Une expression variable des émotions des détenus liée au support choisi et à la question temporelle

Une expression variable des émotions des détenus liée au support choisi et à la question temporelle

Nous sommes partie de la construction du support formel (le support matériel de communication et ses règles d’inscription spatiale et syntaxique) pour démontrer que le contexte carcéral et ses contraintes spécifiques influencent le choix du support de communication ainsi que son contenu. Nous allons désormais prouver notre hypothèse par l’analyse d’un échantillon représentatif pour les types de support carcéraux présentés dans la partie précédente. Cette analyse sera aiguillée selon la manifestation des émotions des détenus dans leurs actes de communication, puisque, selon nous, celles-ci sont amplifiées par l’enfermement et ses contraintes quotidiennes. Ces émotions fonctionnent différemment selon ce qui les a déclenchées et elles effectuent une transformation sur le sujet agissant. Cette dernière fait du sujet un être ému capable de réagir à ces contraintes pour obtenir plus de liberté et d’intimité, que les conséquences soient positives ou négatives. Nous différencions les émotions de la passion au sens de Jacques Fontanille et d’Algirdas Julien Greimas dans Sémiotique des passions qui se définit ainsi : On n’ignorera pas pour autant que la passion d’un sujet peut résulter d’un faire, soit de ce sujet lui-même, comme dans le « remords », soit d’un autre sujet, comme dans la « fureur », et qu’elle peut aussi déboucher sur un faire que les psychiatres dénomment le « passage à l’acte » : c’est ainsi que l’ « enthousiasme » ou le « désespoir », par exemple, programment sur la dimension pathémique un sujet de faire potentiel, soit pour créer, soit pour détruire ; la passion elle-même, en tant qu’elle apparaît comme un discours de second degré inclus dans le discours, peut en elle-même être considérée comme un acte, au sens où on parle par exemple d’ « acte de langage » : le faire du sujet passionné n’est pas sans rappeler alors celui d’un sujet discursif, auquel il peut d’ailleurs se substituer, le cas échéant ; c’est alors que le discours passionnel, enchaînement d’actes pathémiques, vient interférer avec le discours d’accueil – la vie en tant que telle, en quelque sorte – et le perturber ou l’infléchir567.

Pour notre sujet, ce sont les émotions qui construisent l’état de faire éphémère du sujet et non pas la passion qui, elle, est un état de faire qui peut être débrayé à tout moment par sa présence continue. Cependant, certains états sont ressentis comme passionnel pour les détenus lorsque les émotions sont trop fortes, comme avec le désespoir et l’impulsivité, que nous étudierons comme des passages à l’acte intempestifs. Le détenu peut devenir un être passionnel le temps de la détention, mais cet état n’a plus de raison d’existence à la sortie. Nous utiliserons donc certaines descriptions des passions de la Sémiotique des passions pour expliquer le fonctionnement des émotions des détenus, car elles ont les mêmes effets sur l’être humain, mais de manière éphémère dans ce cas précis (de temps en temps au fil de l’incarcération). Le système carcéral est organisé par l’administration pénitentiaire, ce qui en fait l’élément manipulateur des actions des détenus, par le biais des contraintes carcérales. En effet, les détenus sont en position constante de /non-pouvoir faire/ et de /non-devoir faire/, ce qui construit l’intensité des émotions des détenus. Celles-ci ont donc pour conséquences un passage à l’acte particulier au milieu carcéral : des utilisations détournées des supports de communication afin de retrouver des capacités modales satisfaisantes. De même, nous émettons l’hypothèse que le temps n’est pas vécu ni perçu de la même manière par les détenus que les personnes libres, puisque le quotidien est géré par l’administration pénitentiaire (les différentes actions comme le temps de chacune d’entre elles). Nous allons donc vérifier si les contenus des productions carcérales sont influencés par cette notion temporelle, afin de nous rendre compte si c’est cette perception568 qui transforme les émotions des détenus en de véritables passions éphémères. Si le temps, par sa redéfinition carcérale, a des conséquences sur les émotions des détenus (et donc sur leurs actes communicationnels), alors nous pourrons démontrer que la communication carcérale se déroule différemment de la société, puisque chaque système a ses propres valeurs

 

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