Mortalité de masse et infection bactérienne chez les bivalves

La culture des mollusques et de l’huître en particulier, contribue au développement socio-économique de plusieurs régions côtières. L’augmentation de la production de bivalves pour la consommation humaine implique un développement constant des techniques de production larvaire en écloserie. Une des contraintes significatives qUI influencent le succès de la production larvaire chez les bivalves est l’apparition sporadique de fortes mortalités dans les bassins d’élevage. Celles-ci sont le plus souvent associées à la prolifération de pathogènes opportunistes. Bien que la taxonomie des pathogènes et l’impact histologique des infections soient bien documentés pour les stades larvaires (Paillard et al., 2004), peu d’informations sont disponibles sur les changements physiologiques encourus par les larves lors d’infections bactériennes. C’est pourquoi une meilleure compréhension des relations qui existent entre la physiologie larvaire, les communautés bactériennes et l’apparition des mortalités s’avère un outil important pour la compréhension des processus physiologiques associés aux infections bactériennes en écloserie. Ce projet de thèse a été monté dans l’optique d’améliorer ces connaissances chez deux espèces d’huîtres commerciales: Crassostrea virginica et C. gigas. Pour cela, nous avons décidé, au travers de deux expériences, de caractériser l’impact d’une modification de l’environnement bactérien sur la physiologie larvaire, et ce grâce à une approche multidisciplinaire incluant des analyses enzymologiques, biochimiques et génomiques, axée sur quatre axes principaux de recherche : la dynamique lipidique, le métabolisme, l’immunité et le stress oxydatif.

Les caractéristiques lipidiques (grandes classes et acides gras) sont certainement un des paramètres biochimiques le plus utilisés pour caractériser le développement larvaire chez les bivalves. Cela s’ explique par le fait que les lipides neutres, essentiellement les triglycérides, constituent la principale réserve énergétique des larves et fournissent la majeure partie de l’énergie nécessaire à l’embryogenèse et à la métamorphose (GardaEsquivel et al., 2001; Pernet et al. , 2006b). C’est pourquoi le succès du développement larvaire chez les bivalves dépend de l’acquisition de réserves en triglycérides suffisantes (Garda-Esquivel et al., 2001; Pemet et al., 2006b). Les acides gras jouent un rôle important dans le développement des larves chez les bivalves. Des études ont montré que certains acides gras polyinsaturés de la famille des oméga 3 et 6 sont essentiels à la croissance et à la survie des larves et des juvéniles (Delaunay et al., 1992; Coutteau et al., 1994; Soudant et al., 1998; Nevejan et al., 2003a, b; Pernet et Tremblay, 2004; Pemet et al., 2005; RicoVilla et al., 2006). Le succès de la métamorphose est aussi influencé par le contenu en acides gras polyinsaturés des larves, particulièrement l’acide decohexanoïque ou DHA (Delaunay et al., 1993; Pernet et al., 2005). De plus, il a été montré que chez certains invertébrés, ]’ acide arachidonique (AA) et ]’ acide eicosapentaénoïque (EPA), deux acides gras polyinsaturés, peuvent être extraits des membranes cellulaires pour être utilisés dans la synthèse de composés impliqués dans la régulation de la réponse immunitaire: les eicosanoïdes (Howard et Stanley, 1999; Stanley et Miller, 2006; Stanley et al., 2009). Bien que cette voie de régulation n’a pas été définitivement démontrée chez les bivalves, Delaporte et al. (2006) ont montré l’importance d’une alimentation riche en AA sur les paramètres immunitaires de C. gigas. Pour leur développement, les larves vont puiser l’énergie nécessaire dans leurs réserves (triglycérides, protéines et hydrates de carbone), impliquant infine l’activation de complexes enzymatiques du cycle de Krebs et de la chaîne de transport d’électrons pour la synthèse d’ATP. De ce fait, l’analyse des niveaux d’activité de ces enzymes s’avère un outil intéressant pour caractériser l’activité métabolique des larves. Aux stades larvaires chez les bivalves, des approches enzymologiques du métabolisme énergétique ont déjà été utilisées pour caractériser la demande énergétique pendant le développement (Garda-Esquivel et al., 2001; Moran et Manahan, 2003) où en fonction de la disponibilité alimentaire (Garcia Esquivel et al., 2002; Moran et Manahan, 2004; Meyer et al., 2007). Dans un contexte d’infection bactérienne, peu d’informations sont disponibles concernant l’impact des pathogènes sur l’ activité métabolique des larves. Seuls les travaux de Flye-Sainte-Marie et al. (2007) ont évalué l’impact de la maladie de l’anneau brun sur le budget énergétique maIS sur des juvéniles de palourde (Ruditapes philippinarum) et non sur des larves.

