L’importance des liens forts et du réseau informel une fois au Québec

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« S’informer, s’informer, s’informer » : réseaux virtuels et liens transnationaux en période prémigratoire

Contrairement aux cohortes précédentes, plusieurs immigrants qui arrivent au Québec depuis le début des années 2000 ont de plus en plus accès à un vaste éventail d’informations avant leur départ. Non seulement les amis et la famille déjà installée dans le pays d’accueil peuvent soutenir et informer les immigrants sur la vie dans la nouvelle société, mais les réseaux sociaux virtuels servent aussi à orienter et organiser le projet d’immigration (Vatz Laaroussi, 2009). Les répondants interrogés avaient tous des amis et de la famille déjà installés au Québec qui ont joué un rôle crucial dans la prise de décision d’immigrer et dans l’organisation de l’arrivée dans le nouveau pays. Plusieurs d’entre eux avaient une sœur, un frère, un cousin, une tante, un oncle ou encore un ami qui les attendaient au Québec et qui échangeaient régulièrement avec eux avant leur arrivée. En plus de ce soutien caractérisé par la mobilisation de liens forts, plusieurs répondants ont mentionné qu’ils avaient joint des forums de discussion sur Internet afin de s’informer le plus possible avant de quitter leur pays. Pour un grand nombre de Péruviens, ces réseaux sociaux virtuels, transnationaux et informels (surtout caractérisé par des liens faibles) se sont avérés fort utiles. Enfin, une minorité de répondants ont aussi effectué une visite prémigratoire au pays d’accueil avant de prendre la décision définitive d’immigrer.

