POLITIQUE INDUSTRIELLE DU NOIR ET BLANC CONSTAT CRITIQUE

POLITIQUE INDUSTRIELLE DU NOIR ET BLANC
CONSTAT CRITIQUE

EXIL TECHNIQUE ? NOIR ET BLANC ARGENTIQUE VERSUS NOIR ET BLANC NUMERIQUE

Un constat s’impose : les images en noir et blanc sont en voie de disparition en tant que matière première. Ayant perdu son hégémonie argentique originelle, le noir et blanc se présente sous des auspices de plus en plus crépusculaires avec la disparition progressive de l’argentique et de sa spécificité chromatique. Il a connu un double exil : exclusion a priori de l’image numérique et a posteriori de l’image argentique. Nombre d’émulsions tendent à disparaître, car elles ne sont plus rentables. En outre, la pellicule achromatique est en perte de vitesse au regard de la pellicule couleur. Les grands laboratoires ne s’intéressent plus ou très peu au noir et blanc. a demande est à un média économique et en couleurs : on assiste à un abandon progressif de l’argentique au profit de l’image numérique. Leurs différences intrinsèques mettent en question le travail du noir et blanc. Contrairement à ce qui se passe pour le film pellicule qui donne encore le choix entre émulsions couleurs ou noir et blanc50, le parti pris de travailler en noir et blanc 50 1 es deux principaux t pes de pellicules noir et blanc utilisés aujourd’hui sont le film orthochromatique (qui a remplacé le film monochromatique) et le film panchromatique. 36 n’est pas évident en numérique51 : il n’est envisageable qu’à travers un travail de « falsification » des couleurs. 52 La caméra digitale est composée de trois capteurs de lumière colorée donnant respectivement du rouge, du vert et du bleu, selon un principe de synthèse additive des couleurs qui mélange ces trois couleurs primaires (mode colorimétrique R.V.B.) suivant un système de « couches » dont les combinaisons variables permettent d’obtenir toutes les couleurs du spectre. L’image numérique est « au départ » en couleurs.53 Pour « obtenir » du noir et blanc, il faut supprimer certains paramètres à travers une opération de soustraction des couleurs. Une couleur possède trois coordonnées, c’est ce qu’on appelle sa valeur numérique. Le noir et blanc « se conquiert » en invalidant deux de ces coordonnées : la teinte l’identité colorée et la saturation l’intensité colorée pour ne conserver que la luminance (la clarté).Cet acte négatif par excellence peut intervenir lors de la prise de vue (en passant au mode manuel de la caméra) ou sur le banc de montage (procédé vivement conseillé, car réversible, le monteur disposant d’une image « complète » qui n’a pas encore perdue d’information). Le noir et blanc ne peut donc pas vraiment être « travaillé », mais plutôt « falsifié » à la prise de vue ou au montage. Choisir de travailler numériquement en noir et blanc ne va pas sans poser des problèmes dont le plus symptomatique est à n’en pas douter le parasitage du film à la projection par des flashs colorés. Les projecteurs interprètent le travail réalisé comme une œuvre en couleurs. Des effets colorés viennent hanter les plans « sans couleur » et rappellent de manière fantomatique la difficulté inhérente au média d’obtenir un « vrai » noir et blanc. Le noir et blanc serait le résultat de notre perception et non d’un média. Deux noir et blanc s’opposent ainsi : un noir et blanc émanant d’un choix technique et un noir et blanc biaisé comme résultat perceptif. Pourquoi s’opposent-ils ? Cela permettrait-il de penser le noir et blanc comme autre chose qu’un choix d’émulsion .

EXIL PRODUCTIF ? NORMES ET NOIR ET BLANC

 Si, lors de son apparition à la fin des années 1930 avec la popularisation du Technicolor le cinéma en couleurs était plus onéreux54 , maintenant la donne est inversée et la couleur est devenue beaucoup moins coûteuse que le « désuet » noir et blanc. À l’époque faire un film en couleurs était un luxe55 ; aujourd’hui le noir et blanc est de l’ordre de l’« exceptionnel » et représente un coût plus important (en argentique)56 ou montre un aspect instable et précaire (en numérique). Travailler en noir et blanc devient de plus en plus complexe à cause de contraintes techniques associées à des enjeux financiers. Puisque « la couleur semble aller de soi » 57 et que l’industrie cinématographique tend à marginaliser l’utilisation du noir et blanc, pourquoi et à quelles fins les cinéastes persistent-ils dans cette voie ? – Une industrie qui induit un noir et blanc formaliste Certains réalisateurs continuent de faire leurs films en noir et blanc selon des codes bien établis. Dans la plupart des films narratifs, le noir et blanc fait référence à une dimension historique présente dans la drama. Il peut aussi être très communément employé pour se parer d’un vernis « cinéphilique » voire « mythique » dans le sens le plus réducteur possible de ces termes d’où notre choix d’user de guillemets pour les mentionner). Donnons quelques exemples de ces noir et blanc narratifs en commençant par ce que Yannick Mouren nomme le « passage du temps » 58 , dont la marque la plus fréquente est le flashback qui, associé au noir et blanc et subordonné à des images du « présent » en couleurs souligne de manière redondante les images « passées » dans la diégèse. C’est le cas par exemple, dans Magnolia (2000) de Paul Thomas Anderson.Le noir et blanc peut aussi renforcer et légitimer la dimension historique. 59 Schindler List (La Liste de Schindler, 1993) de Steven Spielberg et Le Ruban blanc (2009) de Michael Haneke sont tournés en noir et blanc pour suggérer une époque révolue (dans ces deux cas précis, la Seconde Guerre mondiale). La bichromie renvoie à l’idée inconsciente d’« images d’archive ». De nombreux films indiquent au générique : « basé sur une histoire vraie. » i l’histoire est véridique, l’image le serait aussi par un conditionnement implicite de l’esprit du spectateur. ’image réaliste est basée sur une narration linéaire qui induit une « croyance » en sa « véracité » qui se confond ainsi avec l’idée d’« authenticité » . ’illusion optique et sonore garantit cette impression. Tout est fait pour que le spectateur oublie qu’il est devant des images, mais croie en leur réalité. C’est le cas de films documentaires comme de fictions. 60 De manière générale, ce noir et blanc serait nostalgique d’un cinéma « originel », 61 d’un « paradis perdu ». 62 Il fait aussi penser aux films de genre qui étaient tournés en noir et blanc dans un souci d’économie sur le temps de réalisation (le noir et blanc évite les mauvais raccords et les problèmes d’ambiance de couleur en unifiant l’espace63). Le noir et blanc apporterait ainsi un « cachet cinéphilique ». 64 La fille sur le pont (1994) de Patrice Leconte, 13 Tzameti (2005) de Gela Babluani, Avida (2006) de Benoît Delépine et Gustave Kervern, ou J’ai toujours rêvé d’être un gangster (2008) de Samuel Benchetrit proposent un noir et blanc prétendument esthétisant dans le but de conférer à un film le statut d’« œuvre d’art » en éloignant les images des couleurs mimétiques prétendument liées au monde réel ou du moins en aspirant à le sublimer. Control (2006), du réalisateur et photographe Anton Corbijn, en serait l’archét pe . 

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