Représentations des pratiques linguistiques familiales

 Des parents aux enfants

Il y a bien entendu quasiment toujours influence des discours parentaux sur les mises en mots des jeunes enfants. Toutefois, ces influences ne sont pas les mêmes en fonction des discours, des situations familiales, des contextes extérieurs – des instances de socialisation en général – et de l’enfant lui-même. Il importe dans cette partie de la recherche de mieux comprendre la part d’influence des discours parentaux sur le développement de la conscience sociolinguistique et sur l’appropriation sociolangagière de ces jeunes enfants qui sont amenés à apprendre le breton par voie de scolarisation. En s’appuyant sur la typologie de profils de parents élaborée (cf. chapitre 6), l’analyse comparative de leurs réponses à certaines questions avec celles de leurs enfants permet de percevoir si les motivations parentales, et les discours quotidiens qui y sont assujettis, issus de certaines représentations particulières (des langues, de la langue bretonne, de l’enseignement…), se retrouvent dans les mises en mots et représentations de leurs enfants. Afin de répondre à la problématique générale de cette recherche et aux hypothèses qui en découlent pour ce deuxième volet, les mises en mots des parents et des enfants ont donc été comparées à partir de plusieurs interrogations sous-jacentes pouvant éclairer la recherche menée : – Quelle(s) est/sont selon eux la/les langue(s) de communication dans la famille ? (Le terme famille est ici employé dans une acceptation restreinte, c’est-à-dire entre parents et enfants, et entre enfants) pour percevoir leurs représentations respectives, parents et enfants, de leur situation linguistique familiale, les points de convergence et de divergence entre les discours parentaux et enfantins. Ce la interroge quant à leurs représentations des pratiques. – Quelles sont les attentes des parents vis-à-vis de cet enseignement/apprentissage en breton et comment sont-elles perçues par leurs enfants ? – Quelles sont les craintes énoncées par les parents et se ressentent-elles dans le discours des enfants ? Il est question de mieux cerner les influences en présence ou absentes. – Souhaitent-ils faire poursuivre pour les uns ou poursuivre pour les autres l’apprentissage en breton au-delà du primaire ? – Souhaitent-ils pratiquer ou que leurs enfants pratiquent la langue bretonne plus tard ? afin de savoir en quoi cela renseigne quant à l’appropriation de cette langue et de ce choix par les enfants et à l’avenir de la pratique sociale de la langue bretonne.Les analyses de contenu comparatives réalisées ont permis de mettre en lumière plusieurs modèles d’influences parentales que je qualifie d’ « effets » dans la mesure où les discours parentaux, et leurs représentations à travers eux, semblent agir sur les discours et représentations des enfants de manière caractéristique : – Des effets de miroir (codés en bleu dans les exemples) : une partie des enfants rencontrés rapporte la même situation que celle décrite par les parents, reprenne les arguments de leurs parents à l’identique, avec quasiment les mêmes expressions et/ou idées principales, ou en se référant directement à leurs parents. – Des effets-reflets (codés en jaune dans les exemples) : certains enfants rapportent la même situation que celle décrite par leurs parents mais avec une légère transposition par interprétation de la situation, au travers de leur regard et de leurs mises en mots d’enfants. – Des effets d’accroissement ou de diminution (codés par des dégradés de vert ou de rouge dans les exemples) : l’enfant se positionne du même côté que ses parents en terme de description ou d’évaluation (présence/ absence d’un élément ; attitudes négatives ou positives), mais en augmentant ou diminuant cette perception, en exagérant le propos, souvent en invoquant d’autres paramètres. – Absences d’effet ou effets contraires (codés par l’opposition du rouge et du vert dans les exemples) : l’enfant par ses propos décrit une autre réalité que celle rapportée par ses parents. Dans un premier temps, je vais donc illustrer la manière dont ces effets sont perceptibles dans les discours collectés à partir de l’analyse des mises en mots des parents et enfants sur leurs pratiques linguistiques et les représentations de ces pratiques et de leurs usages. 

