Né le 22 décembre 1639 Jean Racine

André Durand présente

Il est né le 22 décembre 1639, à La Ferté-Milon, petit bourg de Picardie (actuellement dans le département de l’Aisne). Il appartenait à une modeste famille de petite bourgeoisie qui occupait depuis des générations des fonctions administratives honorables mais sans éclat, soit dans la petite magistrature locale, soit dans la perception de la gabelle. Sa mère, Jeanne Sconin, était fille du procureur royal des eaux et forêts de Villers-Cotterêts. Son père, après avoir été cadet au régiment des gardes, était contrôleur du grenier à sel de la ville. Le destin de Jean Racine aurait d’ailleurs été d’occuper la même fonction que lui. Il n’avait que treize mois quand, le 28 janvier 1641, après avoir, quatre jours auparavant, donné naissance à une fille, Marie, mourut sa mère. Il avait quatre ans quand son père, qui s’était remarié, disparut à son tour, le 6 février 1643, en ne laissant que des dettes. Les deux enfants furent pris en charge par leurs grands-parents, Pierre Sconin et Marie Desmoulins. Dans cette famille aisée, les deux orphelins furent traités pour ce qu’ils étaient : des pauvres. De ce fait, Jean eut de bonne heure le spectacle d’âpres discussions familiales, et il allait confier à son fils : «Une des choses qui m’a fait le plus de bien, c’est d’avoir passé ma jeunesse dans une société de gens qui se disaient assez volontiers leurs vérités, et qui ne s’épargnaient guère les uns les autres sur leurs défauts». Il fut un enfant de caractère difficile, acariâtre et turbulent, voyant alors naître en lui les conflits qui allaient nourrir son génie créateur. En 1649, à la mort de Pierre Sconin, Marie Desmoulins prit le voile à I’abbaye de Port-Royal-des-Champs, dans la vallée de Chevreuse, au sud de Paris, abbaye avec laquelle sa famille avait noué depuis plusieurs années des liens étroits : l’une de ses sœurs, Suzanne, était morte en 1647 dans la maison de Paris ; l’autre, Mme Vitart, y était oblate ; surtout, sa fille, Agnès, connue sous le nom de mère Agnès de Sainte-Thècle, s’y était retirée fort jeune. C’était un foyer du jansénisme, mouvement religieux, né d’une interprétation de saint Augustin, faite par l’évêque d’Ypres Cornélius Jansen (1585-1638), mettant en valeur les idées d’une limitation de la liberté humaine face à la toute-puissance de Dieu, d’une prédestination par laquelle le salut de l’âme ne serait accordé arbitrairement par Dieu qu’à certains, sans que leur mérite entre en ligne de compte, les autres étant voués au malheur par des passions irrésistibles, dont le déchaînement est la conséquence du péché originel, et de l’avidité pour les biens de ce monde. Ce mouvement se développa, principalement en France, en réaction au laxisme de l’Église catholique, mais marquait aussi l’opposition de bourgeois à l’absolutisme royal. La doctrine fut attaquée par la Sorbonne puis condamnée en 1653 par le pape, et les jansénistes furent persécutés par le pouvoir royal. Marie Desmoulins obtint pour son filleul le privilège d’être admis gratuitement à Port-Royal-des-Champs comme élève des Petites Écoles, qui étaient fréquentées par des enfants de grandes familles qui logeaient avec leurs maîtres, qu’on appelait les «messieurs de Port-Royal» ou les «solitaires», des hommes d’une piété austère, qui répandaient avec enthousiasme la doctrine janséniste, et étaient les pédagogues les plus éclairés du XVIIe siècle, car ils plaçaient le questionnement de l’élève au cœur de leur patiente éducation, alors que les jésuites imposaient les coups de règle correcteurs et les séjours au cachot. C’étaient : le moraliste Pierre Nicole (qui fut son maître en troisième), l’ancien avocat Antoine Le Maître de Sacy, l’helléniste Claude Lancelot, le médecin Jean Hamon pour lequel il se prit d’une vive affection. Cette providentielle occasion, aux conséquences incalculables, permit à l’orphelin pauvre de faire jusqu’à l’âge de dix ans ses trois classes de grammaire, et sa première classe de lettres dans un remarquable établissement. Il était déà partagé entre son besoin viscéral d’exprimer ses passions et ses haines, et la nécessité de suivre la voie rigoureuse indiquée par ses éducateurs. Agnès, de treize ans son aînée, se montra une vraie mère pour lui, ce qui explique les remontrances qu’elle allait lui faire plus tard, quand elle craignit pour son âme. Sensible aux luttes de la Fronde (1648–1653), période de troubles graves qui frappèrent le royaume de France pendant la minorité de Louis XIV, il compara aux «hommes illustres» de Plutarque Condé et les autres héros ambitieux qui s’illustrèrent alors.

