Mise au point d’une technique d’analyse de microrestes de la TBE

Mise au point d’une technique d’analyse de microrestes de la TBE

La technique d’analyse a été mise au point par mon collègue Lionel Navarro au doctorat en Biologie à l’université du Québec à Chicoutimi et moi-même. Ainsi, cette méthode nous a permis la publication de l’article de Navarro et al. (2017) publié dans le Canadian Journal of Forest Research.

La dendrochronologie est un outil important et précis pour déceler les épidémies de la TBE des derniers siècles (Morin 1998). Par contre, cette technique est limitée puisqu’il est seulement possible de remonter à environ 300 ans dans le passé, en raison de la durée de vie des arbres en forêt boréale. Des arbres récoltés dans les lacs ont permis de construire une chronologie d’environ 1500 ans avec les cernes de croissance (Arseneault et al. 2013). Toutefois, il serait important de remonter plus loin dans le temps afin de déceler les épidémies de la TBE et déterminer leur importance durant l’Holocène. La paléoécologie est alors un bon moyen pour répondre à ce besoin. L’analyse macro-fossile dans les sédiments permet de déceler certaines traces laissées par les insectes (Simard et al. 2002). La recherche de fèces ou encore de capsules céphaliques de la TBE dans les sédiments de tourbe ont déjà été utilisées par Simard et al. (2006). Ces deux types de macro-restes permettent de remonter assez loin dans le temps, mais ils présentent certaines limites. Les fèces de TBE sont présentes en très grande quantité dans les sédiments, mais on pense qu’elles se dégradent facilement puisqu’elles sont composées de matière organique. De plus, une grande quantité de sédiment est nécessaire pour leur analyse et leur identification reste complexe (Simard et al. 2002). L’identification des capsules céphaliques des larves de la TBE est aussi difficile et elles ne sont pas présentes en grande quantité puisqu’il n’y a qu’une seule capsule par stade larvaire. Une nouvelle approche originale et innovante peut être utilisée pour faciliter l’analyse paléoécologique de la TBE, soit l’analyse des écailles de papillons présentes en très grand nombre sur leurs ailes (Navarro et al. 2017). La TBE est un lépidoptère, c’est à-dire que la larve se transforme éventuellement en papillon dans son cycle biologique (MFFP 2015). Les écailles sont composées essentiellement de protéines, de pigments ainsi que de chitine, qui est présente à plus de 83% (Zhang et al. 2014). La chitine est un polysaccharide très résistant constituant les structures tégumentaires de nombreux organismes comme les arthropodes et les insectes (Weatherspoon et al. 2008). Étant formées de cette molécule, nous posons l’hypothèse que les écailles seraient très résistantes à la dégradation et pourraient être conservées à travers le temps dans les sédiments lacustres en conditions anaérobiques. Nous posons aussi l’hypothèse que les écailles seront retrouvées en plus grand nombre en périodes épidémiques qu’en périodes endémiques .

DATATION DES ÉCHANTILLONS AU CARBONE 14

Afin d’analyser les résultats, il est nécessaire de dater quelques échantillons au Carbone 14. Ainsi, douze échantillons de la carotte ont été prélevés à des intervalles de 50 cm pour obtenir le meilleur profil chronologique. Les sédiments ont été préparés au Centre d’Études Nordique de l’Université Laval, puis envoyés au laboratoire Keck Carbon Cycle de l’Université de Californie pour effectuer la datation au Carbone 14 à l’aide d’un accélérateur de spectrométrie de masse (AMS).

Les dates Carbone 14 que nous recevons du laboratoire d’analyse sont en âge radiocarbone conventionnel. Les dates doivent être calibrées et transformés pour obtenir des dates calibrées en années BP (Calibrated Before Present (Cal. BP)), soit leur âge avant 1950 pour chaque profondeur de la carotte (Telford et al. 2004; Blaauw 2010a). Pour ce faire, la base de données IntCal13 a été utilisée pour calibrer les dates Carbone 14 (Reimer et al. 2013). Les dates calibrées ont ensuite été mises sur une échelle de temps conventionnelle en appliquant une interpolation linéaire à l’aide du logiciel CLAM 2.2 en lien avec le logiciel R studio (Blaauw 2010b).

DÉFLOCULATION ET TAMISAGE

La méthodologie incluant les étapes de la défloculation, de la précipitation et de l’identification des écailles a permis la publication de l’article de Navarro et al. (2017) publié dans le Canadian Journal of Forest Research.

