PRESENTATION DES MODELES DE CONCEPTION
Description initiale des modèles de conception
Les modèles sont présentés dans l’ordre suivant : modèles centrés sur l’usage, sur les systèmes, sur la situation, sur la transition.
Les modèles centrés sur l’usage
Les modèles centrés sur l’usage sont axés sur l’utilisation finale d’un produit. Ils se centrent sur l’étude des interactions entre les humains et les objets de conception (ISO, 2010; Law et al., 2014; Lieber and Fass, 2011). Le but de ces modèles est de résoudre les problèmes opérationnels liés à l’usage des systèmes SP par une compréhension claire des besoins des utilisateurs. Dans certains cas, de tels modèles sont également adaptés pour résoudre des problèmes fonctionnels et s’intéressent ainsi à l’usage plus complexe des systèmes SP. Même si le système sociotechnique est pris en compte dans ces méthodes, le processus de conception lui-même est plus centré sur les besoins de l’utilisateur final et donc sur la conception des systèmes SP et TP. Initialement conçus pour intégrer les utilisateurs dans le processus de conception des systèmes logiciels pour résoudre les problèmes ergonomiques, ces modèles offrent un cadre d’analyse très complet des besoins des utilisateurs et proposent, à cet effet, des outils de collecte robustes de ces besoins (Garrett, 2010). L’étude de l’acceptabilité a priori, l’acceptabilité pratique et l’acceptabilité située sont alors étudiés pour comprendre les besoins utilisateurs. De tels modèles permettent d’illustrer la complexité et l’ampleur du problème d’usage étudié. En revanche la traduction de ces données sur l’usage en connaissance opérationnelle de conception s’avère parfois compliqué et limite la performance finale de ces modèles (Convolte et al., 2016). Des méthodes telles que la conception UX ou l’approche de conception centrée sur l’humain (Pallot et al., 2013; Pallot and Krawczyk, 2016) appartiennent à ce groupe.
De plus, selon Pallot (Pallot and Krawczyk, 2016), ces méthodes de conception axent la priorité sur l’objectif de cocréation de valeur avec l’utilisateur afin d’assurer un taux plus élevé d’acceptabilité, d’acceptation et d’adoption des systèmes SP. Par ailleurs, il peut être considéré que la cocréation par l’utilisateur est un ingrédient essentiel pour la réalisation d’un processus de conception centré sur la problématique transition sociétale. Cette cocréation nécessite un engagement de l’utilisateur à chaque étape du processus de conception pour évaluer, corriger, affiner et améliorer les résultats de chaque phase de conception.
Les modèles centrés sur les systèmes
Les modèles centrés sur les systèmes sont axés sur le fonctionnement des systèmes techniques. Ces modèles sont souvent prescriptifs et centrés sur le développement d’un système SP et/ou ST spécifique. Les modèles de cycle de vie basés sur l’ingénierie des systèmes sont largement utilisés pour modéliser le fonctionnement des systèmes techniques (BKCASE Editorial Board, 2017a; Buede, 2009). L’accent est mis sur les propriétés du système plutôt que sur des technologies spécifiques. Le but de ces modèles est de produire des systèmes optimisés répondant à des exigences techniques potentiellement complexes. À cet effet, ils sont adaptés pour résoudre des problèmes d’ordre opérationnels et fonctionnels.
Différents modèles existent dans le domaine de l’ingénierie des systèmes. Le modèle V est le plus répandu (Bonjour et al., 2009; Ellis-Braithwaite et al., 2017; Paredis et al., 2013; Pohl and Sikora, 2007).
La plupart des modèles centrés sur les systèmes partagent les concepts suivants: « besoins », exigences utilisateurs (parties prenantes) » et « exigences système » (BKCASE Editorial Board, 2017b). Le principe des modèles centrés sur les systèmes est de traduire le besoin utilisateur, qui représente une attente formulée par l’utilisateur, en termes d’exigence utilisateur et d’exigence système. L’exigence de l’utilisateur est une traduction opérationnelle des besoins de l’utilisateur. Il décrit les besoins d’un utilisateur donné et comment cet utilisateur va interagir avec une solution (Ellis-Braithwaite et al., 2017). L’exigence utilisateur indique une déclaration qui identifie une caractéristique ou une contrainte d’un objet (produit, processus, service, système), qui est sans ambiguïté, testable ou mesurable, et nécessaire à l’acceptabilité de l’objet (ISO/IEC, 2011). L’exigence utilisateur définit ce que « l’utilisateur veut ».
