L’Iran et l’Islam en ses débuts

L’Iran et l’Islam en ses débuts

Le Prophète Muḥammad, en butte aux persécutions dont lui et les siens sont l’objet à La Mecque, décide, en 622, d’émigrer à Yathrib, la future Médine, c’est l’hégire, l’hijra, (exil, rupture, séparation dont la date, peu de temps après, marquera également séparation, rupture entre deux ères)1 . En ce lieu d’exil (dār al-hijra), il institue sa communauté, umma (le terme peut également signifier nation), dont il assure la consolidation par des expéditions militaires qui lui permettent, en 630, de revenir en vainqueur à La Mecque, où il disparaît deux ans plus tard. C’est à ses successeurs qu’il reviendra de prolonger ces expéditions en dehors de la péninsule arabique. Les succès initiaux qu’ils rencontreront contre Rome et les Sassanides leur procureront légitimité en même temps que gains substantiels ; ainsi encouragés dans leurs opérations, en une vingtaine d’années, ils se rendront maîtres, ou seront en voie de l’être, de la Syrie (634-638), de l’Égypte (640-642), de l’Irak (636-638) et de l’Iran (642-652)2 . Nous reviendrons en premier lieu sur les conquêtes arabo-musulmanes avant de porter l’examen sur l’espace iranien des premiers siècles de l’Islam, sa structuration sociale, le processus de conversion de ses populations à l’islam et, bien entendu, les dynasties en charge de son gouvernement.

Les conquêtes et leur prélude

Avant d’aborder ces conquêtes proprement dites, un bref détour s’impose du côté de la péninsule arabique au cours de la période qui précéda la révélation muḥammadienne puis d’évoquer également succinctement la geste du Prophète. Nous nous référerons principalement pour ces rubriques à l’ouvrage de Françoise Micheau publié en 2012 qui, nous semble-t-il, fait le point sur l’état de la recherche sur l’Islam en ses débuts.

Des confédérations tribales à l’umma médinoise

Des trois confédérations de tribus qui se partageaient la péninsule, les Lakhmides de Ḥīra, alliés des Sassanides, appellation à laquelle certains préfèrent celle de Nasrides3 , les Ġassānides (ou Jafnides), des frontières de la Syrie, alliés des Romains et les Ḥujrides qui, au nom des Ḥimyarites, contrôlaient une vaste partie de la péninsule4 , Micheau relève qu’elles s’effondrent en l’espace d’une cinquantaine d’années entre 550 et 602, ouvrant une période de désordres : Le déplacement du centre de gravité depuis le Yémen vers l’Arabie centrale ; l’hégémonie perse sur l’Arabie de sud ; le déclin économique qui affecte la région dans les décennies précédant l’Hégire, peut-être dû à un dessèchement du climat ; le recul du polythéisme et la diffusion du monothéisme, juif et chrétien. La voie était ouverte à une nouvelle construction politique et religieuse dans la péninsule Arabique, mais une construction qui reprenait pour une part des éléments existants.5 Un document, que l’historiographie occidentale dénomme la « Constitution de Médine » ou, selon la formule de Prémare, la « Charte de Yathrib » 6 , témoigne que la confédération (umma) instituée présente un caractère plus politique que religieux, versant qui n’est toutefois pas totalement ignoré puisque Dieu est déclaré garant du pacte de solidarité7 . Micheau relève que Muḥammad aurait été appelé à Yathrib pour mettre un terme aux conflits qui opposaient les clans et que les formulations utilisées, d’allures juridiques et politiques, visent à promouvoir l’alliance et la solidarité entre les participants qui reconnaissent en Muḥammad un chef « dont la fonction première est celle d’arbitre » 8 . Poursuivant ses réflexions, la chercheuse s’interroge sur le sens à donner au terme mū’minūn qui désigne les participants à la charte, relevant que le sens habituel « croyants », ne convient pas en l’occurrence. Elle se rallie à la proposition de Prémare qui rend le terme par « affidés » , pour autant qu’on lui donne son sens propre « ancien et non péjoratif » bâti sur le mot fides (foi) et visant par conséquent ceux qui peuvent « se fier » les uns aux autres1 . Il convient à ce stade, de s’intéresser un instant à la biographie de Muḥammad. Une telle biographie est impossible considère en substance Prémare, après avoir livré cette citation figurant dans l’introduction du Mahomet de Rodinson : Une biographie de Mahomet qui ne mentionnerait que des faits indubitables, d’une certitude mathématique, serait réduite à quelques pages et d’une affreuse sécheresse. Il est pourtant possible de donner à cette vie un caractère vraisemblable. Mais il faut, pour cela, utiliser des sources sur lesquelles nous n’avons que peu de garanties de véracité.2 C’est une conclusion assez similaire à laquelle parvient Ouardi après avoir observé que la Tradition avait moins pour objet d’établir une vérité historique que de fonder une histoire du salut : Ainsi, à chaque fois qu’on tente d’écrire sur la vie du Prophète, on est confronté à un dilemme clairement résumé par Harald Motzki : on ne peut pas écrire une biographie de Muḥammad sans être accusé de faire un usage non critique des sources de la Tradition ; en même temps, dès qu’on commence un travail critique sur les sources musulmanes, il devient impossible d’écrire une seule ligne sur la biographie du prophète. Cela a conduit des historiens comme Jacqueline Chabbi à faire des constats désespérés et à affirmer que la biographie du Prophète est tout simplement « impossible ». John Wansbrough pense que cette « impossibilité » ne vient pas du manque d’information mais du fait que l’histoire relatée dans la Tradition est elle-même une construction.3 Micheau observe pour sa part qu’aucun consensus ne ressort des nombreux travaux qui se sont consacrés à la geste muḥammadienne : elle tire néanmoins deux lignes de force qui s’en dégagent. La première est la prise de distance avec la tradition qui soulignait la radicalité d’un message muḥammadien qui aurait opéré rupture avec la période d’ignorance qui le précédait. La seconde repose sur la conviction que « la communauté musulmane a construit une figure prophétique devenue un modèle normatif » 4 . Il est temps d’en venir aux conquêtes, nous leur appliquerons le composé « arabo-musulmanes », l’expression « conquêtes arabes » portant en « filigrane » des interprétations erronées pour l’Iran oriental « où les armées étaient largement composées de non-Arabes » . 

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