Pour faire face à une infection bactérienne, les bivalves possèdent essentiellement des mécanismes de défenses immunitaires innés regroupés en processus cellulaires et humoraux. L’immunité cellulaire comprend toutes les cellules immunitaires impliquées dans l’évacuation des corps étrangers par phagocytose, nodulation ou encapsulation. L’immunité humorale reprend tous les processus acellulaires impliqués dans la reconnaissance du «non-soi », dans l’activation des cellules immunitaires, dans les mécanismes phagocytaires et dans la production de composés antimicrobiens qUl permettent l’élimination des corps étrangers. Ces différentes composantes de l’immunité chez les huîtres adultes sont bien documentées (Gestal et al., 2008), mais peu d’informations sont disponibles pour les stades larvaires. Le développement des approches moléculaires a permis l’établissement de banques de gènes (Jenny et al. , 2007; Quilang et al. , 2007; Tanguy et al., 2008; Fleury et al., 2009) qui offrent de nouvelles perspectives pour l’étude du système immunitaire dans les premiers stades de vie chez les bivalves (Tirape et al., 2007).

Lors d’une infection, les larves subissent plusieurs types de stress dont l’origine peut être exogène, c’est-à-dire liée à l’activité du pathogène (production de toxines et d’enzymes de dégradation), ou endogène quand l’induction du stress est associée à l’activité de la larve. Au niveau cellulaire, une source potentielle de stress est la production d’ espèces réactives de l’oxygène (ou ROS pour Reactive Oxygen Species) lors de la phagocytose des corps étrangers (Canesi et al. , 2002). Chez les bivalves, la production de ROS lors de la réponse immunitaire a été mise en évidence chez plusieurs espèces (Anderson et al., 1992; Bramble et Anderson, 1997; Lambert et Nicolas, 1998; Lambert et al., 2003; Labreuche et al., 2006). Bien que nécessaire à J’élimination des corps étrangers, ces ROS peuvent s’avérer nocifs pour J’organisme (peroxydation des lipides, dénaturation des protéines et dommage à l’ADN) s’ils ne sont pas bien gérés. Face à ce stress oxydatif, les cellules possèdent deux catégories de défenses antioxydantes: les systèmes antioxydants enzymatiques et non-enzymatiques. Chez l’huître du pacifique, plusieurs études ont suggéré l’importance de ces défenses antioxydantes dans la résistance de certains individus au stade adulte face au phénomène de mortalité estivale (Lambert et al., 2007; Samain et al., 2007). Bien que plus fréquemment utilisée dans un contexte écotoxicologique (Manduzio et al., 2005), l’étude des défenses antioxydantes peut s’avérer un outil intéressant pour caractériser l’activation de la réponse immunitaire.

Les connaissances actuelles ainsi que les aspects théoriques nécessaires à la réalisation de ce projet de thèse sont présentés dans les sections suivantes. Nous commencerons par une brève description de la biologie des espèces étudiées, viendront ensuite les parties traitant des communautés bactériennes et de leurs implications pour la culture larvaire, la dynamique des lipides, le métabolisme énergétique, l’immunité et le stress oxydatif.

