Une royauté en majesté

Une royauté en majesté

Le Šāhān šāh, roi des rois des rois des créatures

Suprême parmi les hommes, qui sont eux-mêmes suprêmes parmi les créatures, le Roi des rois est un don d’Ohrmazd aux Iraniens ; on relèvera que ce don est susceptible de recevoir des formulations très diverses. Permanence de l’institution royale et singularité du souverain seront les aspects qui retiendront ensuite notre attention. 3.1.1. Le Šāhān šāh don d’Ohrmazd C’est par une citation de l’inscription du relief rupestre de Šāpūr I er à Naqš-e Rajab (ŠNRb) que Wiesehöfer ouvre le chapitre de son ouvrage qu’il consacre au souverain sassanide et à ses sujets. L’auteur s’y attarde en soulignant qu’elle présente l’intérêt d’illustrer la conception que le monarque développait de lui-même, en même temps que la façon dont il concevait ses rapports avec les autres dynastes de l’empire, ainsi qu’avec les dieux et les souverains qui l’avaient précédé : Une royauté en majesté 164 This is the portrait of the Mazda-worshipping god [MP bay] Shapur, the king of kings of Iran and non-Iran [MP Šāhān šāh Ērān ud Anērān, Parth, Šāhān šāh Aryān ud Anaryān; Greek basileus basileōn Arianōn kai Anarianōn], whose origin is from the god [MP kē čhr az yazdān; Greek ek genous theōn], the son of the Mazda-worshipping god Ardashir, the king of kings of Iran, whose origin is from the gods, the grandson of the god Pabag, the king. 1 Des commentaires de l’auteur nous relèverons que les Sassanides sont à l’origine du concept politique d’Ērānšahr (empire des aryens) et que l’un de leurs objectifs consistait à établir leur légitimité, d’une part en tant qu’héritiers du premier empire perse et successeurs des rois de la dynastie mythique qu’ils présentaient comme leurs ancêtres et, d’autre part, en tant qu’adeptes du mazdéisme. Wiesehöfer relève qu’en se posant en dieu (bay/ theos), le souverain signifiait à ses sujets qu’ils ne devaient pas simplement le tenir comme une sorte de monarque supérieur aux autres mais comme un roi doté de qualités divines2 . Dans la dispute opposant tenants du roi divinisé à ceux qui voient en lui un personnage sacré, les propositions de Wiesehöfer le situent clairement du côté des premiers, où s’était en particulier distinguée la figure de Widengren3 . Convient-il avec Daryaee de considérer que cette représentation que les rois se faisaient d’eux-mêmes a évolué au cours de la période sassanide ? L’auteur, s’attachant à analyser la titulature des premiers Sassanides souscrit à la lecture de souverains dotés de qualités divines, même s’il reste dubitatif sur leur ascendance divine : I believe the legend on the coins and the inscriptions of Ardashir I and Shapur I meant exactly what is showed pictorially on the rock reliefs, that they were divine and that they were made in the image of the gods and were related to them.4 Il considère toutefois que, notamment sous l’influence grandissante de la hiérarchie zoroastrienne, l’idée de la royauté a évolué et que des souverains comme Shapur II, Khosrow I er et Khosrow II en auront développé des conceptions différentes5 . Les reliefs rupestres, dont la production s’est tarie à la fin du IVᵉ siècle, ne permettent pas de témoigner d’un tel phénomène6 , quant au monnayage, il atteste bien que la titulature des souverains sassanides a comporté les formulations bay et kē čihr az yazdān pour les neuf premiers monarques (d’Ardašīr à Šāpūr II) 7 . C’est cette évolution de l’idéologie royale que retrace Shayegan qui, à partir des données numismatiques, distingue à grands traits, 4 phases. La période initiale (d’Ardašīr à Yazdegerd II), se caractérise, à de rares exceptions, par l’emploi des termes mazdēsn bay (l’auteur rend ce dernier mot par « majesté »), suivis du nom du monarque lui-même complété par les titres Šāhān šāh Ērān (ud Anērān) et de la formule kē čihr az yazdān (čihr étant traduit par “seed ”). De Yazdegerd II à Kavād I er les termes Šāhān šāh disparaissent, remplacés par le titre kay, référence aux souverains mythiques. Le plus souvent, le mot kay suit le nom du souverain qui est lui-même précédé par les termes mazdēsn bay (rāmšahr). C’est sous le règne de Kavād I er qu’intervient la modification, qui sera conservée par Khosrow Ier , consistant à simplement faire suivre le nom du monarque par le terme abzōn (qui augmente/fait croître). La dernière phase est ouverte par Khosrow II, qui fait suivre son nom de la formule xwarrah abzūd 8 . C’est principalement à la titulature initiale que s’est intéressé Panaino dans une étude particulièrement documentée dans laquelle il s’emploie en particulier à mettre en évidence que les titulatures bay et kē čihr az yazdān, quelles que soient les ambiguïtés de ces termes, n’impliquaient en rien que les souverains aient prétendu disposer de qualités divines. Audelà de ces ambiguïtés, il conteste l’idée de Widengren selon laquelle les premiers sassanides auraient développé une religion dont les traits se seraient substantiellement démarqués du zoroastrisme ; il considère par conséquent que leur titulature ne pouvait que s’inscrire dans le cadre de cette religion9 . Le terme bay, relève-t-il, positionné devant le nom du monarque, doit s’interpréter comme « majesté », son positionnement derrière le nom n’étant attesté que pour les dieux10 . Quant à l’expression kē čihr az yazdān, elle signifie que l’image, l’apparence du monarque, et de lui seul, est comparable à celle des dieux, ce qui ne transforme pas pour autant la substance du souverain en celle d’une divinité11 . Ainsi, cette apparence constituerait un trait caractérisant les fonctions du Roi des rois une fois que celuici a été intronisé : investi par les dieux, il est désormais porteur de l’éclat que lui confère cette investiture qui en fait le chef du combat contre la druz.