Les réseaux virtuels

Lorsque Veronica a décidé de poser sa candidature pour être admise comme travailleuse qualifiée au Canada, elle s’est rapidement inscrite à un forum de discussion sur Internet regroupant des Péruviens déjà installés au Québec ainsi que des Péruviens habitant au Pérou qui désiraient immigrer dans la province francophone ou ailleurs au Canada. Elle explique qu’avoir accès à un tel réseau virtuel l’a grandement soutenu pour préparer sa demande d’immigration, s’informer sur ses perspectives de travail et sur tout autre sujet relatif à « la vie au Canada ». Dans l’extrait suivant, Veronica explique bien comment ce groupe l’a « beaucoup aidé » :
Veronica : Je me suis inscrite dans un groupe qui s’appelle « Péruviens au Canada ». Ça, c’est le groupe qui m’avait aidé à répondre à toutes mes questions, un groupe qui a été créé par un garçon qui était ici [à Montréal]. Et après, tout le monde avait commencé à s’enregistrer. C’était bon parce que pour les gens qui se trouvent spécialement à l’extérieur, il y avait trop de questions, ou simplement connaître une personne. On ne savait pas comment c’était la météo, la température, des choses très basiques qu’on veut savoir. Et là-bas, vraiment on t’aide, ce groupe m’avait beaucoup aidé.
Geneviève : Un forum de discussion sur Internet ?
Veronica : Oui, oui. Je sais que dans d’autres pays, ils avaient créé des groupes comme ça, un groupe Yahoo.
Geneviève : Qui vous avait dit que ça existait ?
Veronica : Cette une amie et c’est elle qui m’avait dit. Et une fois que je m’étais inscrite, ça m’avait aidé à connaître beaucoup de gens à travers Internet et aussi des gens qui étaient dans le processus d’immigration. On se rencontrait avant pour se connaître et échanger des informations sur la vie au Canada (Veronica, entrevue F19).
Les réseaux virtuels, incluant le type de réseau utilisé par Veronica, servent donc à favoriser et orienter la mobilité en créant des liens entre immigrants potentiels dans la société d’origine et récents immigrants dans la société d’accueil. Leloup et Radice (2008) parlent alors de la formation de « communautés émancipées » qui ne sont plus rattachées seulement à des espaces géographiques, mais qui dépassent plutôt les frontières. Vatz Laaroussi (2009), quant à elle, explique judicieusement la présence d’un « processus de va-et-vient entre le local et l’a-spatial » :
[i]l y a dès lors un processus de va-et-vient entre le local et l’a-spatial permis par le réseau virtuel ainsi que coexistence de réseaux virtuels globaux et de réseaux localisés. Et c’est ce foisonnement du virtuel déterritorialisé et des réseaux relocalisés qui permet à la fois circulation de nouveaux flux migratoires, l’entraide réciproque qui en assure la pérennité et l’investissement d’espaces locaux jusqu’alors méconnus, comme certaines régions du Québec (Vatz Laaroussi, 2009 : 105).
C’est justement le recours à ces réseaux virtuels qui a permis une meilleure planification du projet d’immigration avant de partir, tout en favorisant la création de liens entre immigrants potentiels et récents immigrants au Québec.
À l’instar de Veronica, Liliana et Miguel ont aussi participé à des groupes de discussion sur Internet avant d’immigrer. Pour ces derniers, il importait par ailleurs d’aller au-delà de ces forums afin de contrevérifier l’information qui y circulait. L’importance de mobiliser différentes sources d’informations a été soulignée par plusieurs des répondants. À ce sujet, Liliana explique qu’il ne faut pas tenir pour acquis tout ce qui circule sur les sites de discussions virtuels :
Liliana : El mensaje que se transmite, al menos en el momento en que nosotros estábamos haciendo [nuestra aplicación de inmigración], era que se necesitaban muchos trabajadores, que había una gran oferta de trabajo y no había gente para cubrirla. Ese era el mensaje que se transmitía, que nosotros… por lo menos es el mensaje que yo recibí en algunas charlas que se realizan [por Internet]. Pero un poco haciendo la recherche en Internet desde allá, ya tú te das cuenta que okey, es cierto, pero en ciertos campos, bajo ciertas condiciones. No es que cualquiera va a venir y al día siguiente va a trabajar. O al mes. Okey, el mensaje, okey, necesitan trabajadores, pero tienes que ir un poco más allá, más atrás del mensaje que es en ciertos dominios, en ciertos tiempos, después de hacer ciertas formaciones después de… Ese detalle es el que a veces no se llega a transmitir. Entonces hay muchas personas que escuchan “falta gente” y toman el tren de venida. Y esas son las primeras desilusiones en su vida.
Geneviève : Ya, ¿pero ustedes cómo saben que no funciona así?
Liliana : Es la recherche51 (Liliana, entrevue F21).
Elle renchérit :
Nuestro principal consejo es de informarse lo más que se pueda. Porque, por ejemplo, si alguien nos pregunta ahorita, el proceso que tuvimos, de repente vi que el proceso ya ha cambiado, tiene cambios. Entonces yo te puedo decir mi experiencia, pero infórmate tú también. Esa es otra cosa que también es cierta, escuchar el consejo de amigos, la opinión de amigos, pero no tomarla al pie de la letra52 (Liliana, entrevue F21).
Alberto émet le même type de commentaire lorsqu’il dit : « Avec l’Internet, j’ai cette habitude de m’informer sur n’importe quel sujet. M’informer, m’informer, m’informer. Je n’aime pas les études, mais j’aime ça m’informer » (entrevue M6). Il y a donc un consensus quant à la nécessiter de s’informer et de contrevérifier différentes sources d’information pour bien préparer son projet migratoire. Une des stratégies utilisées par les Péruviens a d’ailleurs été de s’informer directement auprès de leur famille et leurs amis déjà installés au Québec.

