Récurrence et cooccurrence de la maltraitance

Dissociation

La dissociation se caractérise par une perturbation des fonctions de la mémoire, de la conscience, de l’ identité, de la perception de l’ environnement (APA, 1994) et des fonctions sensorielles (Nijenhuis, Spinhoven, van Dyck, van der Hart et Vanderlinden, 1996). Elle implique un manque d’intégration ou d’association de l’information et de l’expérience, et ses fonctions de défense peuvent se catégoriser de trois façons :

1) l’automatisation des comportements;

2) la compartimentation des informations et des affects; et

3) l’ altération de l’ identité et la distanciation du soi (Putnam, 1997).

Confrontés à des situations extrêmes, que ce soit de la négligence ou différents types d’abus, les enfants maltraités doivent trouver une façon de se protéger, et ces processus défensifs leur permettent de réduire la douleur psychologique associée : comme ils sont vulnérables et dépendants des adultes, ils peuvent difficilement se soustraire physiquement de leurs abuseurs et s’en remettent donc à des processus de fuite psychologique, qui leur permettent de survivre. Ogawa, Sroufe, Weinfield, Carlson et Egeland (1997) ont démontré que l’âge auquel sont vécus les traumatismes (incluant notamment la maltraitance), ainsi que la chronicité et la gravité de ceux-ci, étaient fortement corrélés et prédisaient le niveau de dissociation. Une méta-analyse (Vonderlin et al., 2018) a également révélé que les victimes de violence et de négligence durant l’enfance présentaient des scores de dissociation plus élevés que les enfants non maltraités, avec des scores plus élevés pour la violence sexuelle et physique. De plus, un âge de victimisation précoce, une durée plus longue de la maltraitance et la violence provenant des parents prédisaient des scores de dissociation significativement plus élevés. Schalinski et al. (2016) ont également pu démontrer que des expériences de vie adverses vécues durant l’enfance avaient un effet proportionnel sur les symptômes dissociatifs à l’âge adulte selon la durée, la multiplicité et la gravité de ces différents types de mauvais traitements.

Régulation des comportements

Une méta-analyse (Liu, 2019) a émis le constat qu ‘ il existe une association positive entre la maltraitance vécue et l’ impulsivité chez les enfants. L’ampleur de l’effet est faible dans le cas de la violence sexuelle et moyenne ou grande dans le cas de violence psychologique. En ce qui a trait aux problèmes de comportements intériorisés et extériorisés, une étude (Freeman, 2014), qui a suivi des enfants de la naissance à l’âge de 6 ans, rapporte que plus les enfants avaient vécu des expériences de vie adverses, plus le risque de manifester ces types de comportements était présent. Trois expériences de vie adverses et plus ont plus que quadruplé le risque de présenter des problèmes de comportements internalisés et presque quadruplé le risque de présenter des problèmes de comportements extériorisés. Par ailleurs, plus les expériences de vie adverses vécues étaient nombreuses, plus elles étaient associées à des problèmes de comportement à long terme. Chez les enfants victimes d’abus sexuels, des comportements sexualisés problématiques ont pu être observés dans différentes études (Cosentino, Meyer-Bahlburg, Alpert, Weinberg et Gaines, 1995; Friedrich, 1993; Friedrich et al., 1992; Trickett, Noll et Putnam, 20 Il), ainsi que des comportements sexuels à risque (Trickett et al., 20 Il). L’ intensité de l’abus, la durée, la fréquence et la relation avec l’agresseur font partie des facteurs qui influencent le degré de symptomatologie (Kendall-Tackett, William et Finkelhor, 1993). Les impacts de la maltraitance peuvent aussi s’observer en termes de comportements autodestructeurs.

En effet, l’association entre la maItraitance et l’automutilation a été étudiée dans des échantillons d’ enfants aussi jeunes que quatre ans (Paul et Ortin, 2019). Des revues systématiques ont aussi identifié que la maltraitance pendant l’enfance était associée à des comportements suicidaires et à la mort par suicide (Miller, Esposito-Smythers, Weismoore et Renshaw, 2013; Serafini et al., 2015). van der Kolk, Perry et Herman (1991) ont constaté que cet effet pouvait perdurer dans le temps, puisque les antécédents d’abus physique et sexuel étaient hautement prédictifs des comportements d’automutilation et des tentatives de suicide dans leur échantillon d’adultes. L’abus de substances fait également partie des problèmes de régulation des comportements présents chez les personnes ayant vécu de la maltraitance pendant l’enfance. Une revue systématique (Thege et al., 2017) confirme l’existence d’associations entre l’exposition à différents types de maltraitance et de victimisation et des comportements de dépendance. De plus, ces associations ont été observées plus fréquemment dans les études portant sur les traumatismes vécus en enfance par rapport aux traumatismes vécus à l’âge adulte.