Le Šāhān šāh une figure unique, la royauté une institution nécessaire et un instrument de la Rénovation

C’est une formule presque laconique que retient un chapitre du livre III du Dēnkard, pour qualifier ce don d’Ohrmazd aux Iraniens que constitue le Roi des rois. Il est en effet énoncé que « suprême entre les créatures gētīg est l’homme, et parmi les hommes le souverain qui est un bon roi » 34. C’est avec la même sobriété d’expression que le chapitre suivant relève que le chef du combat cosmique est l’homme, son maître le bon roi, et celui qui gouverne ce combat Ohrmazd lui-même35 . L’on retrouve cette configuration dans le premier chapitre du Škand gumānīg wizār où il est rappelé dans un premier temps que Spenāg Mēnōg a créé l’homme comme « chef des créatures » et pour leur gouvernement. Le texte compare ensuite la Weh dēn à un grand arbre, muni, nous l’avons vu, d’un tronc, de branches maîtresses, de branches puis de rameaux et de pousses. Ces dernières représentent les cinq chefs qui sont situés au faîte de la construction, le chef suprême étant le Roi des rois, le roi du monde « dahibed ī gēhān » 36. Il est curieux de constater comment Mardān-Farrox, alors qu’il développe des comparaisons morphologiques pour les appliquer aux fonctions sociales, la tête correspond au sacerdoce, la main au guerriers… et qu’il s’essaye à identifier les qualités propres à chacune de ses fonctions, n’en dira pas plus sur le Roi des rois, comme si, ajouter à son sujet revenait à lui retrancher. C’est en un sens ce que note Zaehner en relevant que le souverain, parce qu’il est souverain, est le médiateur entre Dieu et les hommes37 (l’on est ici très proche de la notion d’intermédiaire entre les deux mondes qu’évoquent Briant ou Panaino). C’est cette fonction de médiation qu’exprime notamment un passage du Widēwdād relatif à la construction de l’enceinte destinée à protéger la création de l’hiver Malkūsān : il y est dit que « Jam tenait ses informations d’Ohrmazd et le peuple tenait ses informations de Jam (Jam āgāhīh az Ohrmazd būd ud mardōmān āgāhīh az Jam būd » 38 . Molé observe pour sa part que, selon la conception iranienne, « la fonction royale résume toutes les autres39 », il rejoint d’une certaine façon les Wizīdagīhā pour qui le souverain est la semence au-dessus des quatre classes qui, « comme la semence, attire à elle-même une force de tous les membres du corps (čiyōn tōhmag az hamāg grīw ī tanān zōr-ē ō xwad āhanjēd) » 40 . D’autres textes procèdent à des comparaisons plus classiques, ainsi, la Lettre compare le Roi des rois à la tête, alors que les quatre classes constituent les membres41 , quant au Livre de la couronne d’Anūšīrvān, il énonce que l’image des chefs parmi les hommes est, d’une certaine manière, la tête, l’image du souverain « parmi les chefs, c’est en quelque sorte les yeux. » 

Cours gratuitTélécharger le cours complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *