Relations entre conscience et représentations sémantiques verbales

Relations entre conscience et représentations
sémantiques verbales

La conscience 

Généralités

 L’étude neuroscientifique de la conscience a connu d’importantes avancées ces 20 dernières années (Dehaene, Charles, King, & Marti, 2014; Giacino, Fins, Laureys, & Schiff, 2014). Ces progrès sont d’autant plus notables qu’ils retentissent sur la compréhension de nombreuses autres fonctions cognitives dont l’exploration est le plus souvent conduite chez des sujets conscients (mémoire, émotions, contrôle exécutif, langage, etc…). L’état conscient (forme intransitive de la conscience, consciousness pour les anglo-saxons) peut être défini comme un état psychologique caractérisé par la possibilité de prise de conscience subjective (forme transitive de la conscience, awareness pour les anglo-saxons) de contenus divers (perceptions, souvenirs, intentions, émotions, etc…). Ainsi, une représentation mentale est qualifiée de consciente si et seulement si elle est rapportable (« je suis conscient de voir ce stimulus »). L’utilisation de ce critère de « rapportabilité » est au centre des travaux expérimentaux visant à déterminer les mécanismes cérébraux de l’accès conscient. En effet certaines représentations mentales n’accèdent pas à la conscience et sont donc qualifiées d’inconscientes ou de non conscientes. A l’aide des méthodes de la psychologie expérimentale et de l’imagerie cérébrale fonctionnelle il est maintenant possible de sonder l’existence des représentations mentales conscientes et inconscientes chez des sujets sains mais également chez des patients non communicants pour lesquels les données cliniques sont parfois insuffisantes pour déterminer avec certitude leur état de conscience. Ces explorations contemporaines conjuguées à l’expertise clinique et aux techniques d’imagerie morphologique permettent de préciser le diagnostic et le pronostic de certains de ces malades. Ces nouveaux outils ouvrent de nombreuses perspectives aux conséquences médicales, éthiques, sociales et philosophiques importantes. L’étude de la conscience étant difficilement dissociable de l’étude des patients présentant un trouble de la conscience, nous commencerons par introduire les principaux tableaux cliniques d’altération de la conscience. 

Taxonomie des troubles de la conscience 

Les progrès de la réanimation ont conduit depuis les années 50 à l’apparition de tableaux neurologiques nouveaux. En effet avant l’avènement de la ventilation artificielle, les patients présentant un tableau sévère d’altération de la conscience décédaient le plus souvent rapidement du fait de l’absence de protection des voies aériennes, ou moins souvent, des complications directes liées à l’agression cérébrale. Les travaux menés chez ces patients présentant un trouble de la conscience (dans le coma, en état végétatif ou en état de conscience minimale) ont eu une importance majeure dans la compréhension de la physiopathologie de la conscience. L’observation de patients a notamment révélé la distinction de deux composantes de la conscience (dans sa forme intransitive) : l’éveil (« arousal » en anglais) et ce que l’on pourrait traduire par le « traitement cérébral conscient » ou la conscience d’accès (forme transitive de la conscience ; « awareness » en anglais ; Plum & Posner, 180). Nous reviendrons plus tard sur cette distinction importante entre conscience d’état et conscience perceptive (ou conscience d’accès). 

 Le coma

 Le coma est la forme la plus sévère des troubles de la conscience, il se définit généralement par une absence d’ouverture des yeux et de motricité adaptée même en réponse à une stimulation nociceptive. Il est toujours la traduction d’une souffrance de la structure neuro-anatomique qui sous-tend l’éveil : la substance réticulée activatrice ascendante (SRAA), ses voies de projection ou ses relais thalamiques (voir Figure 11 et paragraphe 2.3.1).