Les liens forts transnationaux

En plus des forums de discussion sur Internet, des blogues et de différents sites web, les éventuels immigrants péruviens communiquaient régulièrement avec leurs familles et amis qui étaient déjà au Québec. Ce va-et-vient d’échanges constants, facilités par les différentes technologies de l’information et des communications (TIC) – dont les courriels, les divers réseaux sociaux numériques, mais aussi la téléphonie mobile, Skype et les textos – leur a permis de s’informer continuellement sur le Québec. Les ressortissants péruviens déjà établis au Québec ont partagé leurs expériences avec les immigrants potentiels et leur ont donné des conseils, notamment sur la recherche d’emploi et les perspectives de travail. Il semble que toute cette communication, mobilisée conjointement avec les groupes de discussion en ligne, a permis aux répondants de moduler leurs attentes en regard de leur projet d’immigration. Avant de partir, la plupart d’entre eux se disaient déjà au courant des difficultés qui les attendaient sur le marché du travail (telle la non-reconnaissance de leur diplôme et de leur expérience acquis au Pérou). C’est notamment le cas de Pablo.
Bien au fait que sa maîtrise en administration ne serait probablement pas reconnue au Québec, Pablo, qui était chef régional d’une caisse populaire au Pérou, se disait qu’il était prêt à travailler dans le domaine du nettoyage une fois arrivé dans son nouveau pays. Il avait ajusté ses attentes au plan socioprofessionnel en fonction de ce qu’il avait appris en période prémigratoire. Il explique qu’il était « mentalisé » à faire du ménage. En arrivant au Québec, ce fut d’ailleurs le premier emploi qu’il a occupé :
Alors, j’ai connu un autre Péruvien qui avait une entreprise de nettoyage et il m’a donné quelques heures pour faire du nettoyage. J’étais mentalisé à faire ça quand je suis venu ici. Je me rappelle ma dernière journée à la caisse municipale, je me suis réuni avec tout le monde. J’ai appelé spécialement tous les travailleurs de nettoyage là-bas. Et tout le monde était surpris. Je commençais à les saluer, parce que je me disais à l’intérieur, je ferai au Canada peut-être les choses que vous faites. Je n’ai jamais raconté ça. Les ouvriers de nettoyage là-bas étaient surpris, parce que moi j’étais le chef. Serrer la main avec eux, ce n’était pas bien vu. Je le fais toujours, mais c’est différent, c’est un peu la stratification sociale. Mais normalement, c’est mal vu (Pablo, entrevue M2).
Ici, Pablo fait explicitement référence à la stratification sociale qui prévaut au Pérou. Conscient qu’il risquerait de connaître une mobilité socioprofessionnelle descendante en immigrant – passant d’un poste de cadre à celui de col bleu –, il était tout de même prêt à poursuivre son projet migratoire, même si cela impliquait sûrement un changement de catégorie socioprofessionnelle. Lorsque Pablo est arrivé au Québec, il a accepté un premier emploi comme nettoyeur, soit un poste moins bien payé, moins prestigieux et lui conférant moins de pouvoir que son ancien emploi de chef régional d’une caisse populaire au Pérou. Pablo a fait ce choix en toute connaissance de cause. Avant de partir, il savait qu’il allait subir une déqualification professionnelle, et par le fait même, une certaine dislocation en matière de classe sociale.
