Une fenêtre d’opportunité

Une fenêtre d’opportunité

Cadre de l’intervention au sein de la société du leader mondial des vins de champagne et intérêt de la recherche En dépit d’une érosion importante des ventes de M début 90, les marges se sont tout de même maintenues en 1991 grâce à une augmentation des prix de 20%. En 1992, la dépression persistante de la demande dans une situation de baisse des prix de vente, la hausse des coûts A&P (Advertising & publicity) et des matières premières finissent par réduire la marge de M. Simultanément, les frais financiers s’alourdissent par gonflement des stocks, provoquant un effet de ciseaux négatif. Conséquence directe, le résultat courant de M chute pour un chiffre d’affaires en net recul. C’est dans ce contexte de crise et à la suite du “ Plan performances ” de McKinsey18 pour redresser la rentabilité déficitaire et réduire les coûts (target à -40% en partant du budget réalisé de 1992) que nous sommes intervenus. Notre mission, mandatée par la directrice générale des ressources humaines19 de L.V.M.H, conseiller du président, a été de cerner chez M la mise en place des nouveaux modes de fonctionnement, puis d’évaluer les processus de changement organisationnel initiés dès 1995. Afin d’atteindre ces objectifs, il nous fallait comprendre l’environnement stratégique de M pour préciser à quelles finalités le projet d’évolution organisationnelle était censé répondre. Ensuite, analyser son fonctionnement réel grâce à un audit organisationnel transversal de la firme mené pendant 19 mois. Enfin, d’expliquer, via la nature et l’ampleur des changements envisagés pour restaurer la rentabilité à chaque niveau de l’organisation (structures hiérarchiques et fonctionnelles, organisation du travail, principes et outils de coordination et de contrôle, processus opératoire), pourquoi ce programme a échoué. Et de préciser de quel type d’échec il s’agit. La méthode d’investigation utilisée a été la recherche intervention (RI20) : l’observation du chercheur n’est pas passive, mais repose sur «l’interaction formalisée» avec les acteurs qui réagissent au changement, grâce aux outils d’aide à la décision, aux nouvelles procédures de gestion et aux modélisations. Le chercheur reconstitue le puzzle du fonctionnement des dispositifs existants. Bellemare et Garrigou (1997) soulignent que, en ne se contentant pas d’être observateur, le chercheur a plus de chances d’accéder aux « dimensions axiologiques » de l’activité des autres acteurs. La première phase de l’étude sur le terrain a pour objectif de dessiner le champ concurrentiel dans lequel la firme M évolue en étudiant différents paramètres : filière viti-vinicole française, système AOC, AOC Champagne, concurrents directs et indirects, canaux de distribution. Nos travaux couvrent les trente dernières années (1970 -1999), qui sont aussi les plus représentatives des modifications profondes des structures et des mouvements au sein de M. L’utilisation d’outils d’analyse stratégique et organisationnelle alliée à un travail de terrain chez Moët & Chandon (M), Moët Hennessy Distribution (MHD), Moët Hennessy Vins & Spiritueux (MHVS), Vuitton et L.V.M.H pendant plus de trois ans et demi a permis : – de mettre en évidence les dérives provoquées par le système d’appellation et leurs conséquences pour l’organisation et la croissance de M ; – de cerner les menaces stratégiques en amont et en aval de M ; – d’identifier trois modèles de croissance quasi identiques (AOC, AOC Champagne et M) ainsi que leur interdépendance ; – d’éclairer les processus de développement d’une entreprise leader sur son marché ; – de comprendre les échecs du changement organisationnel enclenché début 1990. 

