Tabagisme chez le jeune engagé volontaire de l’Armée

Tabagisme chez le jeune engagé volontaire de l’Armée

Le tabac, du Nouveau Monde à la France du XXIe siècle 

Plante du Nouveau Monde, inconnue des Européens avant l’expédition de Christophe Colomb, le tabac était déjà largement consommé par les peuples amérindiens sous diverses formes selon les cultures : tabac à fumer à l’aide de pipe ou de cigare, tabac à chiquer ou à priser. Les variétés Nicotiana rustica et Nicotiana tabacum étaient les plus utilisées. La première avait une concentration en nicotine nettement supérieure à la deuxième, ce qui favorisait son usage central dans les rites traditionnels et chamaniques, en tant que moyen de communication avec les puissances spirituelles. Le tabac occupait également une place importante dans la pharmacopée outre-Atlantique comme traitement de certaines affections respiratoires, dermatologiques, ou encore intestinales (3). À la suite de la découverte de cette plante, concomitante de celle des Amériques, sa consommation débute en Europe dès le début du XVIe siècle. Elle prédomine initialement auprès des marins qui la propagent de port en port, avant de se populariser au milieu du même siècle. Elle apparait dans les sphères aisées et éduquées au cours de la deuxième moitié du XVIe siècle, classes qui en seront les principaux consommateurs jusqu’à la fin du XIXe siècle. Celles-ci sont plus adeptes du tabac à priser, et laissent la pipe aux classes sociales populaires, alors que les marins et militaires, fervents consommateurs, préfèrent le tabac à chiquer (3). On lui prête des vertus médicinales multiples et variées, toujours plus nombreuses. Rapidement, il semblerait qu’aucune maladie ne saurait résister au tabac. Ainsi, la diffusion de cette nouvelle plante ne rencontre que peu de résistance au point d’être connue du monde entier à la fin du XVIe siècle. Dans le sillage de la Révolution française, la fin du XVIIIe siècle voit le déclin du tabac à priser chez les élites françaises, référence à une image aristocratique en disgrâce, au profit du cigare (3). Les premières cigarettes apparaissent au début du XIXe siècle, popularisées par les armées napoléoniennes. D’abord artisanales, la production ne tarde pas à s’industrialiser. Associée à des campagnes publicitaires, cette mécanisation permettra la première explosion de l’usage des cigarettes au tournant du XXe siècle auprès des classes populaires. Dès 1920, ce nouveau mode de consommation supplante tous les autres (3)(4)(5). Traditionnellement consommée par les hommes jusqu’au début des années 1900, la cigarette devient progressivement un symbole d’émancipation et d’indépendance des élites féminines. Elle devient même l’un des signes distinctifs des suffragettes, bien que la consommation chez les femmes reste marginale à l’échelle nationale (3)(4). L’explosion de la consommation du tabac, au travers de la fabrication de cigarettes manufacturées, se poursuit en France à la fin de la Seconde Guerre mondiale, notamment dans les zones libérées par les troupes américaines. Ces dernières introduisent le tabac blond au fur et à mesure de leur avancée, plus doux que le tabac brun habituellement consommé par les français. Synonyme de liberté et d’émancipation, le tabagisme s’intensifie notablement durant la période des Trente Glorieuses, avec une multiplication des marques et la popularisation des différents types de tabac. Sont par exemple Thèse d’exercice de Médecine Générale, Aix-Marseille Université IHA CHARRIERE Arnaud 14 proposés des tabacs définis comme plus « doux » à destination spécifique des femmes, issus du tabac blond importé d’Amérique (3)(5)(6). La consommation de ce produit croît donc de manière exponentielle durant l’après-guerre, que ce soit en termes de prévalence ou de quantité de tabac fumé. Cependant, une première décroissance est observée chezles hommes appartenant aux classes aisées durant la deuxième moitié du XXe siècle (4). Ainsi, la proportion totale de fumeurs masculins chute de 72% en 1967 à 46% en 1991, puis 42% en 1998 (4)(6). Parallèlement, le tabagisme quotidien des hommes, initialement stable à 45% entre 1967 et 1986, recule à 33,7% en 2000 (7) (figure 1). Le tabagisme masculin semble ainsi rentrer en phase de régression sociale : fumer n’est plus l’apanage des hommes éduqués mais plutôt une marque de dépendance des classes plus populaires. Ces évolutions sont en partie en lien avec les nombreuses publications scientifiques sur la toxicité du tabac initiées en 1950 et les premières mesures législatives anti-tabagiques. Au contraire, le tabagisme féminin continue de se développer jusqu’à la fin des années 1990, majoritairement chez les femmes à haut degré d’étude. En additionnant usage occasionnel et quotidien, ce comportement concerne 35% des femmes en 1991 contre 32% en 1967. Cependant, l’image du tabagisme se modifie au tournant du XX e siècle : il tend à devenir une marque de dépendance plus que d’affirmation de soi. Ce changement laisse présager une arrivée plus précoce de la régression sociale du tabagisme féminin (4). Figure 1 : Évolution de la prévalence tabagique totale (quotidienne et occasionnelle) entre 1974 et 2018 parmi les 18-75 ans.

