Modélisation des processus, analyse d’incertitude et traitement des données

Eaux conventionnelles ; des problèmes croissants en quantité et qualité

Le monde est confronté à des problèmes croissants de limitations des ressources en eau qui résultent de l’accroissement des populations (Qadir et al., 2010), de l’urbanisation croissante (Kennedy et al., 2012), du réchauffement global de la planète (IPCC, 2013), et de la diversification des usages de l’eau (Asano, 1998). Certains pays présentent des indices de stress hydriques élevés (Bixio et al., 2006). A ces problèmes s’ajoutent une dégradation de la qualité des ressources en eaux conventionnelles. On observe une salinisation croissante des aquifères littoraux liée à leur surexploitation (Taylor et al., 2012 ; Giungato et al., 2010), et une contamination des ressources en eaux conventionnelles due au déversement d’eaux usées non ou insuffisamment traitées (Van der Bruggen, 2010).

Des tensions et des conflits existent pour l’accès aux ressources en eau dans certaines régions (Brown et Matlock, 2011 ; Paquerot, 2007). Selon Vörösmarty et al. (2010), 80% de la population mondiale est exposée à des niveaux élevés de menace par rapport à la ressource en eau (Figure II.1). Figure II.1 : Carte mondiale des zones dont la ressource en eau est menacée dans le futur, d’après Vörösmarty et al. (2010). On estime que l’activité humaine prélève chaque année environ 3800 milliards de m3 d’eau, dont 70 % sont utilisés pour l’irrigation, 22 % pour l’industrie et 8 % pour les usages domestiques (AFD, 2011). Le recyclage des eaux usées peut permettre de faire face simultanément aux problèmes d’eau en quantité et en qualité (Bixio et al., 2008). Il est déjà pratiqué notamment en irrigation (agricole, de parcs, d’aires de sport, de surfaces boisées) (Angelakis et Durham, 2008), à des fins industrielles (Van der Bruggen, 2010), voire pour la redistribution en eau potable (Du Pisani, 2006 ; Leverenz et al., 2011). Toutefois à l’échelle mondiale, la réutilisation des eaux usées concerne moins de 4 % de ces eaux et permet d’entrevoir une intensification de cette pratique (AFD, 2011). Le recyclage des eaux usées est très variable entre pays, en termes de proportions d’eaux réutilisées, de traitements préalables, d’usages et de règlementations associées (FAO et OAA, 2011 ; Bixio et al., 2008) comme illustré par la Figure II.2.

Le recyclage des eaux usées ne cesse d’augmenter dans certains pays comme Israël, les Etats-Unis, la Chine et Australie (Van der Bruggen, 2010). Les niveaux de traitements avant recyclage varient en fonction du type de réutilisation et avec les pays. Si certains pays poussent très loin le traitement des eaux usées avant recyclage jusqu’à la potabilisation, plusieurs pays en développement ré-utilisent de l’eau usée brute en agriculture (Tunisie (Qadir et al., 2010), Pakistan (Ensink et Van der Hoek, 2006)). Il s’agit parfois d’un choix délibéré (éventuellement en opposition avec la politique régionale) pour fertiliser les terres, les eaux usées non traitées étant plus riches en duvers fertilisants (notamment N et P) que les eaux usées traitées (Scott et al., 2010 et 2000). L’expérience de Mexico City apparaît comme le plus important projet de réutilisation des eaux usées au niveau mondial (Jiménez-Cisneros et Chávez-Mejía, 1997) : presque 100 % des eaux usées brutes de la capitale mexicaine sont réutilisées pour l’irrigation de plus de 85 000 ha supportant diverses cultures agricoles. Un exemple de projet fonctionnant en France depuis 1996 est le périmètre agricole de l’ASA Limagne noire qui a été initié grâce à un partenariat efficace entre une association d’une cinquantaine d’agriculteurs (ASA Limagne Noire), la communauté d’agglomération Clermontoise, les gestionnaires de la Station d’épuration des eaux usées (STEU) (Véolia-Environnement), la sucrerie de Bourdon (voisine de la STEU) qui a mis à disposition ses lagunes pour un traitement tertiaire des EUT et Somival, l’entreprise qui a conçu et dimensionné le projet. Aujourd’hui, 1500 ha sont équipés pour être irrigués par des eaux usées traitées, 700 ha l’étant en pratique chaque année pour assurer un temps de résidence des eaux usées traitées d’au moins 15 jours dans les lagunes entre avril et septembre. Les cultures sont principalement le maïs et la betterave, irrigués à partir d’asperseurs type canon ou rampe d’irrigation de type pivot (Figure II.3).