L’exigence système fournit quant à elle une description de ce que le système devrait faire. L’exigence système est à considérer comme un instrument permettant de formaliser une interaction souhaitée entre un objet et un utilisateur (Ellis-Braithwaite et al., 2017). L’exigence du système est définie comme ce que « le système doit permettre à l’utilisateur de faire…». En résumé, leur énoncé devrait offrir la possibilité de modéliser l’interaction idéale entre l’objet conçu et l’utilisateur dans une situation donnée.
Ces modèles sont adaptés pour travailler sur un environnement déterminé et prédictif. Le traitement des besoins (mais pas le recueil) peut être considéré comme particulièrement robuste. En effet, le modèle en V est utilisé pour décrire les différentes étapes du processus de conception et propose un processus de vérification-validation sur lequel baser la définition des exigences (Hull et al., 2011, p. 18).
Les modèles centrés sur la situation
Les modèles centrés sur la situation se concentrent sur la situation d’usage. À mi-chemin entre les modèles centrés sur l’utilisation et centrés sur le système, ces modèles sont particulièrement bien adaptés pour concevoir les systèmes SP et TP. En effet, ils permettent de développer des projets dans un environnement indéterminé et non prédictif. Ces modèles sont utilisés pour mettre en évidence et traiter les problèmes d’ordre fonctionnels.
Des méthodes telles que le management par la valeur (Kelly et al., 2004; Oke and Aigbavboa, 2017) ou la conception des situations conscientisées (Durso et al., 2008; Endsley et al., 2003) appartiennent à ce groupe.
Dans le cadre du management de la valeur, l’approche des besoins utilisateurs est basée sur la situation et la valeur attendue de l’usage d’un système SP et TP. Le besoin utilisateur décrit ce sur quoi la solution doit agir, la finalité de la solution, et l’identité de l’utilisateur cible. Il est défini à partir d’une analyse descriptive de la situation initiale et de la situation cible à atteindre. Le besoin utilisateur est considéré au premier plan, devant les contraintes d’ordres technique, organisationnel, ou financier. À ce titre, les modèles centrés sur la situation modifie le management classique pour aller vers un management dit « relié », afin de se concentrer sur la satisfaction des besoins utilisateurs (Morel, 1998).
Le management relié amène une organisation de la méthode en deux processus : le processus d’ingénierie (EP) et le processus de management (MP).
• Le processus d’ingénierie, consiste à recueillir et traiter des données et des informations.
• Le processus de management, qui consiste à exploiter les informations recueillis en phase d’ingénierie.
La valeur attendue est traduite en termes de fonctions qui devront être satisfaites par les systèmes SP et TP cibles. Chaque fonction contribue à définir une valeur qu’il est souhaitable d’attribuée la solution. La notion de valeur exprime la relation constatée ou espérée, pour un utilisateur, entre la satisfaction d’un besoin validé et les ressources de toutes natures nécessaires pour y parvenir (Thiry, 1997). Trois valeurs essentielles sont prises en compte au cours d’un processus de conception (Tassinari, 2011);
◦ la valeur d’usage; valeur subjective attribuée par un individu en fonction de la satisfaction ou du plaisir que l’usage d’un bien lui procure dans une situation donnée.
◦ la valeur d’échange; valeur mesurable prêtée à une solution en fonction de sa capacité à être échangé au cours d’une situation.
◦ la valeur d’estime; valeur attribuée à une solution en fonction de sa capacité à être désiré dans une situation.
Sur cette base, un ensemble d’exigences nommées critères d’appréciation sont définies et rassemblées dans un cahier des charges fonctionnel. Par la suite ce cahier des charges est exploité pour définir un ensemble de solutions techniques qui sont déterminées à l’aide de processus créatifs.