C’est aussi en acceptant une certaine mobilité socioprofessionnelle descendante que Veronica a préparé son projet d’immigration au Québec. Après avoir parlé avec une de ses amies qui vivait déjà au Québec, elle s’est basée sur l’expérience de cette dernière pour parfaire sa formation au Pérou. Quand elle a su qu’il serait plus facile pour elle de travailler comme analyste-programmeuse (un poste technique), elle a abandonné l’idée d’être analyste fonctionnelle au Québec. Alors qu’elle occupait un poste de niveau professionnel en tant qu’analyste fonctionnelle au Pérou, elle a décidé de cibler au Québec les emplois d’analystes-programmeurs, soit des postes plus techniques (et plus facile à décrocher). Avant d’immigrer, elle a donc complété au Pérou un cours de niveau technique dispensé par Microsoft, lui permettant d’acquérir une qualification en programmation reconnue internationalement. En se référant à l’expérience de son amie, elle explique cette décision ainsi :
C’est qu’elle, tout son groupe d’amis travaillait comme analyste-programmeur pour une entreprise et le salaire était tellement bon parce que cette division n’existe pas ici. Et ce n’est pas comme au Pérou. Comme je dis, c’est complètement différent. Le côté technique, tu peux gagner facilement plus que l’autre côté [professionnel]. C’est ça que j’ai décidé quand je suis retournée au Pérou, une autre fois. Je vais retourner comme analyste-programmeur comme quand j’avais commencé. Parce que je savais que c’est plus facile pour m’insérer dans le travail. Pour le côté langue, tu n’as besoin de trop de [connaissances], à la différence de si tu voudrais travailler comme analyste fonctionnel, tu dois maîtriser bien les deux langues [le français et l’anglais]. C’est comme ça que j’ai commencé à faire des certifications là -bas, Microsoft, oui, parce que si tu fais la certification internationale Microsoft, c’est la même pour tout le monde. La différence c’est qu’au Pérou ça ne coûte pas le même prix qu’ici. Ici, ça coûte cher, le prix c’est incroyable (Veronica, entrevue F19).
En dernière analyse, plusieurs autres répondants ont eu le même raisonnement que Veronica et Pablo quant à l’acceptation d’une mobilité socioprofessionnelle descendante, ce qui a eu pour effet de diminuer leurs attentes prémigratoires et de rendre ces dernières plus « réalistes ». S’attendant au pire, la majorité des répondants était tout à fait disposée à occuper des emplois en deçà de leurs qualifications, du moins pour une période temporaire. N’ayant pas d’attentes démesurées au plan professionnel, il va de soi que plusieurs répondants se sont dit somme toute satisfaits du travail qu’ils occupaient au moment de leur entrevue. En bref, il semble que plusieurs des participants étaient au courant du paradoxe de l’insertion socioéconomique des travailleurs qualifiés (présenté au premier chapitre), grâce notamment à ce qu’ils avaient appris à travers les réseaux sociaux et grâce au maintien de liens transnationaux avec leur famille et amis déjà installés au Québec. Ainsi, contrairement à d’autres groupes d’immigrants pour lesquels l’Internet et les liens virtuels contribuent à alimenter l’inconfort et la solitude et à cultiver la nostalgie liée au pays d’origine (Vatz Laaroussi, 2009 : 104-105), les réseaux virtuels servent ici à mieux ajuster les attentes dans le pays d’accueil. Une minorité de répondants (soit le quart d’entre eux, ou six personnes sur 24) ont même eu l’occasion d’effectuer un séjour prémigratoire au Québec dans le but de se familiariser avec leur éventuelle société d’accueil et de valider leur décision en regard de leur projet d’immigration.