Maltraitance et traumatisme

Une multitude d’ études ont montré un lien entre la maltraitance et le développement de symptômes traumatiques (Hulette, Fisher, Kim, Ganger et Landsverk, 2008; Milot, Éthier, St-Laurent et Provost, 2010; Sullivan, Fehon, Andres-Hyman, Lipschitz et Grilo, 2006; Widom, 1999), même si on a longtemps pensé que le psychisme des enfants était imperméable aux traumatismes étant donné leur immaturité affective et un effet potentiel de protection de la part de leur univers imaginaire (Crocq, 2001). La possibilité pour un enfant d’être traumatisé est donc aujourd ‘ hui largement reconnue, notamment par la cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5; APA, 2015). En effet, le DSM-5 (APA, 2015) prend en compte les événements traumatiques et les symptômes qui en résultent sous la forme du diagnostic de TSPT. En résumé, le premier critère de ce diagnostic, soit le critère A, implique une « exposition à la mort effective ou à une menace de mort, à une blessure grave ou à des violences sexuelles » (APA, 2015, p. 350), que ce soit en étant témoin direct ou indirect. Le critère B, quant à lui, réfère à des « symptômes envahissants associés» à l’événement traumatique; le critère C à de 1’« évitement persistant des stimuli » y étant associés; le critère D à des « altérations négatives des cognitions et de 1 ‘humeur »; et le critère E à des « altérations marquées de l’éve il et de la réactivité ». Le critère F implique une durée des perturbations de plus d’ un mois, alors que le critère G implique des perturbations entraÎnant« une souffrance cliniquement significative» sur différents plans (p. ex., social. professionnel). Finalement, le critère H indique que ces perturbations ne doivent pas être imputables « aux effets physiologiques d’une substance [ … ] ou à une autre affection médicale. » (APA, 2015, p. 351 ).

Habituellement, les critères diagnostiques d’un trouble en décrivent les manifestations, et non pas les causes. De ce fait, on qualifie le DSM-5 (APA, 2013) d’ ouvrage « athéorique » (Folette et Houts, 1996). Cependant, la ou les causes du TSPT sont reconnues à même ses critères diagnostiques, soit le critère A, ce qui le distingue des autres diagnostics du DMS-5 (APA, 2013). Conséquemment, seules les personnes ayant vécu un ou des traumatismes peuvent recevoir ce diagnostic. Il est à noter que le TSPT est une conséquence plus fréquente chez les personnes ayant vécu un événement traumatique isolé (Green et al., 2000), comme un accident d’automobile, une catastrophe naturelle ou en étant témoin d’ un acte violent. Ainsi, malgré l’ évidence que la maltraitance ait un caractère traumatique, le diagnostic de TSPT n’ est pas celui que l’on retrouve le plus souvent chez les enfants en ayant vécu (van der Kolk et al., 2009). Ce phénomène s’explique par différentes raisons. Tout d’abord, le critère A du TSPT, où l’on définit ce qUi peut causer un traumatisme, est restrictif dans sa façon de considérer les expériences potentiellement traumatisantes.

Il exclut des expériences comme les perturbations dans les relations d’ attachement ou des agressions interpersonnelles qui n’ impliquent pas nécessairement une menace à la vie ou à l’ intégrité physique. Il y a pourtant une multitude d’autres expériences que l’on peut considérer adverses, mais qui ne sont pas reconnues par l’APA par le biais du critère A du TSPT. Ces expériences peuvent sembler anecdotiques lorsqu’elles sont vécues de façon ponctuelle et isolée, mais peuvent tout de même affecter les enfants lorsqu ‘ elles sont vécues de façon répétée et chronique (p. ex., manque de nourriture, habillement inadéquat en fonction des saisons, supervision parentale déficiente, manque de sensibilité et de prévisibilité du parent). De plus, il a été démontré que l’ expérience subjective d’ une personne à l’ égard d’un événement (p. ex., peur intense, impuissance, désespoir, colère, culpabilité), et non la nature de l’événement lui-même, est déterminante en ce qui peut être considéré comme traumatique pour une personne (Dewey et Schuldberg, 2013). Dewey et Schuldberg (2013) ont en effet montré que la détresse péritraumatique est associée à des symptômes de TSPT plus élevés, peu importe si le stresseur répond ou non au critère A (exposition).