En Europe, la France affiche un certain retard, Lazarova et Brissaud (2007) observaient que seulement 2300 ha étaient irrigués par des eaux usées traitées (EUT), comparée à ses voisins comme l’Italie où pour la seule région de Milan les eaux usées traitées (EUT) irriguent 22000 ha de cultures maraîchères à haute valeur ajoutée (Mazzini et al., 2013), et l’Espagne dont les ambitions sont de réutiliser la totalité des eaux usées traitées d’ici 5 à 10 ans (Iglesias et al., 2010). Plusieurs facteurs peuvent expliquer le retard de la France : les ressources en eaux conventionnelles y sont peu limitantes avec un indicateur de stress hydrique inférieur à 20 % (Bixio et al., 2006), plus faible que ceux de l’Espagne ou de l’Italie, une règlementation stricte (Molle et al., 2012 ; Lazarova et Brissaud, 2007) parfois insuffisamment justifiée et pouvant freiner des initiatives dans ce domaine (Renault et al., 2014). Cependant, même si la ressource en eau en France est globalement supérieure à la demande, chacun a en mémoire les restrictions d’eau imposées dans certaines régions ces dernières années dues aux sécheresses récurrentes liées aux irrégularités des précipitations et l’apparition plus fréquente d’épisodes de canicule. Même si la France se situe en tête des pays producteurs de technologies de traitements des eaux avec des entreprises comme SUEZ Environnement (et notamment Degremont) et VEOLIA-eau, la réutilisation des eaux usées est limitée à quelques sites où il y a clairement une difficulté d’approvisionnement en eau ou un risque pour le maintien de la qualité de la ressource, notamment dans les îles (Porquerolles, Ré, Oléron ) ou à proximité des côtes où la surexploitation des aquifères peut entraîner leur salinisation, mais aussi à l’intérieur des terres lorsque la ressource en eau conventionnelle nécessite un transport sur de longues distances (Limagne Noire à côté de Clermont-Ferrand).

Certaines collectivités ont fait le pas pour équiper des espaces verts, terrains de golf (Ste Maxime, Pornic, (Baumont, 2002)) ou encore le lavage des voiries, pour aller vers un développement durable, tout en valorisant la ressource en recyclant des déchets, mais les exemples restent relativement rares (AFD, 2011). Les coûts associés à la réutilisation des eaux usées sont en effet importants au début, avec l’installation des infrastructures nécessaires pour la collecte des eaux usées, leur traitement, leur distribution tout en respectant les règles édictées aux échelles nationales ou régionales (Citons par exemple en France les normes à suivre pour irriguer des parcelles agricoles données par l’Arrêté du 25 juin 2014 que nous présenterons plus loin dans la section II.2.e).

Des risques très divers

En fonction de leurs origines, les eaux usées, peuvent être chargées de nombreux produits chimiques organiques ou inorganiques d’origines domestiques ou industrielles (Leverenz et al., 2011) dont des métaux lourds (Lente et al., 2012 ; Barakat et Schmidt, 2010) et en pathogènes de l’homme (Pachepsky et al., 2011 , Gerba et Smith, 2005). Dans certains pays, les agriculteurs épandent directement les eaux usées brutes non traitées plus chargées en fertilisants tels que l’N et le P (Drechsel et Evans, 2010 ; Qadir et al., 2010 ; Scott et al., 2010). A côté de leur rôle bénéfique pour les sols et les cultures, ces eaux peuvent aussi contenir des composés toxiques pour l’environnement (éléments traces métalliques dont Zn, Cd, As, Pb (Lente et al., 2012), parfois Na+, Cl- et borate à fortes concentrations (Sou\Dakouré et al., 2013), substances organiques émergentes très variées dont les produits pharmaceutiques (Papaiacovou et Papatheodoulou, 2013). De nombreuses études ont détecté dans les eaux usées des bactéries type salmonelles, légionelles (AFSSA, 2008), des protozoaires (Salgot et al., 2003), des oeufs d’helminthes (Salgot et al., 2003), et des virus entériques (Petrinca et al., 2009 ; Symonds et al., 2009). Les risques sont conditionnés par l’existence ou non d’un traitement des eaux, par la nature et le niveau du traitement ainsi que par le niveau de santé des populations. Néamoins pour des eaux usées d’origine domestique, les risques liés aux éléments traces métalliques sont faibles, car ils sont retirés très efficacement au niveau des STEU par les traitements conventionnels.