Tragédie en cinq actes

Du fait des attaques contre le jansénisme menées par le pouvoir royal et l’Église, il dut, en 1653-1655, faire sa seconde classe de lettres et sa classe de rhétorique au Collège de la ville de Beauvais. Puis il revint à Port-Royal-des-Champs où, pendant trois ans (1655-1658), à titre exceptionnel, dans un climat de ferveur, il put poursuivre sa formation morale et intellectuelle, étudier profondément le grec avec Lancelot et le latin avec Nicole. Il lut non seulement la Bible, saint Augustin, les écrivains de l’Antiquité, non seulement les plus grands auteurs latins, en particulier Virgile, mais aussi, situation plus rare en ce temps où l’enseignement des jésuites reposait surtout sur le latin, les classiques grecs, Aristote, Plutarque et surtout les tragiques Sophocle et Euripide, qu’il fut vite en mesure de lire à livre ouvert, admirant les plus beaux passages, les apprenant par cœur, les annotant dans les marges, critiquant les scènes «peu tragiques» ou «languissantes», les beaux vers «à contresens», les personnages qui ne gardent pas l’unité de leurs caractère. Il y découvrit un monde de cruauté, y acquit une vision de l’être humain victime de ses passions, et son imagination se peupla de plus en plus de héros, et surtout d’héroïnes, condamnés par les dieux à chercher désespérément une innocence perdue, à vivre dans le mal et à en mourir. Plus qu’aucun de ses contemporains, il fut marqué par la culture grecque à laquelle il allait devoir son élégance sans afféterie, la politesse exquise de son langage, la musique de ses vers, et aussi la subtile connaissance d’un coeur humain miraculeusement libéré de la matière. Mais, alors qu’il était élevé dans une telle crainte de la chair, que le paganisme humaniste et le péché I’attiraient comme un vertige, en dépit des interdictions de Lancelot, il se cacha pour lire en grec ‘’Les amours de Théagène et de Chariclée’’, un long roman d’Héliodore, qui titillait sa sensualité naissante. C’est ainsi qu’il allait donc pouvoir réaliser dans son œuvre ce parfait équilibre entre le corps et l’âme qu’exige toute étude psychologique vraie. Son âme d’artiste s’éveillait déjà. Il fit ses premiers essais poétiques : des billets à Antoine Vitart ; quelques poèmes où il célébra des événements familiaux ; des élégies chrétiennes en latin aux impeccables distiques : ‘’Ad Christum’’, ‘’In avaritiam’’, ‘’Laus hiemis’’, où alternaient le badinage et une réelle ferveur religieuse. Mais ce n’étaient que des travaux d’élève et pas tellement doué. La première pièce de quelque importance, qui ne fut pas publiée de son vivant, est une suite de sept odes, intitulée ‘’Les promenades de Port-Royal-des-Champs’’, un émouvant hommage à cette sainte maison où il reçut son éducation, où il peignit avec ironie les saints hommes qui l’entouraient de leur sollicitude véritablement paternelle, et, avec une gaucherie naïve, le paysage de Port-Royal. Mais il y a dans ces exercices de style, où on trouve parfois de la grâce et une sincérité d’accent, une imitation constante des poètes latins (Virgile, Horace) ou des Français Malherbe, Théophile de Viau, Maynard, Racan, Voiture, ce qui fait que leur intérêt n’est que documentaire. Il ne semble pas s’être passionné pour les luttes doctrinales, allait garder surtout de l’atmosphère respirée à Port-Royal le sentiment de la faiblesse de l’être humain agité par ses passions, et entraîné vers le péché s’il n’est pas secouru par la grâce. Cependant, en disciple fidèle, il