L’INNOVATION OUVERTE

 L’INNOVATION OUVERTE

Le premier chapitre est dédié à l’innovation ouverte, l’élément clé de notre thèse. En traitant de ce concept, nous poursuivons plusieurs objectifs : le premier est celui de la présentation de l’innovation ouverte en regardant de plus près la manière dont il a été défini, ses caractéristiques, et aussi la manière dont il a été accueilli par la communauté académique et celle des professionnels, en évoquant également deux des critiques qui lui ont été faites. Le deuxième objectif vise à remettre le concept d’innovation ouverte dans un contexte intellectuel plus large : nous présentons ainsi quatre repères de ce contexte plus large, à savoir les concepts de sagesse des foules, d’intelligence collective, d’innovation distribuée et d’innovation par les usagers. Le troisième objectif est de rendre plus intelligible le sens que prend le mot ouvert dans l’innovation ouverte, clarification nécessaire à nos yeux étant donné la proximité qu’il y a, par exemple, entre l’appellation originelle open innovation et l’open source. Enfin, nous terminons ce chapitre par une discussion sur la performance des pratiques d’innovation ouverte. Bien que de date récente, le concept d’innovation ouverte a connu un développement important dans le monde de l’entreprise, institutionnel et académique. Malgré des contestations, réserves et critiques, le concept élaboré par Henry Chesbrough en 2003 s’est progressivement imposé, représentant une nouvelle manière de regarder le processus d’innovation. Certains auteurs s’accordent à dire que l’innovation ouverte représente un nouveau paradigme du fonctionnement du processus d’innovation et de la recherche académique dans le domaine de l’innovation. Sur un autre ton, nous devons faire le constat de l’existence de peu de recherches ayant pour but d’enrichir le contenu théorique du concept de Chesbrough, la quasi-majorité des études reprenant la définition (voir Tableau 1, p. 14) et la description données par Chesbrough (2003, 2006), sans aller plus loin et s’interroger sur l’ouverture, sur les facteurs ayant permis l’émergence de ces idées, sur le cadre théorique plus large dans lequel on pourrait l’intégrer. Or, nous soutenons que cet effort est nécessaire et nous nous proposons dans ce chapitre de rendre explicites les caractéristiques de concept, allant de la description de ce qu’il représente à l’analyse de facteurs qui ont permis son apparition et la présentation de ses fondements théoriques. Ainsi, compte tenu du fait que les définitions données à l’innovation ouverte se situent le plus souvent comme une prolongation de la définition originelle de Chesbrough (2003) et compte tenu du fait que cette définition a été considérée comme imprécise (Barge-Gil, 2010 ; Dahlander et Gann, 2010), nous nous fixons comme premier objectif de cette thèse de proposer une nouvelle définition de l’innovation ouverte. Ainsi, notre première question de recherche est : Comment l’innovation ouverte peut-elle être définie de manière plus précise ?

