Un évidement du produit au profit des médiations mythiques et symboliques

Les paroles sacrées des marques wellness sur Instagram : le cas des publications textuelles de Sakara

La marque wellness comme figure supra-humaine ou la construction du mythe Sakara

La valorisation holistique du consommateur et de la marque

Comme nous l’avons brièvement mentionné dans l’introduction, il est un terme essentiel, qui par sa circulation dans l’industrie du wellness, pose les bases de cette économie très profitable. Il s’agit du holisme. Dès les premières recherches effectuées dans le cadre de cette étude, le holisme est apparu comme le premier « mot magique » pour entrer dans le cercle des initiés du bien-être. En effet, le terme est l’un des composants de la définition proposée par The Global Wellness Institute , selon laquelle le wellness est « la poursuite active d’activités, 38 de choix et de modes de vie qui conduisent à un état de santé holistique » . 39 Alors que le holisme et plus précisément ici la santé holistique semble être la finalité d’une quête active, retracer brièvement l’origine de cette doctrine semble nécessaire afin de comprendre l’intérêt de l’appropriation de cette théorie par et pour l’écosystème du bien-être. 

Le holisme, un rapport ancien au bien-être et à la santé 

La compréhension du holisme débute avec une question constitutive de la condition humaine qui est de considérer l’être humain comme un corps ou un esprit. Si dans sa définition, le holisme consiste « à considérer les phénomènes » et en l’occurrence l’être humain, « comme des totalités » , l’unification des différentes substances matérielles, psychiques ou spirituelles n’a 40 pas toujours été d’une grande évidence. La dichotomie corps-esprit a occupé des générations de philosophes, qui « ont souvent préféré méditer sur l’âme et ses passions » , plaçant le 41 corps au statut de res extensa, simple extension du res cogitans (ce qui pense), la véritable entité noble dominante. Si des penseurs ont tenté d’inverser cette tendance de pensée comme Spinoza, selon lequel corps et âme sont une seule et même chose, ou Nietzsche pour qui le corps est un maître puissant dont l’esprit n’est que l’instrument, il est intéressant de constater que l’approche holistique de l’humain s’oppose par principe à la médecine moderne qui en toute conformité avec le dualisme cartésien, considère une distinction du corps et de l’esprit en soignant les symptômes d’une maladie avant les causes et en occultant le psyché comme une potentielle cause. La médecine moderne ausculte, examine, puis progressivement, les progrès scientifiques comme les radiographies, les tomographies ou l’échographie dans les années 1970 permettent une « auto-visualisation » et apprennent aux patients à s’identifier et à s’interpréter par rapport aux planches anatomiques. Il n’est désormais plus question de « se sentir », mais de « se visualiser » à travers des courbes et des analyses . Pourtant, cette médecine dite moderne repose elle-même sur les fondements des travaux du médecin grec Hippocrate, dont des recherches les plus populaires, la théorie des humeurs, se concentrait sur la prévention des maladies plutôt que sur leur simple traitement. En affirmant que la bonne santé repose sur un équilibre constant des humeurs et que la maladie est le produit de l’alimentation, du mode de vie et de facteurs environnementaux, Hippocrate semblait poser les fondements d’une pensée holistique de la santé. Le holisme est donc fondamentalement compatible avec une application à la santé humaine, comme le démontrent d’autres civilisations, notamment orientales, dont la philosophie de vie repose sur une perspective holistique de la santé humaine. Le système de médecine traditionnelle chinoise vieux de plusieurs milliers d’années, influencé par les philosophies taoïstes et bouddhistes par exemple qui propose une vision complexe de l’humain et de ses interrelations avec l’univers, ou le système ayurvédique en Inde dont le nom se traduit par « connaissance de la vie » et qui repose sur quatre textes sacrés hindous s’efforçant de créer une harmonie entre le corps, l’âme et l’esprit. Alors que la santé et la spiritualité sont interdépendantes dans ces cultures, à partir de la fin du XIXème et en s’abreuvant de références telles que citées précédemment, un nouveau mouvement syncrétique voit le jour comme les prémices du bien-être holistique, en réaction notamment à la culture puritaine du calvinisme qui règne au nord de l’Europe. Le mouvement du New Age — ou Nouvelle Pensée — à l’origine de la pensée positive aujourd’hui, se caractérise par une nouvelle approche qui en réinterprétant les spiritualités orientales, spiritualise l’existence d’une culture américaine et européenne assombries par un Dieu hostile ou indiffèrent. Sous l’influence de ces différentes approches et dans le contexte du nouvel-âge, les thérapies holistiques prennent de l’ampleur en occident. Cette nouvelle vision, nous l’avons vu, n’est pas si nouvelle en réalité, il est question d’un changement de paradigme dans notre ILLICH Ivan. L’obsession de la santé parfaite, (accès libre, mars 1999)   rapport à la santé. Alors que dans les pays développés, « l’obsession de la santé parfaite est devenue un facteur pathogène prédominant » , le système médical s’est métamorphosé de 43 « médecins qui écoutent une plainte en médecins qui attribuent une pathologie » et la bonne 44 santé ne consiste désormais plus en la simple absence de maladie quelconque. En incluant le bien-être dans la définition même de la santé, l’Organisation Mondiale de la Santé valide la   nécessité de la considération des diverses substances de l’homme dans la prise en compte de sa bonne condition. 