Les modèles centrés sur la transition
Les modèles centrés sur la transition proviennent du domaine de l’innovation de systèmes durables et sont axés sur le management et la conception de solution en milieu complexe impliquant un changement d’usage. Ces modèles sont bien adaptés pour analyser et suivre un problème sociétal et pour générer une coalition entre les parties prenantes possibles de la transition. Le management de la transition (Loorbach, 2010) ou la conception participative intégrée dans un contexte de laboratoire vivant (Pallot and Krawczyk, 2016) sont des exemples de modèles qui appartiennent à ce domaine. Ils visent à créer un environnement co-créatif où chaque acteur d’un changement d’usage peut s’exprimer à chaque étape du processus de conception (Dupont et al., 2014; Pallot and Krawczyk, 2016).
Description des avantages et inconvénients de chaque modèle
Nous avons souhaité mettre en exergue les limites et les points forts de chaque modèle de conception défini dans la partie précédente. Un travail d’analyse critique a donc été mené pour identifier les avantages inconvénient de chaque modèle. Cette analyse repose sur une démarche empirique de comparaison des capacités de chaque modèle.
Les modèles centrés sur l’usage
Les modèles centrés sur l’usage ont été principalement conçus pour gérer des problèmes relevant de la conception de systèmes TP et/ou SP.
Avantages. Ceux-ci sont particulièrement adaptés pour prendre en compte et analyser les besoins de l’utilisateur final et les déterminants d’usage dans la première étape du processus de conception tel que défini dans le chapitre 2.
Ces modèles proposent également une approche co-créative avec l’utilisateur pour construire, structurer ou affiner chaque résultat de la phase.
Inconvénients. Une compréhension claire du problème sociétal (Changement d’usage cible) et du système sociotechnique (le contexte d’action) est nécessaire pour lancer ce type de processus de conception, or cette phase de compréhension n’est pas, ou peu, abordée dans le cadre de ces modèles.
Les modèles centrés sur le système
Les modèles centrés sur le système ont été conçus tout d’abord pour la conception de systèmes SP et sont également adaptés pour la conception de système TP.
Avantages. Ils s’avèrent particulièrement robustes pour définir les exigences utilisateurs. Ces modèles sont également pertinents pour définir les exigences systèmes et l’architecture du système cible.
Inconvénients. Cependant, ils ne disposent pas d’outils spécifiques pour définir le problème initial et pour collecter les besoins utilisateurs. En outre, peu de place est laissée aux processus de cocréation.
Les modèles centrés sur la situation
Les modèles centrés sur la situation ont été conçus tout d’abord pour la construction de systèmes SP, mais sont également adaptés pour la conception de systèmes TP.
Avantages. Ces modèles permettent tout d’abord de soutenir l’innovation dans un environnement indéterminé et non prédictif. Il propose le développement de système SP et TP sur la base d’une définition d’une situation cible à atteindre. Les systèmes sont alors pensés en termes de fonctionnalités, plutôt qu’en termes de composantes techniques. Par ailleurs, le concept de situation offre un ancrage opérationnel pour traduire les besoins des utilisateurs en objectifs que doivent atteindre les systèmes cible SP et TP. De plus, dans le cas de l’analyse de valeur, la spécification des exigences techniques du système cible peut être considéré plus flexible que la spécification des modèles centrés sur le système. Parce que la résolution de problèmes fonctionnels nécessite des ajustements et des adaptations de spécifications pendant le processus de conception, les modèles centrés sur la situation peuvent être plus appropriés que les modèles centrés sur le système dans le cas d’un système SP complexe.
Inconvénients. En revanche, ces modèles sont peu robustes dans les étapes de collecte des besoins. Par ailleurs, la flexibilité laissée aux groupes de travail qui appliquent ces modèles au cours de la phase de définition des fonctionnalités peut augmenter les erreurs d’interprétation des besoins utilisateurs lors de leur traduction en exigences systèmes.
