Questions de terminologie en éducation spécialisée

LES TRAITS CARACTÉRISTIQUES DES LANGUES DE SPÉCIALITÉS

Isoler les vocabulaires techniques et scientifiques du lexique général implique que ľon est à même de définir ces vocabulaires par des traits communs qui les différencient du lexique général.11La fonction de toute langue est de nommer des notions, en vue de la communication. La fonction de la communication est centrale aussi en français des sciences et des techniques où la dénomination des notions, la désignation des référents concrets, leur classement et leur définition, le but didactique voire vulgarisateur coexistent. Pour pouvoir communiquer, on se sert toutes les composantes de la langue. On appelle «langue de spécialité» ou «langue technique» un registre qui provient de ľapprofondissement des connaissances et des réalisations techniques dans un secteur donné de ľactivité humaine et qui est utilisé, quand la communication a trait à cette spécialisation, par des locuteurs qui possèdent ces connaissances et participent à ces réalisations, totalement ou partiellement. Une telle langue est donc définie par le domaine où elle est employée. Ľorigine géographique des locuteurs et le groupe social dont ils font partie ont aussi peu ďimportance que leur culture générale. Les termes scientifiques désignent ďabord des concepts (méthodologie, théorie), les termes techniques désignant des objets (outils, machines). Le français technique occupe par ailleurs une place particulière dans les échanges entre les spécialistes ou entre spécialistes et grand public. Un titre comme «langue française de la science et de la technique» risque ďinsinuer que le français présenté couvre «la langue» elle-même, tout comme le fait «langue de spécialité», que ďaucuns corrigent en «langue spécialisée», expression qui met moins ľaccent sur «la langue» dans son ensemble, et davantage sur les degrés de spécialisation : «le langage de la science, le langage technique, est simplement une possibilité du langage en général». Le pluriel «langues de spécialités» lève ďambiguïté ďun français généralisant, unique, et cette pluralité est récurrente dans les intitulés possibles «vocabulaires des sciences et des techniques», «vocabulaires techniques ou vocabulaires de spécialités». Comme une langue de spécialité est délimitée par le domaine où elle est employée, le nombre de ses utilisateurs n’importe pas. Contrairement à la langue commune qui, par définition, exige la plus grande extension possible, contrairement aussi aux niveaux diatopiques, sociaux ou qualitatifs, on peut, dans ce cas, poser comme règle que le caractère spécifique ďune langue spéciale donnée augmente dans la mesure où le cercle de ses utilisateurs diminue. Si le nombre des spécialistes est limité, par exemple à quelques centaines ďindividus, il y aura peu ďinterférences avec la langue commune, donc bien moins de glissements du matériel linguistique spécialisé dans le domaine commun, moins de possibilités ďintégration que lorsqu’une langue spéciale devient familière à des millions de locuteurs qui ľintroduisent alors massivement dans la langue commune et, par conséquent, la neutralisent.La même constatation s’impose quand on aborde la fréquence ďun élément isolé ďune langue spéciale : ľimportance ďun terme donné n’est pas fonction de sa fréquence, comme c’est le cas pour les mots de la langue commune ; au contraire, dans la communication entre spécialistes, ľimportance ďun terme s’accroît au fur et à mesure que la spécialisation augmente et que la fréquence diminue. Son rôle se manifeste surtout dans sa fonction de verbaliser les progrès scientifiques ou techniques (nouvelles méthodes, connaissances, découvertes, inventions, etc.) : alors que la compréhension dans la langue commune repose sur ľemploi de mots de haute fréquence, la communication aux avants-postes de la science et de la technique, là où s’arrête la routine et où s’ouvrent de nouveaux horizons scientifiques, exige la création incessante de nouvelles désignations ; ce sont des termes qui commencent nécessairement par être des néologismes spécifiques, désignant de nouvelles choses pour la première fois et qui ont, de ce fait, une fréquence minimale. Contrairement au dictionnaire de langue qui peut laisser les mots rares de côté, un dictionnaire des termes techniques ou scientifiques qui se veut à la hauteur du progrès des connaissances, doit insister sur les vocables dont le nombre ďoccurrences ne dépasse pas cette fréquence minimale. S’il s’agit ďétudier avant tout le vocabulaire, il faut prendre en compte aussi les éléments phraséologiques, syntaxiques, voire stylistiques, indissociables de toute fonction ďexpression et de communication, même dans les domaines de spécialité : il nous semble acceptable de parler de la langue de spécialité comme ďune variété de la langue entière où, de toute évidence, le volet lexical domine.16