Du monopole d’État à la politique anti-tabac : une prise de conscience sociétale 

Le succès commercial que rencontre le tabac sous ses diverses formes attire l’attention de l’État dès le début du XVIIe siècle, qui y voit une nouvelle source de revenus. Richelieu instaure dès 1629 le premier impôt sur le tabac, avant que Colbert ne crée le monopole d’État de la vente en 1674, puis de la production de tabac en 1681 (8). En dehors de la période de la Révolution française, ce monopole perdure jusqu’en 1926, date à laquelle est fondée la Société d’exploitation industrielle du tabac, avant de devenir la Société d’exploitation industrielle du tabac et des allumettes (SEITA) à partir de 1935. Les recettes dégagées par cette entreprise, sous l’égide du ministère de l’Économie et des Finances, représentent jusqu’à 4% du budget de l’État en 1960 (6). Entre ces deux dates, les progrès scientifiques sont rares : la principale avancée est la découverte de la nicotine par Louis Nicolas Vauquelin en 1809 (3). Malgré cela, le scepticisme médical envers le tabac va croissant durant la première moitié du XXe siècle. Il faut attendre 1950 pour voir la première vraie publication scientifique de Richard Doll et Austin Bradford Hill, qui met en évidence un lien entre le tabagisme et le cancer du poumon (9) et ouvre la voie aux études sur le tabac, de plus en plus nombreuses à partir de 1962. Les français prennent conscience des méfaits de leur comportement tabagique dès 1957, ce qui ne les empêche pas d’être toujours plus nombreux à fumer toujours plus de tabac (6). De son côté, l’État français met du temps à réagir : le premier projet de loi contre le tabac est porté par Simone Veil en 1976, longtemps après les États-Unis (1964) et la Grande-Bretagne (1967). Ce projet vise à interdire le parrainage d’évènements sportifs, la publicité et la distribution gratuite de cigarettes (6)(10). Cette première mesure phare semble en grande partie responsable de la baisse marquée de prévalence du tabagisme masculin entre 1967 et 1991. En 1991, elle est renforcée par la Loi 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme dite loi Evin. Cette dernière prohibe la consommation de cigarettes dans les lieux à usage collectif, impose l’inscription « Nuit gravement à la santé » ainsi que le détail de la composition de chaque unité sur les paquets de cigarettes et marque la création du jour sans tabac au 31 mai (11). Sa promulgation s’accompagne aussi de la non-indexation du tabac sur les cours du marché. Suite à ces deux nouveaux préceptes impulsés par le ministère de la Santé, l’État français reste cependant longtemps ambivalent en maintenant sa participation dans la SEITA, en charge du monopole d’État et chapeautée par le ministère de l’Économie et des Finances. Il faut attendre 1995 pour que l’État se retire de la SEITA (6). À partir de 1997, une partie des revenus provenant de la taxation du tabac est reversée directement à l’assurance maladie (12). De fait, la fin du XXe siècle voit le gouvernement français prendre une position claire et sans ambiguïté : la lutte contre le tabagisme est déclarée.

