Origines indo-européennes des deux romans médiévaux

La littérature comparée est l’art méthodique, par la recherche de liens d’analogie, de parenté et d’influence, de rapprocher la littérature des autres domaines de l’expression ou de la connaissance, ou bien les faits et les textes littéraires entre eux, distants ou non dans le temps ou dans l’espace, pourvu qu’ils appartiennent à plusieurs langues ou plusieurs cultures, fissentelles parties d’une même tradition, afin de mieux les décrire, les comprendre et les goûter.

La genèse de la littérature d’une nation se trouve approximativement dans le sillage des images mythiques qui, celles-ci strictement liées à la religion, construisent la trame culturelle de sa société. Les croyances, la pensée et les sentiments de l’homme et ce qu’il exprime par écrit ou par l’art visuel, indissociables de sa mythologie, sont inextricablement entrelacés dans le tissu de sa vie publique et privée. De ce point de vue, la littérature du Moyen Âge, plus qu’une forme d’art est le conservateur des traditions d’une communauté. Elle a pour charge de codifier et de transmettre les multiples relations de l’homme à son milieu naturel, social et technique. Et le rôle du mythe consiste à justifier l’organisation sociale ou politique d’une société, avec le rituel, avec la loi ou la coutume.

Vu que les récits archaïques, dans les sociétés occidentales ou orientales, sont enracinés dans l’histoire de l’homme et dans sa culture, il faut se demander quelles places particulières ils occupent dans son inconscient collectif. Quels sont les éléments qui changent en un mythe le roman de Tristan et Iseut dans le monde occidental ? Et pourquoi son pendant iranien, Wîs et Râmîn de Gorgâni, reste-t-il à jamais comme un simple récit légendaire dans le monde de l’Orient ? Quels sont les critères qui entraînent le héros d’un récit au cimetière, à la mort, et l’autre, comme souverain d’un pays utopique, au trône ?

Pour répondre à ces questions il faut certainement écouter les textes, car d’une part la littérature comparée c’est l’art d’écouter la voix de l’autre pour mieux saisir l’essence de sa culture et d’autre part, il y a dix mille ans de littérature, comme le dit Pierre Brunel, derrière chaque texte qui autorise « une enquête plus large sur la présence des mythes dans le texte littéraire, sur les modifications qu’ils subissent, sur la lumière éclatante ou diffuse qu’ils y émettent  » .

La France et l’Iran sont deux pays très éloignés l’un de l’autre, aussi bien dans l’espace géographique que dans le monde des idées. Toutefois l’analogie surprenante qui existe entre certaines légendes celtiques, reprises dans les récits de la « Matière de Bretagne » et les récits mythico-légendaires des Iraniens figurés partiellement dans l’Avesta , dans le Châh-Nâmeh de Ferdowsi et aussi dans Les Légendes sur les Nartes , fait penser qu’il y aurait eu entre deux civilisations et, déjà dans les temps très reculés, certaines relations entre elles.

Les caractéristiques physiques et les traits dominants de Cuchulainn le grand héros du cycle de l’Ulster d’Irlande évoquent par exemple Rostam le grand héros de l’épopée persane. La similitude entre la vie héroïque et la mort tragique des héros est frappante. Chacun des héros rencontrent une princesse ennemie (Aife, l’écossaise et Tahmineh, la touranienne) et de leur union naît un fils. Quelques années plus tard, les garçons, devenus de grands héros, découvrent la vérité et se lancent à leur tour à la recherche du père inconnu par la main duquel ils sont tués après un douloureux affrontement et sans qu’ils se doutent de leur lien de parenté.

C’est après leur mort que les pères reconnaissent leur fils. Cuchulainn reconnaît son fils Conla grâce à l’anneau paternel, et Rostam reconnaît Sohrâb grâce à son brassard.