Une vision holistique du consommateur comme multiplication des points de contacts 

Le holisme est une notion intrinsèque à l’écosystème du wellness. Conformément à la définition, l’objectif de ce dernier est d’atteindre un état de santé holistique optimal. Ainsi, les marques dont le positionnement est le wellness doivent intégrer et manifester clairement une vision holistique de leurs consommateurs afin de leur permettre d’accéder au niveau de santé idéal recherché. Sakara introduit sa vision de la manière suivante dans l’encadré intitulé bio d’Instagram : « Sakara est une entreprise de bien-être ancrée dans l’alimentation comme médecine » . Cette affirmation fait écho à la nutrition comme l’un des piliers de la santé holis 46 – tique et se traduit par un pouvoir curatif accordé à la nourriture. Bien sûr, l’alimentation comme besoin physiologique du corps est intimement liée à la santé physique. En revanche, le pouvoir de soigner des pathologies à travers des régimes alimentaires relève d’une médecine dite intégrative. Par la conjugaison de la médecine conventionnelle dualiste et des médecines alternatives complémentaires, elle permet de proposer des traitements holistiques aux patients. Ainsi les plats préparés de Sakara dépassent les simples promesses nutritionnelles ou de perte de poids habituelles de marques qui proposent la même offre et se déguisent en alicaments. Si Sakara présente son positionnement d’entrée de jeu sur le profil Instagram, c’est à travers les publications textuelles que la marque exprime sa pensée holistique de manière explicite. Là où la biographie Instagram représente un cadre privilégié pour « parler de soi », les publications textuelles qui apparaissent sur le feed se positionnent comme de véritables prises de paroles pour « parler » à l’utilisateur.

Table des matières

INTRODUCTION 
PARTIE 1 – La marque wellness comme figure supra-humaine ou la construction du mythe Sakara
A) La valorisation holistique du consommateur et de la marque 
a) Le holisme, un rapport ancien au bien-être et à la santé 
b) Une vision holistique du consommateur comme multiplication des points de contacts 
c) « eat clean, eat whole » : l’entièreté comme signature de marque 
B) Les publications textuelles comme objets communicationnels de transmission des paroles sacrées d’une marque divinisée 
a) L’ancrage de Sakara dans un système de valeurs spirituelles et culturelles diverses 
b) L’hybridation entre texte et image : un objet communicationnel humain et divin 
c) La publication textuelle ou la déclaration divine d’une figure supra-humaine et la production d’une incursion dans l’imaginaire des utilisateurs 
C) Instagram : un espace de communication privilégié avec les initiés dans l’extension mythique de Sakara 
a) La légende Instagram : un cadre de narration supplémentaire au service de la légitimation de Sakara 
b) Les commentaires Instagram : l’émoji, le nouveau culte 
c) Instagram, le recueil d’une religion du wellness 
PARTIE 2 – Entre cohabitation discrète et hyperpublicitarisation, Instagram au service d’une extension symbolique de Sakara 
A) Instagram : une cohabitation discrète des marques et des consommateurs comme un écrin favorable à l’anthropomorphisation de la marque 
a) Porosité des frontières entre profil personnel et « profil de marque » 
b) « Profil de marque » : Instagram au service de l’anthropomorphisation de la marque 
c) D’humain à supra-humain 
B) Une hyperpublicitarisation évidente par une sur-sémantisation dans l’architexte d’Instagram au service de l’extension symbolique de Sakara 
a) Instagram et le discours publicitaire : les publications textuelles comme enjeu de visibilité et de distinction
b) L’architexte d’Instagram au service d’une sur-sémantisation flagrante de Sakara 
c) Une hyperpublicitarisation indéniable asservissant la médiation symbolique de Sakara
C) Une extension symbolique comme hybridation entre ambitions marchandes et quête d’engagement 
a) Une dose de Sakara par jour : une raison légitime de suivre la marque sur Instagram 
b) Les publications textuelles sur Instagram : un rappel quotidien d’une insatisfaction de soi 
PARTIE 3 – Un évidement du produit au profit des médiations mythiques et symboliques :source de pérennité ou quête sans fin ? 
A) Une dimension transactionnelle occultée : une pérennité assurée par une marque qui « fait sens » 
a) Une dimension transactionnelle occultée 
b) Pour une légitimation crédible de Sakara 
c) Le positionnement wellness : une pérennité de marque 
B) Une logique communicationnelle de surveillance tripartite 
a)Instagram Business : la clé de la surveillance 
b)Les publications textuelles génératrices de culpabilité et d’auto-jugement pour les utilisateurs 
c) Le wellness ou l’obsession de l’auto-surveillance 
C) Le wellness, une idéologie pérenne ? 
a)Le wellness, une quête sans fin 
b)Le wellness, un mythe capitaliste
c) Le wellness, un déclin proche ? 
CONCLUSION 
BIBLIOGRAPHIE 
ANNEXES 
RÉSUMÉ 
MOTS-CLÉS

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