L’état végétatif

 Le terme d’état végétatif a été introduit en 172 par Jennett & Plum, pour décrire les patients survivant à un coma qui, malgré l’absence de signe de conscience, conservent une régulation des fonctions végétatives (sous-tendues en partie par des structures situées dans le tronc cérébral) comme la ventilation, la régulation hémodynamique, les réflexes de déglutition et de toux (Jennett & Plum, 172). Les patients en état végétatif conservent souvent une alternance de périodes d’éveil spontané et de sommeil (Bekinschtein, Golombek, Simonetta, Coleman, & Manes, 200). Lorsqu’ils ont les yeux fermés ils sont facilement éveillables, mais l’interaction avec l’examinateur ne permet pas de mettre en évidence de 31 comportements ou de réactions témoignant d’une quelconque perception consciente de l’environnement ou d’eux même. Seules des réactions motrices stéréotypées ou réflexes sont observables telle qu’une réaction de retrait, une grimace à la stimulation nociceptive, ou un clignement à la menace visuelle (voir tableau 1 & 2, d’après (Bernat, 2006) qui reprennent les critères publiés dans les années 0 aux USA par la Multisociety Task Force on Persistent Vegetative et l’ American Neurological Association et en Angleterre par le Royal College of Physicians Working Group). Notons que le terme « végétatif », qui est souvent mais incorrectement associé au terme de végétal, véhicule malheureusement une image négative des patients (« légumes ») au près des proches mais aussi des soignants. Ainsi récemment, le terme plus descriptif et aussi plus neutre de « syndrome d’éveil non répondant » (unresponsive wakefulness syndrome ou UWS) a été proposé (Laureys et al., 2010).

L’état de conscience minimale

 Lorsqu’un patient « émerge » de l’état végétatif mais n’est pour autant pas encore considéré comme « normalement conscient » (on verra plus loin les critères cliniques utilisables pour définir un patient « conscient ») on parle actuellement d’état de conscience minimale (ou MCS pour Minimally Conscious State). Ce terme sous-entend l’existence de la possibilité de traitement cérébral de type conscient. Il a été introduit en 2002 par Giacino (Giacino et al., 2002) et regroupe en réalité plusieurs tableaux neurologiques décrits antérieurement comme le mutisme akinétique ou l’état pauci-relationnel. En France on utilise encore majoritairement ce terme d’état pauci-relationnel qui a l’avantage de mettre l’accent sur l’observation clinique plutôt que sur les contenus mentaux que l’on prêtent au patient. Certains auteurs anglo-saxons préfèrent d’ailleurs le terme proche de minimally responsive state pour les mêmes raisons (Bernat, 2002). En plus d’avoir défini l’état de conscience minimale, Giacino a mis au point une échelle dédiée au suivi de la récupération des patients présentant un trouble de la conscience : la Coma Recovery Scale Revised (Giacino, Kalmar, & Whyte, 2004). Cette échelle définit les critères de sortie d’état végétatif et donc d’état de conscience minimale comme par exemple la poursuite visuelle, une réponse adaptée à la stimulation nociceptive (soustraction du stimulus) ou l’obtention de mouvements sur demande. On voit que l’idée est de mettre en exergue des comportements moteurs ne pouvant être totalement réflexes et impliquant un certain degré d’intégration consciente et de programmation intentionnelle d’une réponse motrice plus ou moins complexe à la différence de ce que l’on observe dans l’état végétatif ou le coma (voire Tableau 3 d’après Giacino, 2005). La CRS-R définit par ailleurs la sortie de l’état de conscience minimale c’est à dire l’entrée dans l’état conscient par l’obtention d’un code de communication fiable ou par l’utilisation fonctionnelle d’un objet. La distinction entre ces différents états cliniques et particulièrement entre VS et MCS est cependant parfois difficile (Rohaut, Faugeras, & Naccache, 2013 en Annexe 5). 

Physiopathologie de la conscience

 Après avoir introduit les principaux tableaux cliniques d’état de conscience altérée, nous allons présenter les bases neurophysiologiques de la conscience. Il est classique de distinguer le système de l’éveil d’une part et un système complexe permettant le traitement conscient de représentations mentales (ou « réseau cérébral de la conscience ») d’autre par