LES MOYENS LEXICAUX

Les moyens lexicaux du français scientifique et technique sont ceux de la lexicologie du français en général, mais ils sont exploités dans quelques directions privilégiées. La néologie dans les domaines scientifiques et techniques correpond soit à ľélaboration ďune dénomination nouvelle, à partir des ressources déjà disponibles dans la langue générale ou dans ses variétés, soit à ľemprunt ďune dénomination à une langue étrangère, soumise à une adaptation au système linguistique du français, à une traduction ou à un calque. Ces moyens sont tous productifs.17

LA CRÉATION D’UN VOCABULAIRE SPÉCIAL OU D’UNE LANGUE SPÉCIALE

La création et le développement ďun vocabulaire spécial ou ďune langue spéciale dépendent des progrès du savoir et de la technique dans un domaine donné. La spécifité terminologique peut sans doute être amplifiée par ľambition, le désir de prestige ou ľexcès de zèle terminologique de ceux qui travaillent dans ce domaine (individus, institutions ou sociétés). Par différenciation sémantique, on obtient un nouveau mot par néologie de sens, ou néologie passive. La spécialisation sémantique est une restriction de la sphère référentielle du mot. Tout comme piste est entré dans le vocabulaire de ľaéronautique, bruit est apparu dans le vocabulaire de ľinformation, et on enregistre en informatique amorce, bloc, grappe, groupe, logement ou encore mémoire. On a en physique nucléaire étrange, particule étrange (TLF). Le terme déjà ancien filtre s’est spécialisé en informatique par le biais de ľangloaméricain filter. La spécialisation peut agir dans plusieurs directions différentes, et à des époques différentes : terminal désigne vers 1950 «élément final, point ďaboutissement (ďune ligne de communication)» ; vers 1960 il est employé en informatique ; vers 1970 il désigne «lieu équipé pour la reception et ľexpédition des conteneurs», et aussi «gare, aérogare urbaine». En ce qui concerne le domaine de la pédagogie spécialisée, on peut mentionner intégration ou inclusion, mots utilisés actuellement pour désigner la scolarité des enfants et adolescents handicapés dans des établissements ordinaire. De tels termes qui, en lexicographie, pourraient à tort être confondus avec des mots polysémiques de la langue générale, relèvent de spécialités distinctes en terminologie.

LES EMPRUNTS

Ľintégration ďun mot ďune langue donnée ou «source» dans une autre langue ou «cible» constitue le mécanisme linguistique de ľemprunt ; ľentrée du vocable s’effectue sur plusieurs plans (phonique, morphologique, syntaxique), aussi se trouve-t-on devant des problèmes différents selon que les strucutures des deux systèmes en contact ont plus ou moins de points communs.Ľemprunt est motivé par des conditions extralinguistiques favorables, et présente une solution commode ďenrichissement lexical. Les emprunts nouveaux qui figurent dans les dictionnaires généraux après 1950 appartiennent en général aux langues de spécialité. Les substantifs concrets des domaines techniques se prêtent plus aisément à ľemprunt que les verbes et les adjectifs, les notions abstraites des domaines scientifiques, comme les mathématiques, étant traduites plus souvent qu’empruntées. Les anglicismes penètrent la langue par ľintermédiaire des techniques. En 1958, ľAcadémie française, veillant à la «pureté» de la langue, écartait de son projet de dictionnaire ľanglicisme camping et ľaméricanisme charter ; tous deux sont pourtant bien entrés dans le Dictionnaire deľAcadémie (1994).

LA VARIABILITÉ DANS LES LANGUES DE SPÉCIALITÉS

Sans arrêt, des mots de la langue commune deviennent termes techniques ou scientifiques et inversement, si bien que les deux vocabulaires, spécialisé et commun, se recouvrent sur une zone large de signifiants à double fonction qui relie le vocabulaire du français commun, base de tout registre spécial, et le vocabulaire purement spécialisé. Les nouvelles unités s’établissent souvent progressivement. Ľétude de revues scientifiques et de manuels contemporains montre le poids de la conscience linguistique des auteurs. Ils utilisent des introducteurs de termes nouveaux, ils définissent, ils reprennent, ils modulent, ils se reformulent, recourant si nécessaire à des guillements ou à des italiques et, à ľoral, à une intonation particulière. Ľune des causes de ľévolution de la langue et, plus particulièrement, des changements de sens, est due à la recherche ďexpressivité, aux tabous et euphémismes : les langues de spécialité ne sont pas dépourvues de ces aspects. 28 Le cas de la terminologie du handicap est significatif.

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