La question se pose davantage en ce qui concerne les substances organiques émergentes. En effet, il existe un grand nombre de substances rejetées dans les eaux usées. Même si l’on reste très généralement en-deçà des seuils de toxicité, on manque encore de connaissances sur leurs effets combinés ainsi que sur l’effet d’une exposition chronique a une ou plusieurs de ces substances. En ce qui concerne les risques microbiologiques, la présence d’oeufs d’helminthes correspond à un risque mineur en France car les traitements en STEU sont efficaces même en l’absence de traitement tertiaire (Lazarova, 2004). Leur contrôle a été éliminé de la règlementation Française de 2014 relative à la réutilisation des eaux en irrigation, pour partie pour cette raison, et pour partie à cause de la détection de faux positifs. Les bactéries pathogènes dans les eaux usées génèrent un risque plus élevé du fait de concentrations retrouvées plus fortes (jusqu’à 109 bacteries/100 mL pour les salmonelles (Bitton, 2005)), de leur résistance à certains traitements (La Rosa et al., (2010) indiquent toutefois un abattement moyen de plus de 98 % et jusqu’à 6 log10 avec un traitement secondaire, suivi d’une faible chloration), et de l’apparition de souches résistantes. De nombreuses études traitent de leurs devenirs dans l’environnement aussi bien dans l’eau, sur le sol ou dans l’air (Morris et al., 2014).

Les virus peuvent être retrouvés en forte concentration dans les eaux usées brutes jusqu’à 107 virus.L-1 pour les norovirus et le virus de l’hépatite A (Sidhu et al., 2009). Ils sont également moins sensibles au traitement. Ainsi Bofill-Mas et al. (2006) trouvent par exemple une concentration après traitement secondaire pour les adenovirus de 3 log10 GC.100 ml – 1 (en Espagne) et Flannery et al. (2012) notent pour les norovirus des concentrations de 2.58 log10 GC.100 ml-1(au Royaume), Prevost et al., (2015) pour les astrovirus retrouvent des concentration de 3 à 4 log10 GC.100 mL-1 et pour les rotavirus de 2 à 3 log10 GC.100 mL- 1 (en France). La mesure de la qualité microbiologique des eaux se fait le plus souvent par la mesure d’indicateurs microbiens tels qu’Escherichia coli et les Entérocoques fécaux mais se montre peu fiable comme indicateurs de ces derniers. Ainsi il parait essentiel d’approfondir les connaissances sur le devenir des virus aussi bien lors des traitements en STEU que du devenir environnemental et lors de la réutilisation de ces eaux en irrigation.

Traitements des eaux usées et effets sur les pathogènes

En pays développés, les traitements des eaux usées d’origine domestique comprennent très généralement 2 à 3 étapes avant leur rejet dans l’environnement (ruisseau, rivière, aquifère, mer), en fonction du niveau de qualité exigé, pour partie associé à la fragilité du milieu récepteur (Figure II.4). Ils débutent par un prétraitement ou traitement primaire destiné à éliminer les solides en suspension, les huiles et les graisses, à l’aide d’opérations de dégrillage, désablage et déshuilage. La décantation primaire associée au désablage permet d’éliminer une partie des solides en suspension (>100 μm) ; elle peut être complémentée par une décantation secondaire après ajout de produits chimiques permettant la floculation de matières en suspension et la formation d’agglomérats ensuite éliminés. La coagulation/floculation chimique permettant de retirer davantage de matière solide en suspension (80- 90 %) ainsi qu’environ 80-90 % des coliformes et des oeufs d’helminthes (Lazarova, 2004). Ils se poursuivent par un traitement secondaire destiné d’abord à abaisser fortement la charge en matière organique facilement dégradable, voire à éliminer partiellement N et P ; il s’agit très généralement d’un traitement de type biologique (boues activées …) en partie piloté par l’aération du système. En sortie de traitement par les boues activées, les eaux usées passent dans un clarificateur qui sert à séparer les eaux des boues.