Les modèles centrés sur la transition
Les modèles centrés sur la transition ont été conçus pour comprendre les problèmes sociétaux et organiser le système sociotechnique en vue de construire les changements d’usage.
Avantages. Tout d’abord, ils proposent un processus de cocréation dans lequel un ensemble d’acteurs de la transition et de parties prenantes participent à l’élaboration et à la mise en œuvre du système SP tout au long du processus de conception. De plus, ils permettent de décrire le contexte macro d’un problème ou d’une opportunité relevant des problématiques de changement d’usage. Inconvénients. Les modèles de transition ne sont pas centrés sur le processus de collecte des besoins des utilisateurs et sont peu « outillés » pour mener à bien le processus de définition des exigences techniques (fonctionnelles) des futurs système SP ou du système TP.
ANALYSE CRITIQUE DES MODELES DE CONCEPTION
L’analyse des modèles de conception a pour but d’identifier les complémentarités et synergies entre chaque modèle. Pour l’analyse nous nous sommes intéressés à 3 capacités que nous avons jugé essentielles pour la suite de nos travaux :
• la capacité de chaque modèle à concevoir des systèmes TP, SP,
• la capacité de chaque modèle à traiter des informations issues de divers champs disciplinaires,
• la capacité de chaque modèle à se positionner sur les différents dimensions décisionnelles rythmant la conception des politiques de transport.
Les sections qui suivent exposent les détails les résultats de cette analyse.
Capacité des modèles à concevoir des systèmes TP et SP
Pour cette première analyse, nous avons cherché à synthétiser la capacité des différents modèles de conception à concevoir des systèmes TP et SP.
Tel que présenté dans le tableau ci-dessous, nous constatons que chaque modèle de conception ont été planifié pour concevoir un ou deux types de systèmes, mais pas plus. Ainsi, les modèles centrés sur la situation ont été spécifiquement conçus pour traiter les problèmes fonctionnels (système SP) et les modèles centrés sur l’usage et sur le système pour traiter des problèmes d’ordre opérationnels (système TP). Par ailleurs les modèles centrés sur les situations paraissent les plus transversaux, capables à la fois de s’inscrire dans un système sociotechnique complexe et dans le cadre de la conception de systèmes TP et SP.
Les modèles centrés sont particulièrement adaptés pour intervenir dans un système sociotechnique complexe.
Capacité des modèles à traiter des informations issues d’autres champs disciplinaires.
Dans la discussion que nous avions engagé en partie A, chapitre 1, section 7, sur l’interdisciplinarité inhérente au processus de conception des politiques de transport, nous avions identifié les sciences du management de l’innovation comme étant les plus fédératrices, car en capacité d’intégrer les différentes données d’autres disciplines intervenant dans le processus.
Les modèles de conception sur lesquels nous travaillons découlent de cette discipline. Nous proposons donc d’affiner notre analyse, afin de comprendre au sein même du champ disciplinaire de l’innovation et du management, les modèles les plus à même d’intégrer les informations des autres disciplines.
Nous constatons sans réel surprise que :
• Les modèles centrés sur la transition sont plus à même de prendre en compte des informations issues de l’ingénierie des territoires. Leur utilisation peut donc s’avérer pertinente en phase amont et aval du processus de conception.
• Les modèles centrés sur les usages permettent d’intégrer les informations issues des approches par l’usage, ce qui est tout à fait normal puisqu’ils en sont issus. S’intéressant également à étudier l’acceptabilité a priori et l’acceptabilité située, ces modèles intègrent également des données issues de l’ingénierie des territoires et des sciences humaines et sociales. Ils s’avèrent donc particulièrement intéressant pour réaliser l’analyse des besoins et du contexte par rapport à d’autres modèles.
• Les modèles centrés sur la situation ont la capacité d’intégrer les différentes connaissances des champs disciplinaires suscités, même si cela dépend de la volonté du designer de le faire.
• Les modèles centrés sur les systèmes ont également la capacité d’intégrer les différentes connaissances des 3 champs disciplinaires sus nommés dans le tableau 11, mais le processus pour y parvenir peut être considéré comme lourd et redondant.