Couverture théorique, outils stratégiques et changement organisationnel

Nous avons mobilisé un corpus théorique pluridisciplinaire sur les grands courants de pensées managériales afin d’éclairer des situations complexes où les priorités se gèrent dans l’urgence : l’histoire industrielle, A. Chandler22 ; l’instrumentation de gestion « La technologie invisible » développéé par notre laboratoire (Hatchuel 1996, Moisdon 1997) et le processus de décision du Centre de recherche en Gestion de l’Ecole Polytechnique et Centre de Gestion scientifique de l’Ecole des Mines ; les Théories des organisations, H. Mintzberg23 ; Lawrence et Lorsch24 ; Avantages concurrentiels M. Porter25 et Approches stratégiques G.Hamel26… Nous avons aussi sollicité la sociologie du travail, des entreprises et des organisations pour l’analyse des professionnalités mobilisées selon R. Sainseaulieu27 ou P.Bernoux28 , les processus de hangement de A.Pettigrew29; la sociologie psycho-clinique de l’entreprise E. Henriquez30 ; la sociologie de l’innovation selon Callon et Latour31 au CSI- Ecole des Mines et la sociologie de l’organisation de M. Crozier32 ( 1963) et E. Friedberg (1988)33… Les résultats des recherches théoriques en organisation portant sur des entreprises internationales semblent dans les premiers mois de notre étude s’appliquer tout à fait à l’entreprise moyenne régionale M, très ancrée dans la tradition française. Les données, bien que différentes, sont à la base des problèmes communs qui portent en eux une même solution, celle préconisée par les chercheurs. Notre revue littéraire sélectionne des ouvrages qui mettent à jour les mécanismes utilisés par les entreprises pour conduire leurs processus de changement stratégique et organisationnel. 

La dépendance critique vis-à-vis de l’environnement

Pendant longtemps, l’approche contingente pour expliquer les performances de la firme a dominé. Le schéma de W.R. Scott, contribue à clarifier l’évolution des théories de l’organisation34 grâce à l’utilisation de deux axes bipolaires : l’axe système fermé/ouvert et l’axe rationnel/naturel.

– l’hostilité

C’est le degré de menace auquel doit faire face l’organisation pour atteindre ses objectifs (concurrents, pouvoirs publics, non disponibilité des ressources nécessaires à l’exploitation…). Ce concept est proche de la munificence. Pour Mintzberg (1982, p. 247), « l’hostilité est une variable proche de la dimension stabilité/ dynamisme, en ce sens que les environnements hostiles sont en général dynamiques ». A partir d’une enquête menée entre 1960 et 1983 sur la firme chimique anglo-saxonne ICI, A. Pettigrew44 confirme ces approches. Il constate que l’environnement politique et économique joue un rôle majeur dans le déclenchement d’un processus de changement organisationnel. Par leurs analyses, M. Crozier et H. Levinson démontrent aussi en s’appuyant sur le «Model» des 5 forces de Porter qu’une organisation n’entreprend un processus de changement que si elle est contrainte par les pressions externes (perte du monopole des marchés, crise économique, abaissement des barrières frontalières…). Porter45 s’appuie sur Ducan (1972) qui a identifié cinq composantes de l’environnement externe de l’entreprise46 source de changement : les clients, les fournisseurs, les concurrents, les acteurs socio-politiques et la technologie47. Le changement se réalise donc sous une contrainte. D’après Miller et Friesen (1980), c’est la dégradation de la rentabilité financière et du chiffre d’affaires qui en est à l’origine. Les grandes cassures dans les stratégies de l’entreprise proviennent avant tout de l’extérieur, du marché où dominent «la main invisible» d’Adam Smith et les forces du capital. Pour Albert Hirschman48, le capital porte en lui «cette volonté de supprimer ce qui pénalise son fonctionnement. Seule une telle force bouleverse l’inertie de l’extérieur». Ce courant de la contingence démontre qu’aucune forme organisationnelle n’est supérieure à une autre, puisque tout dépend de l’environnement sectoriel et concurrentiel de la firme : les courants gestionnaires qui prônent la mise en place de modèles universels, avec pour référentiel le «one best way», sont remis en cause.

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