L’usage des outils de gestion, une ressource de pouvoir

L’usage des outils de gestion, une ressource de pouvoir

Dans le chapitre précédent nous avons étudié les fonctions du DLA et nous avons observé que nous pouvions qualifier les effets du DLA sur les associations bénéficiaires de « professionnalisation contemporaine » (Boussard, 2014). Ici, nous nous intéressons à l’aspect gestionnaire de cette « professionnalisation contemporaine », entendue comme « une action conduite par les dirigeants ou l’encadrement d’une organisation pour mettre au travail des personnes et contrôler leur activité, en général au nom de la « performance » des produits ou du service rendu » (Boussard, 2014). Comment les outils de gestion sont-ils enrôlés (Boussard, 1998) ? Comment sont-ils saisis par les associations et plus spécifiquement par leurs dirigeants ? Quels usages ces derniers font-ils des outils de gestion ? Pour répondre à ces questions, nous proposerons une première partie (I) théorique sur la sociologie des outils de gestion, clarifiant notre posture épistémologique. Ensuite, à partir de l’analyse d’entretiens réalisés avec des dirigeants associatifs, la deuxième partie de ce chapitre portera sur le DLA comme ressource de pouvoir en interne pour le dirigeant de la structure (II). Puis, nous verrons que le DLA participe à structurer et formaliser les rôles entre dirigeants salariés et bénévoles (III). La partie suivante portera sur les usages externes du DLA, de ce dernier par les dirigeants vis-à-vis de leurs financeurs, et inversement (IV). Enfin, dans la dernière partie, nous explorerons plusieurs cas d’échec, ceux-ci nous éclairant sur les interactions entre les différentes parties prenantes des accompagnements (V).

Regard sociologique sur la gestion

Qu’est-ce qu’un « outil de gestion » ? Comment les caractériser ? Pour Jean- Claude Moisdon (1997), si la distinction entre un « outil » et une « règle » (ou méthode ou pratique) n’est pas toujours évidente, l’auteur distingue différentes finalités. « Une règle peut être informelle, un outil de gestion non, car il constitue toujours une représentation formalisée d’un fonctionnement organisationnel. Un outil de gestion n’est pas nécessairement prescriptif, censé principalement instruire les choix, les orienter et les évaluer. » (p. 10) Ces difficultés n’empêchent pas une méthodologie pour les saisir, c’est ce que proposent Chiapello et Gilbert (2013). Ils proposent une manière pratique de décrire les outils de gestion à travers trois dimensions. La première est « fonctionnelle » : « on parlera par exemple d’outils marketing (panel de consommateurs, cycle de vie d’un produit, enquête de marché, etc.), d’outils de gestion des ressources humaines (supports d’entretien annuel de performance, plan de formation, tests de recrutement, etc.) ou d’outils de stratégie (modèle de développement, matrices stratégiques, méthode des scénarios, etc.) » (p. 33). Cette catégorisation a une logique analogue à celle qu’avait réalisée Fayol (1925) en découpant la conduite des organisations en six fonctions différentes : la fonction comptable (et financière), la fonction marketing, la fonction gestion des ressources humaines, la gestion logistique (de la production), le contrôle de gestion (et la planification) et la direction générale ou management stratégique. La seconde dimension que distinguent Eve Chiapello et Patrick Gilbert est la « matière » à laquelle s’applique l’outil (de quoi est-elle faite ?). Ils distinguent 1/ des gens (leurs compétences, leur âge, leur salaire, leur capacité d’endettement, leurs goûts, etc.) ; 2/ des choses (volumes de stocks de matière première ou de produits, etc.) ; 3/ des éléments considérés comme ressources (budget, matière, effectifs, etc.) ; 4/ des actions (nombre de visites clients, temps alloué aux activités, etc.) ; 5/ des résultats d’activité (chiffres d’affaires, marges, niveaux d’avancement d’un projet, nouveaux clients, etc.). Enfin la troisième dimension est « processuelle », celle de son actualisation dans l’usage. C’est cette dimension qui nous intéressera principalement. Approches critiques, institutionnalistes et interactionnistes.

Chiapello et Gilbert (2013) proposent aussi une classification des auteurs de la sociologie de la gestion, ils distinguent trois grandes familles d’approches : les approches critiques, les approches institutionnalistes, les approches interactionnelles. La première grande famille est celle des approches critiques composées de sociologies d’inspiration marxiste, foucaldienne et bourdieusienne. Dans cette perspective, la « gestion n’est pas neutre » (Boussard & Maugeri, 2003), les dispositifs de gestion sont pris dans des relations qu’ils instrumentalisent et sont en fait des pièces maîtresses et agissantes permettant la domination de certains sur d’autres. La gestion est propre au capitalisme néolibéral et derrière une apparente neutralité technique, elle fait le jeu des groupes dominants. Dans cette perspective, les dispositifs de gestion sont les instruments des cadres, des managers et découlent du projet de maîtrise de l’action collective par le sommet stratégique. Les apports de la sociologie foucaldienne enrichissent cette perspective top down, en prenant les outils de gestion comme des « dispositifs » (Foucault, 1991), c’est-à-dire comme des agencements matériels, des formats d’information, des procédures d’utilisation, des représentations morales sur ce qui est bien, des théories scientifiques, etc.

Le pouvoir produit du savoir qui produit du pouvoir ; il s’agit de chercher derrière toute forme de savoir le pouvoir qui l’a produit et le pouvoir qu’il permet et de chercher derrière tout exercice du pouvoir, au travers de dispositifs, les savoirs que ces derniers permettent et qui les fondent. Les approches institutionnalistes se déclinent en trois groupes d’auteurs, les néo-institutionnalistes, les conventionnalistes et les structurationnistes. L’apport de ces auteurs est d’étudier le rôle des institutions au niveau de champs institutionnels composés d’ensembles d’organisations en interactions régulières. Les institutions forment des champs de forces qui structurent les comportements organisationnels : les organisations sont influencées par leur environnement. Les conventionnalistes quant à eux sont plus sensibles aux contenus normatifs des institutions, aux comportements et formes de jugement que celles-ci prescrivent. Ce sont les conventions, dont sont porteurs les outils de gestion qui les intéressent, car elles conditionnent l’action. Dans les approches interactionnelles, ce sont les notions d’acteur et surtout d’interaction qui sont centrales. Ces approches localisées et spécifiques reposent sur la singularité et offrent une analyse de la gestion comme soumise aux jeux d’acteurs. Les outils de gestion ne sont rien hors du système d’activité, ils sont le résultat d’agencements humains/non-humains.

 

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *