Etat suisse. Le Congrès de Lucerne (1935) met en avant la défense de la démocratie. Les idéaux antimilitaristes du P.S.S. sont dès lors rejetés par une faible majorité, qui acceptera la nécessité du ralliement à la Défense nationale2. Contrairement à la tactique choisie par le voisin français, toute politique de front commun avec le communisme est exclu. Cette option de collaboration, plutôt de coopération, se traduit côté ouvrier par la Paix du Travail (1937), dans le secteur métallurgiste, soit une nouvelle façon de penser les relations syndicats-patronats, sur une base de partenariat. L’anarchisme se trouve par principe aux antipodes de ces deux évolutions. Mais, bien affaibli et isolé, il doit faire face et se résigner. La clandestinité sera bientôt sa seule porte de sortie, à l’égal de son frère ennemi communiste. Mouvement en marge, l’anarchisme finira par devenir complètement marginal. A Genève, l’union fraternelle du Réveil devient alors un lointain souvenir, en raison surtout de certains développements syndicaux. Les données du problème se sont inversées : si la F.O.B.B. genevoise a offert au groupe une renommée intéressante, la responsabilité de ce même syndicat est directement engagée quant à la dissolution du Réveil – avec l’aide appuyée des tumultes internationaux et de la répression fédérale, il est vrai. Alors, faut-il conclure à la défaite de l’anarchisme suisse sur tous les fronts (syndicaux, politiques et culturels) ? Il est temps de dresser la « revue d’inventaire » de l’utopie libertaire.

La déliquescence anarchiste lors de la « montée des périls »

La combinaison négative de facteurs endo- et exogènes explique la progressive descente aux enfers de l’anarcho-syndicalisme genevois. La dégradation de l’un des facteurs interagit avec le tout et la propagation de ce phénomène entraîne une spirale négative. L’anarcho- syndicalisme est à la fois victime d’une implosion, provoquée par les trajectoires divergentes de Bertoni et de Tronchet, et d’une explosion, conséquence de la « dispersion » espagnole et de l’uniformisation sociale helvétique. intervient avec la professionnalisation syndicale de Lucien Tronchet, effective au 1er janvier 1936. Cet événement-pivot provoque d’abord de vifs débats au sein du groupe, avant d’aboutir au début des années quarante au départ d’une bonne partie des militants fidèles à Tronchet. Bertoni ne pouvait cautionner la voie institutionnelle suivie par Tronchet, en négation des principes anarcho-syndicalistes de base. Ceux-ci étaient attachés à l’engagement bénévole, au contact de la « base » et des conditions de travail sur les chantiers. Le Réveil du 1er mai 1932, citant Malatesta, avait notamment rappelé le danger d’une fonction syndicale rémunérée, comparant la permanence syndicale au parlementarisme dans le champ politique3. Dans les justifications qu’il donne, que ce soit en 1947 ou en 1979, Tronchet rappelle qu’il ne pouvait plus trouver de travail sur la place genevoise du fait de sa mise à l’index patronal4. Un exemple concret est répertorié en avril 1933 : engagé sans autorisation, Lucien Tronchet est renvoyé sans ménagement de l’entreprise Zschokke5. En 1935, son engagement au sein de la C.O.G.B. aurait même commencé à poser problème.

 

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