L’huître américaine, Crassostrea virginica (Gmelin 1791) et l’huître du pacifique, Crassostrea gigas (Thunberg, 1793) appartiennent au phylum des mollusques, à la classe des bivalves, à l’ ordre des Ostreoida et à la famille des Ostreidae. Ce sont des espèces sessiles (fixées au substrat), tolérantes aux variations de température (eurythermes) et de salinité (euryhalines). Les deux espèces se retrouvent dans les régions peu profondes des zones tidales et subtidales (entre 0,5-75 mètres) où le substrat est consolidé (amoncellement de galets, fonds rocheux, coquilles d’huîtres de générations plus anciennes). On les considère comme des espèces filtreuses suspensivores épibenthiques, se nourrissant principalement de petit phytoplancton, de zooplancton, de bactéries et de petites particules détritiques.

Crassotrea vlrgll1lCa est native de la côte Est du continent nord américain. On la trouve du golfe du St-Laurent (Canada) au golfe du Mexique (États-Unis et Méxique) et elle est l’espèce d’huître la plus cultivée en Amérique du Nord. Elle contribue au développement économique de plusieurs régions côtières du Mexique (Veracruz, Tabasco, Tamaulipas), des États-Unis (Chesapeake Bay) et du Canada (Sud du golfe du SaintLaurent). L’huître du pacifique, C. gigas, aussi appelée huître creuse, est originaire du Japon et de la péninsule coréenne. Elle fut introduite avec succès en Australie, en NouvelleZélande, en Europe et dans l’Ouest canadien et américain. C’est l’espèce aquatique la plus cultivée dans le monde. En France, elle a été importée en 1967 pour pallier la disparition de l’huître portugaise C. angulata.

L’huître américaine et l’huître du pacifique sont deux espèces dioïques (sexes séparés) possédant une sexualité alternante. Les adultes changent de sexe au cours de leur vie, avec une tendance à la protandrie c’est à dire avec un premier cycle de reproduction en tant que mâle. Leur cycle sexuel commence par la gamétogenèse induite par l’augmentation de la température de l’eau. La fécondation est externe et a lieu dans l’eau après l’émission des gamètes mâles et femelles en dehors de la coquille. La ponte se produit généralement au printemps lorsque la température de l’eau dépasse les 20°e. Cette température limite varie selon l’origine géographique des populations d’huîtres. Les périodes de ponte vont du mois de mars au mois de novembre. La ponte peut avoir lieu artificiellement en laboratoire ou en écloserie par choc thermique ou par stimulation hormonale. Une femelle libère des millions d’œufs qui deviennent globuleux lorsqu’ils sont fécondés. Après la fécondation, les huîtres vont développer successivement deux modes de vie . Des premiers stades larvaires jusqu’à la métamorphose, les larves développent un mode de vie planctonique, c’est à-dire qu’elles vivent et se nourrissent essentiellement dans la colonne d’eau (pélagique). Après la métamorphose, les larves ont quitté la colonne d’eau pour le fond océanique où elles se sont fixées (mode de vie benthique).

Le stade zygote est très court et le développement larvaire commence rapidement après la fécondation. En quelques heures, une larve trochopore est formée signifi ant le début du stade veligère et du mode de vie pélagique. Après 24 heures, deux valves fines sont formées et après 48 heures, une coquille entoure complètement le corps et les organes élémentaires sont formés. À ce stade, on parle de larve D . Ensuite, le développement se poursuit et la larve prend une forme arrondie proche de celle de l’adulte (larve véligère ou prodissonche II). La coquille contient peu de carbonate de calcium. Cela la rend moins dense et transparente, permettant une observation microscopique des organes internes. La masse viscérale est constituée de deux composantes principales: le velum et la cavité cœlomique contenant les organes viscéraux (figure 1.2). Le velum consiste en un anneau cilié impliqué à la fois dans l’alimentation et dans la nage. La membrane du velum est en contact avec celle de la cavité cœlomique et de la bouche. Ses mouvements sont assurés par les muscles vélaires. La cavité cœlomique consiste en un sac rempli de fluide physiologique contenant principalement le système digestif, un pied en développement et les muscles adducteurs postérieurs et antérieurs. Le système digestif est composé de la bouche, de l’œsophage, de la glande digestive et de l’intestin (Kennedy et al., 1996, Elston, 1999).

Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
PROBLEMATIQUE ET PRESENTATION DU PROJET DE THESE
BIOLOGIE DES ESPECES
Généralités
Cycle de vie
COMMUNAUTE BACTERIENNE, CULTURE LARVAIRE ET MORTALITE
LES LIPIDES
Les triglycérides
Les lipides membranaires
Les acides gras
Lipides et développement larvaire
METABOLISME ENERGETIQUE
Métabolisme énergétique et développement larvaire
IMMUNITE CHEZ LES BIVALVES
Immunité cellulaire
Prolifération cellulaire
Reconnaissance du soi
Les protéines de li aison aux LPS
Les lectines
Le system pro-PO
Les polypeptides antimicrobiens
La poussée oxydative ou « oxydative burst »
Les enzymes hydrolytiques
Les protéases et inhibiteurs de protéases
STRESS OXYDATIF ET DEFENSES ANTIOXYDANTES
Les espèces réactives de l’oxygène (ROS)
Les sources de ROS
Implication du stress oxydatif sur l’organisme
Les systèmes antioxydants
Les superoxydes dismutases (SOD)
La catalase (CAT)
Les glutathion peroxydases (GPX)
Les péroxyrédoxines (PRDX)
Le système antioxydant non-enzymatique
Les protéines de stress
OBJECTIFS DE LA THESE
Expérience 1
Expérience 2
CHAPITRE 1 CHANGEMENTS PHYSIOLOGIQUES ET BIOCHIMIQUES ASSOCIES À L’APPARITION D’UNE MORTALITE DE MASSE CHEZ DES LARVES D’HUITRE AMERICAINE CRASSOSTREA VIRGINICA
RESUME
PHYSIOLOGICAL AND BIOCHEMICAL CHANGES ASSOCIATED WITH MASSIVE MORTALITY
EVENTS OCCURRING IN LARVAE OF AMERICAN OYSTER (CRASSOSTREA V1RGINICA)
Abstract
Introduction
Materials and methods
Rearing procedures
Experimental design
Larval performance
Lipid c1ass and fa tty acid analyses
Bacteri al analyses
Spectrophotometric analyses
Statistical analyses
Results
Survival, growth and feeding acti vity
Bacteri al analyses
Protein and lipid c1ass contents
Fatty acid composition
Enzyme acti vities and lipid peroxidation
Discussion
Characterization of the massive mortality
Development and performance of oyster larvae
Conclusion
Acknowledgments
Literature cited
CHAPITRE 2 ETUDE DES NIVEAUX D’EXPRESSION DE GENES CANDIDATS POUR CARACTERISER LE METABOLISME, L’IMMUNITE ET LE STRESS CELLULAIRE PENDANT L’EMERGENCE D’UNE MORTALITE DE MASSE CHEZ DES LARVES D’HUITRE AMERICAINE CRASSOSTREA VIRGINICA
RESUME
EXPRESSION OF CANDIDATE GENES RELATED TO METABOLISM, IMMUNITY AND CELLULAR STRESS DURING PREMETAMORPHIC MASSIVE MORTALITY IN THE AMERICAN
OYSTER CRASSOSTREA VIRGINICA IN RELATION TO BIOCHEMICAL AND
PHYSIOLOGICAL PARAMETERS
A bstract
Introduction
Materials and methods
Experimental design and physiological characterization of the mortality event
RNA extraction
Real-time PCR
Studied genes
Statistical analysis
Results
Relati ve gene expression between treatments
Temporal changes of transcript abundance
Discussion
Mortality emergence and variation of gene expression
Genes related to metabolism
Cellular stress and immunity
Conclusion

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