prit le parti de ses maîtres contre les jésuites. Surtout, comme, dans ce centre spirituel, s’étaient retirées quelques-unes des plus grandes familles du royaume, il put nouer certaines relations qui, par la suite, lui furent fort utiles dans sa carrière. Mais, en octobre 1658, il quitta Port-Royal pour Paris où il acheva sa formation intellectuelle et morale par l’étude de la philosophie (on disait alors la «logique»), au prestigieux collège d’Harcourt (actuellement le lycée Saint-Louis). Il était alors sous la protection de Nicolas Vitart, cousin germain de son père, qui, étant secrétaire du duc, l’hébergea à l’hôtel de Luynes, sur un quai de la Seine. Du fait de son séjour à Port-Royal-des-Champs, il noua des liens avec la grande famille des Chevreuse, très en vue dans «le monde» (le duc était le gendre de Colbert). Il put entrer dans certains cercles littéraires, où il rencontra en particulier La Fontaine, dont la femme était une de ses parentes éloignées. Il avait pour confident le jeune abbé Le Vasseur qui partageait son goût de la poésie et de la galanterie amoureuse. Tous deux fréquentaient la belle société, faisaient les beaux esprits dans les salons où se lisaient les dernières comédies à la mode, les poèmes qui font rêver des dames disposées à aller un peu plus loin. Et ils manifestèrent aussi leur tendance à mener joyeuse vie avec les comédiens et comédiennes des troupes de l’Hôtel de Bourgogne et du Marais.

Et, malgré que ses maîtres et sa tante, conformément aux préceptes du jansénisme, condamnaient absolument les mises en scène de sentiments profanes, abhorraient donc le théâtre, jugé coupable d’être immoral, d’«empoisonner les âmes», d’exciter les passions, et d’avoir un caractère mondain, méprisaient les comédiens, gens excommuniés soupçonnés de mener une vie scandaleuse, lui qui, depuis son arrivée à Paris, avait bien changé, était soucieux de s’affranchir de Port-Royal, était talentueux et déjà très ambitieux mais sans rang ni argent, voulait «arriver» par le moyen de l’écriture, avait fait de solides études de grec, alors que le classicisme du XVIIe siècle prônait l’imitation des Anciens, se dirigea vers la tragédie. En effet, le théâtre se présentait comme la meilleure voie à emprunter, car c’était alors le genre le plus prestigieux et le plus «rentable», grâce à un pourcentage (10% environ) sur les recettes des premières représentations, qui s’ajoutait à la somme versée par l’éditeur. En 1664, Sorel indiqua : «Aucun auteur n’acquiert de la réputation en aussi peu de temps que ceux qui ont travaillé pour le théâtre» ; d’où, selon Guéret, en 1671, «la démangeaison qu’il prend à de jeunes poètes de se mettre sur le théâtre pour acquérir une réputation prompte et universelle». Mais il n’y avait alors à Paris que trois salles, et il était très difficile de se faire jouer. Aussi la première tragédie qu’il composa, dont on ne sait presque rien, sinon qu’elle était intitulée ‘’Amasie’’, fut, le 5 septembre 1660, refusée par le Théâtre du Marais. Dépité, il écrivit : «J’ai bien peur que les comédiens n’aiment à présent que le galimatias, pourvu qu’il vienne d’un grand auteur», pensant évidemment à l’illustre vieillard qu’était Pierre Corneille, qui était de trente-trois ans son aîné, et dominait alors le théâtre. À l’occasion de la paix des Pyrénées et du mariage de Louis XIV avec l’infante d’Espagne, Marie Thérèse, fille de Philippe IV, il dédia à celle-ci un poème dont il espérait qu’un ami qui était admis à la cour le montre au