Les séjours exploratoires

Avant de prendre la décision définitive d’immigrer, Gabriela est venue effectuer un premier séjour au Québec afin de se « donner une chance », comme elle dit. Alors qu’elle hésitait entre les villes de Montréal et de Québec, cette visite exploratoire lui a permis de voir quelle localité elle préférait. Gabriela se souvient à quel point elle avait aimé la ville de Québec lors de ce premier séjour. Elle raconte :
Bien finalement, j’ai dit, je vais me donner une chance. Je vais venir une semaine, une semaine et demie, voir c’est comment cet endroit. Je n’avais aucune idée. Puis, c’est comme ça que je suis venue en 2007 en septembre. J’étais à Montréal et à Québec. Mais finalement Québec, c’était le coup de cœur. Montréal, je n’ai pas aimé ça, parce que c’était trop comme les États-Unis, avec beaucoup de gratte-ciels, les gens parlaient anglais. Quand je suis arrivée ici, tout était petit, les gens parlaient français, puis je trouvais la ville plus calme, plus accueillante. Finalement, j’ai décidé l’année suivante de venir, mais après l’hiver. Sinon, je n’ai pas eu de regret, parce que je me cherchais un endroit pour m’installer qui a des possibilités de travail, m’établir. Puis j’ai trouvé que Québec était la ville parfaite pour moi (Gabriela, entrevue F12).
Valentina relate une expérience similaire. N’ayant jamais voyagé au Canada avant de prendre la décision d’y immigrer, elle a décidé d’y effectuer un court séjour afin de visiter quelques villes en Ontario et au Québec. Elle évoque l’expérience de son séjour ainsi :
J’avais beaucoup aimé ça quand je suis venue en 2003. Pourquoi la ville de Québec ? Oui, j’ai visité Toronto, Ottawa, mais cela m’avait plus charmé le côté de Québec. Et commencer ici et si je voyais qu’il n’y avait pas de travail, peut-être après aller dans une ville plus grande. Mais, pour commencer, je me suis dit que c’était bien la ville de Québec. En plus, le gouvernement conseillait d’aller dans des villes plus petites (Valentina, entrevue F4).
Six ans plus tard, en 2009, Valentina est arrivée à Québec comme travailleuse qualifiée. Si Valentina et Gabriela ont toutes deux choisi de s’installer à Québec, d’autres comme Liliana, ont plutôt choisi de s’établir à Montréal.
Après avoir réalisé un séjour prémigratoire à Montréal chez sa belle-famille, Liliana a pu confirmer sa décision d’immigrer. Cette visite lui a en outre permis de mieux se préparer puisqu’elle a réalisé qu’elle devait économiser davantage avant d’immigrer. Comme elle l’explique, elle est retournée au Pérou avec l’idée d’« ahorar mas » [d’économiser plus] :
En la primera fue… La primera vez fue realmente ver la ciudad por primera vez. Vine en un tiempo que no era… estábamos en otoño, entonces todavía no hacía mucho frío. Empecé a ver, lo primero me acuerdo… el primer tema era, como economista que soy, un poco ver el tema de los precios. Esa fue una de las cosas por las cuales regresé a Perú con la idea de « necesito ahorrar más » [rires]. Y yo me acuerdo que esa primera vez, visité la escuela donde he hecho ahora mi maestría. La impresión de que me llevé fue una muy buena impresión de ver el orden que había. Me sorprendí mucho que las personas hicieran cola para subir al bus, esperaran tranquilamente, me gustó mucho53 (Liliana, entrevue F21).
À l’instar de Valentina et de Gabriela, Liliana a pu faire le choix d’immigrer après un séjour préalable dans le pays d’accueil. Liliana a même visité l’école où elle comptait faire sa maîtrise. Chacune de ces répondantes, arrivée comme travailleuse qualifiée, précise d’ailleurs qu’elle a aimé la ville où elle avait décidé d’y élire domicile. Le séjour exploratoire sert donc à consolider la décision d’immigrer et à réassurer les répondantes quant à leur projet d’immigration. Parmi les participants à cette étude, seul le quart d’entre eux ont pu effectuer un tel voyage d’exploration. Il ne va sans dire que ces derniers devaient disposer des ressources nécessaires (à la fois en termes de temps et d’argent) pour soutenir pareille démarche. Uniquement ceux qui avaient suffisamment de ressources financières et de temps libre ont pu se permettre une telle visite prospective dans l’éventuel pays d’accueil, facilitant ainsi les préparatifs liés au projet d’immigration. Les autres, n’ayant point voyagé au Québec en période prémigratoire, se sont informés auprès des amis et de la famille déjà immigrés, en plus de consulter Internet (via les réseaux sociaux, les sites web officiels du gouvernement du Québec, les blogues, etc.). Ce qui ressort des entrevues, c’est le fait que la majorité des répondants, et plus précisément ceux arrivés depuis les années 2000, était extrêmement bien préparée avant leur départ. Par exemple, plusieurs des répondants étaient déjà au courant des difficultés d’employabilité qui les attendaient sur le marché du travail. Une fois sur place, les amis et la famille déjà établie au Québec ont offert un soutien initial crucial aux immigrants.

L’importance des liens forts et du réseau informel une fois au Québec

Immigrer dans un nouveau pays n’est pas facile. Pour les immigrants interrogés dans le cadre de cette recherche, cette expérience peut être d’autant plus ardue, puisque ces derniers se trouvent confrontés à une langue distincte de leur langue maternelle, à de nouveaux codes culturels et à un climat différent, entre autres choses. La présence d’amis ou de la famille déjà sur place peut donc s’avérer fort utile, surtout durant les premières semaines et les premiers mois, voire les premières années dans la nouvelle société. Au cours des entretiens, la plupart des répondants ont d’ailleurs souligné l’apport considérable des amis et de la famille à leur arrivée. Ces réseaux de relations informels, caractérisés surtout par des liens forts, ont souvent contribué à faciliter les premières démarches des immigrants, dont l’obtention du premier emploi ou du premier logement.