Représentations des pratiques linguistiques familiales

 Parmi les sujets développés avec les interviewés – parents et enfants – la question des pratiques linguistiques familiales entre parents et enfants a systématiquement été abordée, parfois de manière directe : « C : donc vous vous leur parlez en breton tout le temps ? 107 », ou indirecte en demandant par exemple aux enfants avec qui ou à quelles occasions ils parlent breton.Les réponses des parents vont de la non-pratique totale du breton en famille au choix de la langue bretonne comme langue exclusive du foyer, en passant par des situations de bilinguisme breton-français lorsqu’un parent parle breton et l’autre français, ou que les deux sont bilingues et emploient les deux langues en fonction des activités. Enfin, une situation diglossique est souvent décrite, c’est-à-dire avec la présence des deux langues au sein du foyer avec des répartitions d’emploi déséquilibrées, soit majoritairement l’emploi du français, et le breton qui est employé pour le suivi des devoirs et de la scolarité. Les différentes configurations linguistiques familiales, déclarées par les 42 familles interviewées, peuvent être schématisées de la façon suivante : Tout fr fr+br pour les devoirs bilinguisme fr/br Tout br. 22 11 7 2 – 22 parents rapportent ne pas parler breton à leurs enfants. – 11 parents disent l’utiliser uniquement pour les devoirs et le suivi scolaire. Parmi eux, certains parents sont bretonnants (PE21, ME28, PE36, ME38, ME42). Ils précisent n’utiliser que ponctuellement le breton en famille. Ils justifient cet état de fait par différentes raisons personnelles, pratiques ou affectives, quant à leurs usages des langues, bretonne et française, mais aussi parfois de sentiment d’insécurité linguistique (« par peur des fautes » ME42) ou du rapport à ces langues de leurs enfants. – 7 parents énoncent une situation bilingue (soit dans une configuration avec le père qui parle en breton et la mère en français comme les couples des entretiens E11, E14, E25 ; soit avec une mère bilingue breton-français et un conjoint qui s’exprime en français pour E16 ; ou enfin un père bilingue breton-français et une mère qui leur parle en français (E18, E32). Pour l’ensemble de ces situations le français est toujours la langue majoritaire quant au temps d’exposition de l’enfant à chacune des langues. – Enfin, deux couples indiquent le breton comme langue du foyer et langue quasiexclusive des échanges avec les enfants : ME2/PE2 et ME24/PE24. Toutefois, ME2 et PE2 précisent que leur langue de communication entre parents est le français.

Pas de breton avec les enfants

Lorsque les parents déclarent ne pas parler breton avec leurs enfants (22 familles), les comparaisons des mises en mots des enfants avec celles de leurs parents révèlent des différences et la présence de plusieurs effets d’influence. Cependant, à l’exception des mises en mots quasi-identiques – effet de miroir – une tendance se dessine nettement dans les discours enfantins : la valorisation des compétences et pratiques familiales du breton, même minimales. Ainsi, parmi les 22 familles dont les parents déclarent ne pas parler breton à leurs enfants, on repère tout d’abord trois enfants (Koupaïa, Agathe et Xavier) dont les mises en mots peuvent être apparentées à cette idée d’effets de miroir : Ces trois enfants décrivent donc la même situation que celle dépeinte par leurs parents avec les mêmes nuances. Huit autres enfants confirment bien la non-pratique de leurs parents mais avec un déplacement de l’objet de la question, ce que je qualifie d’effets-reflets, bien qu’ils soient tout à fait conscients que leurs parents ne parlent pas breton : Lise : /// personne parle breton// Aodren : parce que ma mère elle sait pas parler breton// Judikael : ma famille elle parle pas breton// Awen : français/ parce que ma mère et mon père connaissent pas le breton// 310 Ils souhaitent tout de même indiquer une pratique ou un rapport minimal de leur famille à la langue bretonne. Pour cela, ils adaptent leurs réponses. Ils déplacent quelque peu l’objet de la question, soit en indiquant que le breton est tout de même présent dans la famille par le biais d’autres personnes : Judikael : avec ma grand-mère/ Eric : moi euh c’est pour les devoirs quand on a des devoirs/ si/ quand on a des devoirs en breton c’est facile parce que si on arrive pas à faire avec ses parents qui parlent pas breton/ ben moi je fais avec mon frère// Sandy : avec mon cousin des fois/ Awen : ma sœur quelque fois// Aodren : avec mes grands-parents euh/ les parents de ma mère// Lise : /// personne parle breton// à part euh ma ma sœur et moi// soit en mettant en avant les quelques expressions connues et/ou les efforts de leur parents : Judikael : et ben euh elle connaît un petit peu des mots en breton// donc des fois on parle tous les deux// Eric : oui un peu// […] avec nous […]et sinon ben moi je dis à mes parents ce que ça veut dire et puis après ils/ ils […] ils comprennent// Aodren : euh un peu avec ma mère/ je dis bonjour au revoir kenavo voilà// voire en indiquant un lien affectif de leurs parents avec cette langue : Eric : moi ma mère et mon père ils trouvent que c’est rigolo qui qu’on devrait plus parler breton// […] parce que eux ils/ mon père et ma mère ils ont pas pu en faire/ et puis ils trouvent ça bien de/ de/ quand on leur parle breton// Le tableau 12 ci-dessous reprend les éléments collectés relatifs à la pratique du breton dans ces huit familles où les parents déclarent ne pas parler breton à leurs enfants et met en exergue ces effets-reflets dans les discours et représentations de ces huit enfants.  

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