La défloculation des échantillons de sédiment a été nécessaire afin de séparer la matière organique dans l’échantillon et faciliter l’observation des écailles au microscope. Les études en paléoécologie prélèvent habituellement des volumes de 1cm³ de sédiment pour l’analyse des charbons de bois ou des macrorestes végétaux (Carcaillet 2001; Ali et al. 2009). Toutefois, nous avons décidé de prendre une masse constante de 0,5 g pour chaque centimètre de la carotte pour nous permettre de retrouver assez d’écailles. Ainsi, 0,5 g de sédiment sec ont été prélevés et déposés dans un bécher de 250 ml où l’on ajoute 100 ml d’hydroxyde de potassium 10 % (Frey 1986). Ce bécher a été mis sur une plaque chauffante pendant 30 minutes à une température gardée entre 70 et 80 degrés Celsius avec un léger brassage manuel. Si la matière organique est présente en trop grande quantité, le temps de chauffage peut aller jusqu’à une heure. Ensuite, le contenu du bécher est passé dans un tamis de 53 µm pour se débarrasser des fines particules. La matière restante est mise dans une éprouvette en plastique de 15 ml.

PRÉCIPITATION DES ÉCAILLES

L’architecture poreuse de la chitine dans l’écaille permettrait la flottaison de celle-ci dans une solution plus dense (Weatherspoon et al. 2008). Par contre, pour réussir à amasser une grande quantité d’écailles, il faut centrifuger les éprouvettes à grande vitesse pour les faire précipiter. Pour ce faire, l’échantillon défloculé et tamisé a été mis dans un tube en plastique de 15 ml pour la centrifugation. Ensuite, 8 ml de solution sucrée ayant une densité de 1,24 g/ml est ajoutée dans le tube de centrifugation. Il est bien important de mélanger le contenu du tube au vortex pour détacher les écailles des sédiments avant chaque centrifugation. Une première centrifugation a été effectuée à 500 RCF pendant 10 minutes pour faciliter la migration des écailles dans la colonne de solution sucrée. La colonne est ensuite récupérée et placée dans un tube de centrifugation en plastique de 50 ml. Deux autres centrifugations à 500 RCF avec la solution sucrée sont effectuées et les colonnes sont prélevées à chaque fois pour récupérer le plus d’écailles possibles dans l’échantillon. Dans le tube de plastique de 50 ml, de l’eau est ajoutée jusqu’à 50 ml pour ainsi diminuer la densité de la solution et faciliter la précipitation des écailles.  Le tube de 50 ml est ensuite centrifugé à une vitesse de 3900 RCF pendant 20 minutes, ce qui fait précipiter tous les éléments présents dans la colonne. Le surnageant est ensuite jeté et le culot est gardé dans le tube. À l’aide d’une pipette pasteur, on récupère le culot et on le met sur des lames de microscope. Ces lames sont observées systématiquement au microscope à un grossissement de 10X et les écailles sont dénombrées et prises en photo pour chaque échantillon.

IDENTIFICATION DES ÉCAILLES

La classification des écailles est nécessaire pour s’assurer que la majorité des écailles dénombrées dans le sédiment proviennent bien de la TBE. Pour ce faire, une analyse morphométrique des écailles a été effectuée. Les écailles de trois espèces de lépidoptère défoliateur causant des épidémies majeures dans la forêt boréale de l’Est de l’Amérique de Nord ont étés analysées : celles de la livrée des forêts (Malacosoma disstria), de l’arpenteuse de la pruche (Lambdina fiscellaria), ainsi que celles de la tordeuse des bourgeons d’épinettes (Choristoneura fumiferana). Pour chaque espèce, les ailes antérieures et postérieures ont été prélevées sur 4 mâles et 4 femelles de papillons. À l’aide de pinces et de pinceaux, les écailles ont été prélevées des ailes pour être ensuite déposées sur des lames de microscope. Pour assurer une sélection aléatoire et systématique, une grille de 10×10 a été utilisée sous le microscope et la première écaille rencontrée dans chaque cellule de la grille était sélectionnée. Un total de 2400 écailles ont été analysées pour chaque espèce de papillons. Des descripteurs elliptiques de Fourier (DEF) ont été utilisés pour faire un classement de la forme des écailles. Les coefficients de la DEF sont calculés à partir du contour codé de chaque écaille avec le logiciel SHAPE v.1.3 utilisant 20 harmoniques. Ces coefficients ont été normalisés pour être invariables par rapport à la taille, à la rotation et à la position. Cette procédure a généré une grande quantité de coefficients pour chaque écaille qui ont été condensés en effectuant une analyse de composantes principales. Six paramètres principaux comme la longueur, la largeur, l’aire et le périmètre ont été utilisés pour effectuer la caractérisation de la forme des écailles. Avec le logiciel Image J, la circularité et le nombre de pointes ont aussi été mesurés. Tous ces paramètres de forme ont été utilisés pour effectuer une analyse discriminante. Il a été possible de classer correctement les écailles de la tordeuse des bourgeons d’épinette à 68 %, celles de l’arpenteuse de la pruche à 79% et celles de la livrée des forêts à 62%  .