Ensuite, force est de constater que les critères B, C, D et E du diagnostic de TSPT ne tiennent pas suffisamment compte des conséquences développementales de la maltraitance et des traumatismes interpersonnels et chroniques (Briere et Spinazzola, 2005; D’Andrea, Ford, Stolbach, Spinazzola et van der Kolk, 2012). En effet, les enfants ayant vécu de la maltraitance présentent des symptômes allant au-delà de ceux du TSPT, et vont donc plutôt rencontrer les critères diagnostiques d’autres troubles, comme la dépression, le déficit d’ attention avec ou sans hyperactivité, le trouble oppositionnel avec provocation, le trouble des conduites, les troubles alimentaires, les troubles du sommeil, les troubles de la communication, le trouble d’ anxiété de séparation, ou encore le trouble réactionnel de l’attachement (Cook et al. , 2005; D’Andrea et al. , 2012; van der Kolk, 2005, 2014). Il est d’ ailleurs observé que les enfants ayant subi de la maltraitance peuvent cumuler plusieurs diagnostics en comorbidité afin de prendre en compte les différents symptômes qu ‘ ils présentent, voire une moyenne de 3 à 8 diagnostics (van der Kolk, 2014). Le risque de présenter différents diagnostics est clairement identifié dans la littérature, que ce soit pendant l’ enfance, l’adolescence ou l’âge adulte (Briggs-Gowan et al., 2010; Copeland, Keeler, Angold et Costello, 2007; Ford, Connor et Hawke, 2009; Ford, Elhai, Connor et Frueh, 2010; Mueser et Taub, 2008; Sansone, Songer et Miller, 2005). Par exemple, Sroufe, Egeland, Carlson et Collins (2005) rapportent que 30 % des enfants non maltraités défavorisés de leur échantillon présentaient au moins deux diagnostics, alors que cette proportion augmentait à 54 % chez les enfants ayant vécu de la négligence physique, 60 % chez les enfants ayant vécu de l’abus physique, 73 % chez ceux ayant vécu de l’abus sexuel et 73 % chez les enfants ayant vécu de la négligence psychologique. Par conséquent, il semble que de nombreux enfants portent le poids d’une multitude de diagnostics, pouvant être inexacts, erronés ou cumulés de façon inappropriée.

Table des matières

Sommaire
Remerciements
Introduction
Contexte théorique
Définition de la maltraitance
Ampleur de la maltraitance
Récurrence et cooccurrence de la maltraitance
Conséquences de la maltraitance
Attachement
Biologie
Régulation des affects
Dissociation
Régulation des comportements
Fonctions cognitives
Concept de soi
Ma1traitance et traumatisme
Trauma complexe
Trouble dû à un trauma développemental
Évaluation du trauma complexe et du TTD
Études évaluant la fréquence du TTD
Objectifs
Méthode
Devis
Participants
Opérationnalisation de la variable « TTD »
Instruments de mesure
Behavior Rating Inventory of Executive Function – Preschool Version
Child Behavior Checklist – Caregiver-Teacher Report Form
Child Dissociative Checklist
Trauma Symptom Checklist for Young Children
Student-Teacher Relationship Scale
Profil socio-affectif
Procédure de séparation-réunion
Résultats
Stratégie d’analyses
Critère B
Critère C
Critère D
Critères B, C et D
Discussion
Limites
Conclusion
Références
Appendice A. Nouvelle version originale anglaise de la proposition diagnostique du Developmental trauma disorder (Ford et al., 20 19)
Appendice B. Appariement des items des questionnaires et de la mesure observationnelle avec les sous-critères/symptômes des critères B, C et 0 du TTD

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