Il y a d’ailleurs un combat de Rostam contre le noble et invulnérable héros Esfandyâr qui rappelle également le combat de Cuchulainn avec Ferdiad. Chacun des héros estime beaucoup son adversaire qui est, en plus, un ancien compagnon d’armes pour lui. Dans les deux récits, la durée du combat est de trois jours et, si le père de Rostam, le vieux Zâl qui a pour père nourricier l’oiseau mythique Sîmorgh, aide Rostam dans son combat, le dieu Lug, le père nourricier de Cuchulainn l’aide également. Le résultat du combat est aussi identique. Les deux héros se lamentent et pleurent amèrement sur le sort des héros infortunés. Et finalement, les deux héros, selon la prophétie et les calculs des astrologues, auront une mort tragique pour l’acte commis.

Agonisant, Esfandyâr confie l’éducation de son fils à Rostam et lui avoue qu’il est victime de la trahison de son propre père qui en le faisant disparaître voulait garder pour lui le trône et le diadème : Ce n’est pas toi qui es la cause de mon malheur ; c’était mon destin, et ce qui devait être est arrivé. Écoute mes paroles : tu n’as été qu’un instrument ; c’est mon père qui a fait mon sort, et non pas le Sîmorq [Sîmorgh], ni Rostam, ni sa flèche, ni son arc.

En effet, le roi Gôchtâsp lui avait promis son trône à condition qu’Esfandyâr lui apporte Rostam ligoté. Rostam n’accepte pas d’être déshonoré par un jeune prince et de se laisser enchaîner. Il accepte cependant de venir à la cour pour rendre hommage au roi mais à la condition de ne pas y paraître comme un prisonnier. Mais, Esfandyâr refuse l’hospitalité de Rostam, car il craint d’être réduit à le combattre pour exécuter les ordres du roi qui sont sacrés et « quiconque désobéit au roi trouvera place en enfer ». Ainsi, Esfandyâr, malgré les prédictions des astrologues qui ont prédit sa mort sous les coups de Rostam, se précipite à la fin de sa vie pour un combat singulier avec le héros.

Table des matières

Introduction
Littérature, un domaine sans frontière
Piste de recherches systématiques
Méthodologie
Qu’est-ce qu’un mythe ?
Mythocritique
Référence et translittération
I. Les œuvres
Introduction
A. Tristan et Iseut
a. Contenu narratif
b. Panorama de la littérature française au XIIe
siècle
b-a. Naissance du genre roman
b-b. Genèse et construction du roman de Tristan
c. Contexte historique et géographique du récit
d. Diversité de versions du récit
e. Les conteurs
e-a. Béroul
e-b. Eilhart von Oberg
e-c. Thomas d’Angleterre
e-d. Gottfried de Strasbourg
e-e. Marie de France
e-f. La Folie Tristan de Berne, La Folie Tristan d’Oxford
e-g. Frère Robert
f. Cadre idéologique du récit
f-a. Conditions socio-économiques de la société
f-b. Féodalité
f-c. Société chrétienne
f-c-a. Justice
B. Wîs et Râmîn
a. L’origine du roman
b. Contenu narratif
c. Panorama de la littérature persane au XIe
siècle
d. Place du roman d’amour en Iran
e. Contexte historique et géographique du récit
f. Le roman et ses manuscrits
g. Le poète : Fakhrodîn As’ad Gorgâni
g-a. Style de Gorgâni
h. Cadre idéologique du récit
h-a. Conditions socio-économiques de la société
h-b. Féodalité
h-c. Strates religieuses
C. Similitudes et divergences
a. Personnages parallèles
b. Personnages principaux
b-a. Marc, Maubad
b-b. Tristan, Râmîn
b-c. Iseut, Wîs
b-d. Brangien, La nourrice
c. Personnages secondaires
c-a. Le Morholt, oncle d’Iseut, Qâren, Vîrou, père et frère de Wîs
c-b. Gouvernal, le sénéchal Dinas, le vizir Zerd
c-c. Le nain astrologue, les Félons, Zerrîn-Guis
c-d. L’ermite Ogrin, Beau-Parleur
c-e. Iseut aux Mains Blanches, Gol
d. Roman d’amour sans frontière
d-a. Amour-passion
d-b. Fin amor
d-c. Folie d’amour
Conclusion

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