cardinal Mazarin :  ‘’La nymphe de la Seine’’ (1660) Ode Commentaire Malgré une musicalité certaine et qui avait déjà trouvé son juste ton, ce poème, par son imitation des Anciens et des poètes officiels du temps, par I’observance des conventions très strictes qui présidaient à ce genre poétique, manque d’originalité et de souffle. Sont flagrantes la faiblesse du fond (poncifs plats et boursouflés) et la banalité de I’expression. Cependant, le poème remporta un véritable succès. D’après Sainte-Beuve, l’académicien Chapelain, qui avait été chargé par Colbert de dresser la liste des écrivains et savants dignes de recevoir des gratifications du roi, de profiter de son mécénat, aurait déclaré : «L’ode est fort belle, fort poétique, et il y a beaucoup de stances qui ne peuvent être mieux. Si l’on repasse le peu d’endroits que j’ai marqués, on en fera une fort belle pièce.» Le poème fut imprimé et connut deux réimpressions  Chapelain accorda à Racine une gratification de cent louis. Encouragé, il rédigea en 1661 une nouvelle tragédie, ‘’Les amours d’Ovide’’. Proposée aux comédiens de l’Hôtel de Bourgogne, elle fut, elle aussi, refusée, et ce nouvel échec lui valut des difficultés financières. Comme Port-Royal s’inquiétait de ses désordres, de cette voie de perdition qu’était pour lui le théâtre, il subit avec impatience les «excommunications» de sa tante et de ses maîtres. Pour l’éloigner de Paris et pour assurer son avenir, en septembre 1661, on l’envoya étudier la théologie, et, selon une pratique courante en son temps, briguer le bénéfice ecclésiastique du prieuré de l’Épinay en Anjou, à Uzès, dans le Languedoc, chez l’un de ses oncles, Antoine Sconin, vicaire général auprès de l’évêque, et prieur de la cathédrale. Vêtu de l’habit noir de rigueur, affectant une gravité hypocrite, il fut toutefois, dans ce pays ensoleillé, d’abord favorablement impressionné par la beauté des lieux, la sensualité du climat évoquée dans ces deux célèbres vers : «Le ciel est toujours clair tant que dure son cours, Et nous avons des nuits plus belles que vos jours.» (‘’Lettre à Nicolas Vitart’’ [17 janvier 1662]), le tempérament fougueux et passionné de la jeunesse, qui allait devenir le sien. Il mit à profit cet séjour provincial pour étudier encore la Bible et saint Thomas, étendre ses lectures des humanistes, des poètes espagnols et italiens, relire Virgile, annoter une fois de plus les tragiques grecs, assouplir sa plume, éprouver la fermeté de sa vocation littéraire. Il composa des ‘’Remarques sur l' »Odyssée’’ et des ‘’Stances à Parthénice’’. Assez vite pourtant, ce séjour austère lui inspira la lassitude de «faire l’hypocrite», et une mélancolie dont se firent l’écho ses vingt-quatre lettres d’Uzès, petits chefs-d’œuvre d’élégance, de finesse, de badinage ironique, adressés pour I’essentiel à Vitart, à I’abbé Le Vasseur (il poursuivit avec lui ses entretiens sur la litttérature, lui envoyant ses vers, lui demandant conseil), et à La Fontaine auquel il confia : «Toutes les femmes y sont éclatantes, et s’y ajustent d’une façon qui leur est la plus naturelle du monde […] Mais, comme c’est la première chose dont on m’a dit de me donner de garde, je ne veux pas en parler davantage […] On m’a dit : ‘’Soyez aveugle ‘’ ! Si je ne le puis être tout à fait, il faut du moins que je sois muet ; car, voyez-vous, il faut être régulier avec les réguliers, comme j’ai été loup avec les autres loups vos compères. Adiousas !».

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