Le système de l’éveil

 L’éveil est sous le contrôle d’une structure cérébrale complexe le plus souvent résumée par le terme de « Substance Réticulée Activatrice Ascendante » ou SRAA. Les neurones de la SRAA ont la particularité d’exercer une action sur de vastes régions corticales et sous-corticales, régulant ainsi les différents états physiologiques que sont l’état de veille, et les différents stades de sommeil (léger, lent et paradoxal). Les noyaux constituants la SRAA sont localisés pour la plupart dans la partie postérieure de la protubérance et des pédoncules niveau’de’vigilance contenu’conscient conscience’ normale ouverture’des’yeux Principaux’troubles’de’la’conscience COMA confusion/delirium obnubilation stupeur lethargie somnolence état$végétatif$(VS) état$de$ conscience$ minimale$ (MCS) poursuite’oculaire’ mouvements’intentionnels 35 cérébraux comme en témoignent les comas observés en cas de lésions à ce niveau (Parvizi & Damasio, 2003). L’organisation anatomique de cette « substance » est extrêmement complexe (Parvizi & Damasio, 2001; Saper, Scammell, & Lu, 2005). Les principaux noyaux de la SRAA s’organisent en deux grandes voies, directe et indirecte: – Les noyaux pédonculo-pontins et latéral dorsal du tegmentum, cholinergiques, projetant vers les noyaux de relais thalamo-corticaux, dont l’activité est associée à une augmentation des interactions thalamo-corticales. – Les noyaux monoaminergiques projetant directement vers le cortex cérébral regroupant les noyaux tubéro-mamillaires (histaminergiques), les noyaux du raphé dorsal et médial (sérotoninergiques), le locus coeruleus (noradrénergique) et les neurones dopaminergiques de la substance périaqueducale. Si l’on sait depuis les travaux princeps de Magoun et Moruzzi que des lésions touchant la SRAA peuvent entrainer un trouble de la conscience avec au maximum un coma, les progrès de la réanimation ont permis d’objectiver une dissociation entre « éveil » et « conscience ». L’état végétatif en constitue la situation la plus caricaturale (Posner, Plum, & Saper, 2007) : le patient est éveillé avec parfois une préservation d’un cycle veille-sommeil (Cologan et al., 2010) mais ne manifeste aucun comportement pouvant témoigner d’une quelconque conscience. La fonctionnalité de la SRAA est donc une condition nécessaire mais non suffisante pour un état conscient. 

Table des matières

Remerciements
Sommaire
Introduction
1 La sémantique
1.1 Généralités
1.2 Le « savoir » et la mémoire sémantique .
1.2.1 La mémoire sémantique
1.2.2 Les autres types de mémoire
1.2.3 Bases neurobiologiques de la mémoire sémantique
1.3 Le traitement sémantique verbal
1.3.1 L’amorçage sémantique
1.3.2 La N0 et autres marqueurs neurophysiologiques de traitement sémantique
1.4 Résumé
2 La conscience
2.1 Généralités
2.2 Taxonomie des troubles de la conscience
2.2.1 Le coma
2.2.2 L’état végétatif
2.2.3 L’état de conscience minimale
2.3 Physiopathologie de la conscience
2.3.1 Le système de l’éveil
2.3.2 Un « réseau cérébral de la conscience »
2.4 Théories de la conscience
2.5 Applications cliniques chez les patients présentant un trouble de la conscience
2.6 Le test « local-global » de la prise de conscience
3 Relation entre conscience et traitement sémantique verbal
3.1 Traitement sémantique non conscient chez le sujet sain
3.2 Traitement sémantique chez les patients non conscients
3.3 Hypothèses de travail
Contributions expérimentales
1 Premier article: Probing ERP correlates of verbal semantic processing in patients with impaired consciousness
1.1 Présentation de l’article
1.2 Article 1
1.3 Supplementary material
2 Deuxième article: Unconscious semantic processing is not automatic: the case of polysemous words
2.1 Présentation de l’article
2.2 Article 2
2.3 Supplementary material
Discussion générale
1. Arguments en faveur de l’existence de traitements sémantiques verbaux non conscients
2. Modèle du traitement de l’information en deux temps appliqué au traitement sémantique verbal
3. Influences top-down sur les traitements sémantiques conscients et non conscients
4. Intégration de nos résultats aux modèles de résolution d’ambiguïté sémantique
5. Implications cliniques
Conclusions et perspectives
Bibliographie
Annexes
Table des illustrations
Table des tableaux
Glossaire

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