Le tabac au XXIe siècle : état des connaissances 

Ce positionnement clair de l’État en faveur de la lutte contre le tabac se base sur un argumentaire scientifique robuste. Le corps médical et les institutionssavent désormais que le tabagisme actif participe à la survenue d’au moins 13 types de cancers, avec en première position, le cancer du poumon dont il serait responsable dans 89% des cas chez l’homme, puis ceux des voies aéro-digestives supérieures, du foie, du pancréas, de la vessie, ou encore du côlon (figure 2) (13). Le tabac est l’un des quatre facteurs de risque cardio-vasculaire les plus importants, aux côtés de l’hypertension artérielle, du diabète et de l’hypercholestérolémie. Il est impliqué notamment dans l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI), l’accident vasculaire cérébral (AVC), l’infarctus du myocarde ou encore l’anévrisme de l’aorte abdominale. Il est également identifié comme responsable de l’écrasante majorité des broncho-pneumopathies chroniques obstructives(BPCO) (14). Ces pathologies trouvent leur origine dans la composition de la fumée de cigarette, qui compte au moins 4 000 substances chimiques répertoriées, parmi lesquelles plus de 50 sont cancérigènes (15). Cela justifie également que le tabagisme passif soit reconnu pour sa part comme facteur de risque du cancer du poumon (16), de BPCO, d’asthme ou de coronaropathie (17). En 2000, le tabac est accusé de la mort de cinq millions de personnes à travers le monde et 66 000 en France. En 2015, ce chiffre s’est nettement majoré avec plus de 8 millions de morts dans le monde, dont 1,2 million de fumeurs passifs (16). En France, cela représente 75 000 décès environ, soit 13% des décès recensés, parmi lesquels 73% d’hommes et 27% de femmes (13). Le nombre de décès chez les femmes a plus que doublé en 15 ans, et celui des hommes a baissé dans le même temps, mais dans une moindre mesure (-11%). Ces chiffres sont le reflet de l’évolution des consommations vers la fin du XXe siècle. Les cancers sont impliqués dans 62 % des décès (dont le cancer du poumon dans 61% des cas de cancer), les pathologies cardio-vasculaires dans 22% et les affections respiratoires dans 16% des cas (13). Le coût annuel imposé à la société par le tabac est de 26 milliards d’euros en termes de frais de santé, auxquels s’additionnent le coût social qui avoisine les 120 milliards d’euros. Ce dernier englobe les coûts engendrés par les pertes de vies humaines, perte de qualité de vie et de production, imputables à la consommation du tabac, mais également les coûts des politiques publiques de lutte contre sa consommation. À l’inverse, les taxes liées au tabac rapportent environ 10 milliards d’euros chaque année à l’État (18).  

Table des matières

I. INTRODUCTION
1. Le tabac, du Nouveau Monde à la France du XXIe
siècle
2. Du monopole d’État à la politique anti-tabac : une prise de conscience sociétale
3. Le tabac au XXIe
siècle : état des connaissances
4. Le tabac du XXIe siècle : une lutte farouche
5. L’émergence du vapotage
6. Le tabac chez les militaires : un long parrainage
7. Justification de l’étude
II. MATÉRIELS ET METHODES
1. L’étude
2. Nombre théorique de sujets nécessaires
3. Population d’étude
4. Recueil de données
5. Questionnaire
6. Analyse des données quantitatives
III. RÉSULTATS
1. Perdus de vue
2. À l’inclusion (T0)
a. Caractéristiques de la population
b. Consommation tabagique
c. Cigarette électronique
d. Alcool.
3. En fin de suivi (T1)
a. Consommation de tabac
b. Cigarette électronique
c. Alcool.
4. Évolution entre T0 et T1
a. Tabac
b. Facteurs associés à la variation tabagique
c. Cigarette électronique
d. Alcool.
IV. DISCUSSION
1. Population d’étude et perdus de vue : des différences attendues
2. Représentativité du genre par rapport aux militaires du rang de l’armée de Terre
3. Statut tabagique : De grandes similitudes entre candidats à l’engagement et la population
générale
4. Statut tabagique : durant le CFIM, plus de fumeurs, mais qui fument moins
5. Déterminants de la variation de consommation tabagique
a. L’armée : l’occasion d’une meilleure hygiène de vie ?
b. Ou la persistance des vieilles habitudes ?
6. Cigarette électronique : comparaison avec la population générale
7. E-cigarette : Évolution de la consommation au cours de la formation militaire initiale
8. Alcool : consommation initiale et comparaison avec la population générale
9. Alcool : Évolution de la consommation au cours de la formation militaire initiale
10. Comparaison avec les données militaires de 2007 et 2019 : une prévalence en baisse, mais à surveiller
11. Ouverture et perspectives
a. De quoi s’inspirer
b. Application dans les armées françaises
12. Faiblesses et forces.
a. Faiblesses
b. Forces.
V. CONCLUSION.
BIBLIOGRAPHIE.
GLOSSAIRE
ANNEXE 1 : Questionnaire d’inclusion
ANNEXE 2 : Questionnaire de fin de suivi
SERMENT D’HIPPOCRATE

projet fin d'etude

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