« Pourquoi dépenser ailleurs » ou la difficile légitimation d’une politique publique menée hors des territoires

« Pourquoi dépenser ailleurs » ou la difficile légitimation d’une politique publique menée hors des territoires

Cette partie vise à resituer cette réflexion dans son contexte actuel et à prendre la mesure des débats posés par cette politique. Il s’agira notamment d’interroger les réactions suscitées par l’action internationale en période de crise économique. Nous mettrons en lumière le risque de délitement de celle-ci face aux baisses de crédits afin de comprendre l’impériosité de l’enjeu de l’étude et de l’évaluation de son rôle potentiel dans le développement territorial. En tant qu’« actionnaires des politiques publiques internationales20 », les contribuables sont forcément concernés par leur mise en œuvre. Jean-Michel Severino et Olivier Ray vont même plus loin, affirmant que sans leur consentement, la ressource publique qui irrigue l’activité des collectivités territoriales (au même titre que celle de l’État, des ONG, des organisations internationales, etc.) s’asséchera très rapidement. En tant qu’ « actionnaires », les habitants ont donc besoin d’être convaincus que les bons choix d’allocation sont effectués. La pérennisation de l’action internationale en dépit de la raréfaction des ressources publiques ne pourra dépendre que de la démonstration par les collectivités territoriales de l’intérêt local de ces actions. Cet intérêt local est de plus en plus soumis à la contestation venant notamment des associations de contribuables ou des élus du Front National. Ces remises en cause peuvent aller jusqu’à l’attaque de décisions prises dans les assemblées délibérantes des collectivités territoriales sur des projets internationaux. Au-delà de ces oppositions d’ordre démocratique, il peut même arriver que certains élus locaux vivent des critiques au quotidien en recevant, par exemple, des lettres anonymes les accusant « d’en faire trop au niveau de l’international21 ».

L’Observatoire des subventions, site Internet « d’information sur l’argent public22» créé en 2008, recensait, en 2010, 28 associations de contribuables en France, réparties dans 21 Départements. Parmi celles-ci, certaines se positionnent de manière très critique vis-à-vis de l’Action Internationale des Collectivités Territoriales, et dénoncent fréquemment ce qu’elles considèrent être des dérives. Ainsi, on trouve dans certains blogs d’associations de contribuables23, des articles fustigeant le manque de transparence et le coût élevé des actions et des échanges menés. Cette transparence « à géométrie variable24» est une critique fréquemment formulée qui soulève la question du contrôle citoyen sur les crédits alloués à l’AICT. La situation de crise économique et les efforts toujours plus importants demandés aux contribuables français sont régulièrement invoqués pour souligner « l’irresponsabilité » des élus qui délibèrent sur des dépenses à l’international. Pragmatiques, certaines associations proposent en ligne des « lettres-types » afin d’inciter les citoyens à interroger leurs élus et à leur demander de rendre des comptes. Les arguments développés par les détracteurs de l’Action Internationale des Collectivités Territoriales sont récurrents. Celle-ci est considérée comme ayant une vocation touristique pour les élus ou comme représentant une forme de clientélisme et d’encouragement au communautarisme (lorsque les partenariats sont formalisés avec des pays d’où sont originaires un certain nombre de ressortissants étrangers vivant sur les territoires français25). L’association des contribuables de l’intercommunalité d’Aubagne (Bouches-du-Rhône), particulièrement virulente, s’emploie ainsi à étudier les dépenses publiques liées à l’action internationale de leur intercommunalité et à déposer des recours sur diverses délibérations. Elle parvient à faire annuler des décisions portant sur le versement de subventions aux ONG et aux associations de solidarité internationale.

Les illustrations ci-dessus dénoncent la propension des élus locaux, « indifférents » à la crise économique, à dépenser à l’international. L’association de contribuables dénonce également l’appropriation de la compétence diplomatique par les élus locaux, avec l’exemple du Président de l’intercommunalité bucco-rhodanienne, se rendant à New York pour participer à la conférence de l’Organisation des Nations-Unies sur la non-prolifération des armes nucléaires. Plus ou moins vindicatives, ces attaques sont également relayées au niveau de l’État. Régulièrement, des questions parlementaires orales ou écrites26 soulignent un manque de clarté dans les mouvements de fonds liés à la coopération décentralisée et interrogent l’intérêt public local des projets financés. Ces remises en cause peuvent paraître disproportionnées alors que la totalité des dépenses de l’Action Internationale des Collectivités ne représentait en 2011 que 0,04% du total des dépenses publiques des collectivités territoriales 27. De manière générale, sur l’ensemble de leurs politiques publiques, les collectivités territoriales françaises sont confrontées à d’importantes contraintes budgétaires, limitant leurs marges de manœuvres financières28. L’amoindrissement de l’autonomie fiscale locale, la progression des dépenses de fonctionnement et les difficultés d’accès aux crédits viennent s’ajouter aux réformes récentes de l’État ciblant les collectivités locales, notamment l’effritement de la progression de ses dotations29. Le défi pour les collectivités territoriales est donc de parvenir à faire des économies conséquentes afin de participer à l’effort de redressement des finances publiques, tout en maintenant un niveau suffisant de services publics.

 

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