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 MISE AU POINT D’UNE TECHNIQUE D’ANALYSE DE MICRORESTES DE LA TBE
1.1 PROBLÉMATIQUE
1.2 MÉTHODOLOGIE
1.2.1 ÉCHANTILLONNAGE
1.2.2 DATATION DES ÉCHANTILLONS AU CARBONE 14
1.2.3 DÉFLOCULATION ET TAMISAGE
1.2.4 PRÉCIPITATION DES ÉCAILLES
1.2.5 IDENTIFICATION DES ÉCAILLES
1.2.6 ANALYSE DES ÉCAILLES DE TBE
1.3 RÉSULTATS
1.3.1 PROFIL CHRONOLOGIQUE DE LA PREMIÈRE CAROTTE DU LAC FLÉVY
1.3.2 HISTORIQUE DES TEMPÉRATURES EN JUILLET EN AMÉRIQUE DU NORD ET TAUX D’ACCUMULATION DES MACRO-RESTES DES DIFFÉRENTES ESPÈCES DE RÉSINEUX DU LAC FLÉVY
1.3.3 TAUX D’ACCUMULATION DES ÉCAILLES DE LA TBE
1.3.4 ÉVÈNEMENTS OÙ LES POPULATIONS DE LA TBE SONT ÉLEVÉES (EPE) ET FRÉQUENCE DE CES ÉVÈNEMENTS
1.3.5 INTERVALLES DE TEMPS ENTRE LES EPE
1.3.6 CLASSEMENT DES ÉCAILLES
1.4 DISCUSSION
1.4.1 DISTRIBUTION DES ÉCAILLES DE LA TBE ET FRÉQUENCE DES EPE
1.4.2 INTERVALLE DE TEMPS ENTRE LES ÉPIDÉMIES DE LA TBE
1.4.3 IDENTIFICATION DES ÉCAILLES
CHAPITRE 2 RELATION ENTRE LES FEUX ET LES ÉPIDÉMIES DE LA TBE
2.1 PROBLÉMATIQUE
2.2 MÉTHODOLOGIE
2.2.1 ÉCHANTILLONNAGE
2.2.2 DATATION DES ÉCHANTILLONS AU CARBONE 14
2.2.3 DÉFLOCULATION ET TAMISAGE
2.2.4 ANALYSE DES CHARBONS ET COMPARAISON AVEC LES ÉCAILLES DE LA TBE
2.3 RÉSULTATS
2.3.1 PROFIL CHRONOLOGIQUE DE LA DEUXIÈME CAROTTE DE
SÉDIMENTS DU LAC FLÉVY
2.3.2 TAUX D’ACCUMULATION DES ÉCAILLES DE TBE ET DES CHARBONS DE BOIS
2.3.3 FEUX ENREGISTRÉS
2.3.4 FRÉQUENCE DES FEUX ET DES ÉPIDÉMIES DE LA TBE
2.3.5 INTERVALLE DE TEMPS ENTRE LES FEUX (FRI) ET CELUI ENTRE LES ÉPIDÉMIES DE LA TBE (SBORI)
2.4 DISCUSSION
2.4.1 DISTRIBUTION DES CHARBONS DE BOIS ET FRÉQUENCE DES FEUX..
2.4.2 TAUX D’ACCUMULATION DES CHARBONS DE BOIS ET DES ÉCAILLES DE LA TBE ET FRÉQUENCE DES ÉVÈNEMENTS
CONCLUSION

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