Des microorganismes pathogènes peuvent se retrouver dans ces boues et leur manutention présente des risques pour l’homme (Wéry et al., 2010). D’autres techniques de traitement secondaire existent comme le lit bactérien – les bactéries sont fixées sur un substrat neutre sur lequel on fait passer les effluents (Altmeyer et al., 1990) –, le lit immergé – l’effluent traverse le support qui joue le rôle de filtre –, et le digesteur ou méthaniseur permettant de mettre les eaux dans un environnement clos avec des bactéries anaérobies et des archées pour produire du CH4 et diminuer les charges en composés indésirables. À ce stade, les traitements n’ont que peu d’effet sur les virus avec un abattement entre 0 et 2 log10 (WHO, 2006). Dans la plupart des stations d’épuration, les traitements s’arrêtent à ce niveau. Néanmoins, pour les rejets en zones classées « zones sensibles » ou dans le cadre d’une réutilisation des eaux usées pour diverses applications (irrigation agricole, réutilisation industrielle, réutilisation urbaine, injection dans les aquifère, potabilisation de l’eau …), des traitements plus poussés peuvent être effectués. Les traitements tertiaires sont très variés. Concernant la réutilisation des eaux usées, l’élimination de certaines des pollutions biologiques et/ou chimiques (éléments traces metaliques, borate, certain microrganismes …) peut se faire plus ou moins naturellement dans le temps (compétition avec d’autres microorganismes, inactivations liées aux rayonnements solaires en lagune, chauffage d’eau contenue dans des ballons …). Utilisé en traitement tertiaire, le lagunage consiste à utiliser des bactéries, des algues et les conditions environnementales (lumière et température) pour éliminer des polluants (dans certain cas, le lagunage remplace un traitement par boue activée et constitue un traitement secondaire). En traitement tertiaire, Verbyla et Mihelcic (2015) ont observé une réduction en moyenne d’1 log de virus au bout de 14.5 à 20 jours de lagunage. Toutefois, des traitements tertiaires « plus intensifs » peuvent s’avérer nécessaires pour réduire les risques associés à la présence de pathogènes de l’homme (voire de composés nocifs pour l’homme et/ou l’environnement) et pour être en conformité avec les règlementations régionales ou nationales. Divers procédés peuvent être mis en oeuvre pour éliminer les microorganismes pathogènes (Baumont et al., 2004) avec :

Table des matières

RESUME DE LA THESE
REMERCIEMENTS
LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES ABREVIATIONS
CHAPITRE I) INTRODUCTION : QUELQUES ELEMENTS DE CONTEXTE
CHAPITRE II) SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
II.1. INTRODUCTION
II.2. RESSOURCES EN EAU ; REUTILISATION DES EAUX USEES ET RISQUES ASSOCIES
II.2.a. Eaux conventionnelles ; des problèmes croissants en quantité et qualité
II.2.b. Des risques très divers
II.2.c. Traitements des eaux usées et effets sur les pathogènes
II.2.d. L’évaluation quantitative des risques pour la santé
II.2.e. Lignes directrices proposées, règlementations et normes
II.3. LES VIRUS ENTERIQUES DE L’HOMME PRESENTS DANS LES EAUX USEES
II.3.a. Caractères généraux des virus
II.3.b. Présence des virus entériques de l’homme dans les eaux et l’air
II.4. DEVENIR « ATMOSPHERIQUE » DES VIRUS : AEROSOLISATION ET INACTIVATION
II.4.a. Aérosolisation ou ré-aérosolisation
II.4.b. Inactivation dans l’air
II.5. CONCLUSION
CHAPITRE III) AEROSOLISATION DES VIRUS A PARTIR DU SOL
III.1. INTRODUCTION :
III.2. MATERIELS ET METHODES
III.2.a. Matériels
III.2.b. Protocoles expérimentaux et plan d’expérience
III.2.c. Modélisation des processus, analyse d’incertitude et traitement des données
III.3. RESULTATS ET DISCUSSIONS
III.3.a. Incertitudes et biais liés aux métrologies et protocoles expérimentaux
III.3.b. Résultats des expérimentations sous tunnels
III.4. CONCLUSION
CHAPITRE IV) INACTIVATION DANS L’ATMOSPHERE DES VIRUS
IV.1. INTRODUCTION
IV.2. MATERIELS ET METHODES
IV.2.a. Le Virus
IV.2.b. Protocoles expérimentaux et plan d’expérience
IV.2.c. Modélisation des processus ; traitement des donnés expérimentales
IV.2.d. Analyse de jeu de données expérimentales de la littérature
IV.3. RESULTATS ET DISCUSSIONS
IV.3.a. Niveau initial d’inoculation des tubes ; tests d’homogénéité entre expériences
IV.3.b. Evaluation du maintien des nombres de copies génomiques d’ARN viral
IV.3.c. Inactivation des virus
IV.3.d. Analyse des nombres de copies génomiques d’ARN viral
IV.4. CONCLUSION
CHAPITRE V) CONCLUSION ET PERSPECTIVES
BIBLIOGRAPHIE GLOBALE

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