Compter sur les amis et la famille à l’arrivée

Lorsque Valentina est arrivée avec un statut de résidente permanente dans la ville de Québec en 2009, un ami qu’elle avait rencontré dans un séjour précédent l’attendait à l’aéroport. En quelques jours, Valentina se rappelle qu’elle avait complété avec lui presque toutes les démarches administratives qu’elle devait faire en arrivant :
Un ami que j’avais connu en 2003, avec qui j’ai maintenu les contacts, est allé me chercher et la même journée il m’a amené à tous les organismes pour obtenir mon numéro d’assurance sociale, ouvrir un compte de banque et tout ça. Le même après-midi, j’étais avec mes pieds que je voulais me les couper, mais on n’avait pas fini que je retournais le jour suivant. Et le jour suivant, toutes mes démarches étaient presque finies. Il me restait à aller à l’assurance maladie (Valentina, entrevue F4).
Pour ce qui est du logement, Valentina avait prévu vivre quelque temps avec deux amies péruviennes déjà installées à Québec. Tout comme elle, ses nouvelles colocataires étaient toutes deux originaires d’Arequipa, une ville située au sud du Pérou. Le réseau social que présente Valentina illustre bien la situation de plusieurs des répondants à leur arrivée au Québec. Ici, les amis et la famille agissent comme un premier contact qui permet de faciliter l’installation dans les premiers temps. À ce sujet, Nieto et Yepez (2008) précisent que les réseaux des migrants constituent « un ensemble de liens interpersonnels qui mettent en rapport les migrants et migrants potentiels dans les zones d’origine et de destination » (2). Ils ajoutent que ces réseaux correspondent à « une forme de capital social accumulé par les migrants dans le but de baisser leurs coûts migratoires, réduire le risque, augmenter la probabilité d’emploi dans le pays d’installation, etc. » (3). Cette définition du réseau des migrants s’applique tout à fait à ce que les répondants ont révélé dans les entretiens. Même ceux qui n’avaient pas nécessairement de famille immédiate ou d’amis proches qui les attendaient au Québec avaient quand même réussi à contacter l’ami d’un ami ou un cousin, par exemple, pour les recevoir, et dans bien des cas pour les loger temporairement et pour les aider à trouver un logement. À l’aide initiale au logement, ajoutons le rôle important des amis et des proches pour trouver un premier emploi (souvent nécessitant peu ou pas de qualifications).

Mobiliser les liens forts pour le premier emploi (peu ou pas qualifié)

Parmi les répondants qui cherchaient du travail une fois arrivés au Québec, la moitié d’entre eux (soit 11 personnes sur 22) ont trouvé leurs premiers emplois par l’intermédiaire d’un ami, d’un membre de la famille ou d’un membre de leur réseau ethnoculturel, soit-il péruvien ou latino-américain. Cette expérience initiale de travail au Québec était souvent un premier emploi dit de « survie » (pour payer les comptes, l’épicerie, le logement, etc.) en attendant de trouver quelque chose de mieux. Deux domaines de travail sont ressortis plus souvent, soit les domaines du nettoyage et de la restauration.
Angel, entre autres, s’est trouvé un premier emploi comme cuisinier par l’intermédiaire de son cousin, ce dernier étant propriétaire de deux restaurants péruviens à Montréal. Par la suite, il s’est facilement trouvé un autre emploi dans le domaine du ménage. Il explique qu’il est facile de travailler pour une compagnie de nettoyage, puisque « tous les Latinos, tous les Péruviens, nous sommes dans le nettoyage » :
Geneviève: ¿Cómo encontró el trabajo de limpieza?
Angel: Bueno, por el restaurant, por los amigos, uno sabe, uno aplica y es fácil.
Geneviève: Ah, okey. ¿Quiénes son los jefes? Son…
Angel: El jefe de la compañía de limpieza de… Es una compañía transnacional. Los dueños son franceses. Solamente hay aquí el director general, no sé quiénes son los dueños.
Geneviève: ¿Hay gente de todas partes que trabajan allá?
Angel: Bueno, generalmente todos los latinos, los peruanos, estamos en limpieza. Es fácil. Le hablas a un peruano, le dices hay trabajo así, ¿dónde está? En limpieza. Entonces nos pasamos la información54(Angel, entrevue M15).
L’affirmation que « tous les Latinos, tous les Péruviens » œuvrent dans le domaine du nettoyage est certainement une exagération. Rappelons toutefois qu’au Québec, plus du tiers des membres de la communauté péruvienne (32, 6 % en 2011) travaillent dans le domaine de la vente et des services selon la classification nationale des professions de Statistique Canada. Cette catégorie professionnelle inclut les nettoyeurs et les nettoyeuses55. Pour les Péruviens, il s’agit donc d’un domaine d’emploi facilement accessible. Dans la population générale, c’est le quart des travailleurs qui occupaient un emploi dans le domaine des ventes et des services pour l’année 2015 (Statistique Canada, 2016, cité par ISQ, 2017).

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