De l’innovation fermée à l’innovation ouverte

 Comme Chesbrough (2003) l’affirme, c’est la réflexion d’un ex-directeur d’une entreprise de la Silicon Valley qui lui aurait inspiré la réflexion sur l’innovation ouverte. Ensuite, en adoptant une démarche d’historien, il s’est penché sur le cas de certaines entreprises qui lui ont permis d’enrichir sa réflexion théorique. L’observation principale concerne le changement par lequel sont passés bon nombre de départements de recherche et développement (R&D) au long du XXe siècle : intégrés verticalement aux entreprises desquelles ils faisaient partie, ils étaient la source primaire et souvent unique des connaissances que ces entreprises mettaient en œuvre dans l’élaboration de leurs produits et services. L’exemple du laboratoire PARC (Palo Alto Research Center), le centre de recherche de l’entreprise Xerox, est éloquent sur ce point. Etabli en 1970, sa création répondait à l’intention de Xerox d’élargir ses compétences au-delà du domaine de l’impression et du photocopiage (Chesbrough, 2003, p. 1) et faire de cette entreprise un acteur majeur dans le domaine des technologies de l’information. Quoique d’un point de vue strictement technique PARC remplit sa mission, Xerox fut incapable de tirer profit des technologies nouvelles créées par les chercheurs et les ingénieurs de son prestigieux laboratoire de recherche. En effet, celles-ci n’ont pas été exploitées par l’entreprise et la raison principale exposée par Chesbrough (2003) peut paraître paradoxale : Xerox a tout simplement suivi la logique dominante de son époque, à savoir la création, le développement et la commercialisation des produits par ses propres moyens, avec peu d’interaction avec l’environnement extérieur. C’est cette logique que Chesbrough (2003) appellera innovation fermée (closed innovation) ; son contrepoids, l’innovation ouverte doit être envisagée comme spécifique aux nouvelles conditions définissant le contexte de la fin du XXe siècle. Une considération mérite d’être rappelée ici : ces phénomènes d’innovation ouverte et fermée, malgré leur dénomination qui inspire une opposition irréconciliable, ne sont en réalité que les deux extrêmes d’un continuum. Nous pouvons mieux saisir cela en adoptant une démarche historienne et en regardant de plus près comment le processus d’innovation est apparu et s’est structuré dans l’entreprise ; pour faire cela, l’étude de l’historien économique W. Bernard Carlson (2003) peut nous éclairer davantage sur ces aspects. En regardant avec Carlson (2003) « la préhistoire » de la R&D, nous pouvons découvrir plusieurs grandes périodes, chacune caractérisée par un système propre d’organisation de l’innovation  . Ainsi, la période de la fin du XIXe siècle représente « l’âge d’or de l’invention héroïque », dominée encore par la figure de l’inventeur génial, source des idées pour les entreprises désireuses de les acquérir. Cependant, ce moment est aussi celui du début de l’institutionnalisation de l’innovation, dont l’exemple probablement le plus connu est celui de l’« invention factory » de Thomas Edison. Établie en 1876 à Menlo Park, New Jersey, suite au contrat qu’Edison a conclu avec la compagnie Western Union, elle se proposait de renforcer sa capacité d’innovation et répondre à la concurrence que lui faisait la Bell Telephone Company. Comme Carlson (2003, p. 207-208) le précise, ce début de l’institutionnalisation de la R&D passe par l’établissement d’une relation contractuelle entre un inventeur (dans l’exemple donné, Thomas Edison) et une entreprise (Western Union), relation préférée par toutes les parties impliquées à une intégration verticale pour des raisons évidentes : réduction au maximum des risques et coûts de développement de technologies encore mal comprises et préservation d’une liberté accrue pour l’inventeur. 

Les différents types d’innovation ouverte 

Un regard plus approfondi sur les pratiques d’innovation ouverte fait apparaître des pratiques différentes de collaboration dans le cadre desquelles l’entreprise trouve une source d’accès à des connaissances et/ou technologies qui lui sont extérieures, ainsi qu’une façon d’établir une trajectoire externe pour des connaissances et/ou technologies internes qui autrement resteraient non-valorisées. Chesbrough et Crowther (2006) désignent ces deux pratiques inbound open innovation, qu’on peut traduire par innovation ouverte entrante et outbound open innovation, qu’on peut traduire par innovation ouverte sortante. Pour ces auteurs, l’innovation ouverte entrante est définie comme « the practice of leveraging the discoveries of others: companies need not and indeed should not rely exclusively on their own R&D » (Chesbrough et Crowther, 2006, p. 229) et est considérée une source importante d’avantage concurrentiel. Le mouvement opposé, l’innovation ouverte sortante, implique de trouver des voies extérieures pour mettre sur le marché des projets conçus par l’entreprise et qui autrement resteraient non valorisés. Elle est définie par ces mêmes auteurs de la manière suivante : « outbound open innovation suggests that rather than relying entirely on internal paths to market, companies can look for external organizations with business models that are better suited to commercialize a given technology. » (Chesbrough et Crowther, 2006, p. 229) Les deux types d’innovation ouverte décrits par Chesbrough (2003, 2006) et Chesbrough et Crowther (2006) se retrouvent également dans l’observation de Gassmann et Enkel (2004) du cas IBM, bien que la terminologie utilisée par les derniers soit différente, à savoir processus entrant (outside-in process) et processus sortant (inside-out process). Il est également à noter que Gassmann et Enkel (2004) parlent également d’un processus couplé (coupled process), qui est une combinaison des processus entrant et sortant (voir figure 3, p. 23).

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