Visionner les séries comme art du temps

Visionner les séries comme art du temps

Du rendez-vous télévisuel à la télévision à la carte, et retour Dans la droite ligne du roman-feuilleton, du serial et du feuilleton-radiophonique, les téléséries sont distillées et reçues quotidiennement ou hebdomadairement selon la fréquence de leur production. C’est là leur mode historique de distribution/réception, un régime toujours observable de nos jours. La grille télévisuelle propose ainsi une succession de rendez-vous avec des épisodes de séries et, ce faisant, invite les spectateurs à revenir le lendemain ou la semaine suivante sur le même média (ici, une chaîne télévisée) et à la même heure afin de jouir de la suite de l’histoire (séries feuilletonnantes) ou retrouver le même univers fictionnel (séries itératives). En la circonstance donc, ce mode de distribution préside à un format de réception ancré sur le temps et l’agenda télévisuel, dans lequel, par conséquent, le tempo sériel est dicté par la télévision. Avec l’arrivée des magnétoscopes analogiques (VHS) puis numériques (DVD, Blu-ray), les services de replay TV et de VOD ou encore le téléchargement en ligne, d’autres formats spectatoriels sont progressivement venus concurrencer ce premier. Ceux-ci sont caractérisés par un relatif détachement vis-àvis du temps et du rythme télésériels. Le spectateur, en partie libéré du cadre imposé par les chaînes, peut aménager sa consommation davantage selon ses goûts et dispositions, ses disponibilités et contraintes personnelles. Il peut par exemple étendre ou ramasser davantage la période de consommation d’une série. Nous constaterons cependant que les pratiques sérielles délinéarisées, c’est-à-dire concernant des épisodes extraits de la grille télévisuelle, n’ont pas, loin s’en faut, véritablement mis à l’index le principe du rendez-vous et l’effet d’agenda médiatique. La spectature sérielle est encore fortement structurée et rythmée par le tempo télévisuel et ses rendez-vous réguliers, qu’ils puissent désormais être en partie aménagés, d’une part, administrés par des instances télévisuelles étrangères, d’autre part. 3.1.1 – Réflexion préalable sur le concept williamsien de « flux » télévisuel Assis sur une logique de mise en série des programmes, le rendez-vous médiatique s’est historiquement affirmé comme un moyen efficace de fidélisation du public. À tel 4 Boullier (1987), La Conversation télé… CHAPITRE 3 — 150 — point que les chaînes ont fini par étendre le principe de sérialité à un large pan de leur programmation. Stéphane Benassi remarque en effet dès les années 1990 la « contagion sérielle inévitablement liée au souci permanent de fidélisation » 5 et met en exergue deux procédures de « mise en série » de contenus qui n’ont pas été conçus comme tels. Ces deux procédures composent en d’autres termes des associations de programmes unitaires (films, téléfilms, documentaires, etc.) à partir d’un dénominateur commun. La mise en paradigme (ou mise en collection) s’appuie sur une homologie thématique ou créative (un même réalisateur). La mise en module, elle, consiste à partager une même case horaire dans la grille. Mise en paradigme et mise en module sont souvent combinées, à l’image des Mercredis de la vie sur France 2 qui assure une identité commune aux différentes fictions qu’elle donne à voir au travers d’une thématique (les différentes facettes de « la vie » contemporaine) et d’un créneau horaire stable (le mercredi soir à partir de 20h50). Déjà mises en paradigme au moment de leur production, les séries sont aussi ordinairement mises en module par les chaînes. Elles font parfois l’objet par les diffuseurs d’une seconde mise en paradigme, redoublant ainsi le principe sériel qui les fonde : Une soirée de polars sur France 2 ou La trilogie du samedi soir sur M6 réunissent dans une émission donnée différentes séries essentiellement liées entre elles par un genre (policiers français pour la première (P.J., Groupe Flag, Avocats et associés), fictions fantastiques américaines pour la seconde (Charmed, Buffy contre les vampires, Stargate SG1)). Ce procédé facilite l’introduction de nouvelles séries auprès des téléspectateurs, ces dernières profitant de la reconnaissance des téléfictions déjà en cours. 

Avoir rendez-vous avec des programmes : se ranger au tempo du flux télévisuel

Un premier mode de visionnage sériel correspond au régime de distribution/réception historique des séries : des épisodes distillés à intervalles réguliers par une chaîne. Dans ce cas, les téléfictions constituent des repères journaliers ou hebdomadaires qui finissent par être connus et intégrés par les téléspectateurs, des rendez-vous fixés par l’instance télévisuelle auxquels ils décident de répondre favorablement ou non. « Plus Belle la Vie, je regarde depuis le début, depuis le premier épisode ! J’essaie de suivre un peu tous les soirs… enfin… J’ai pas mal suivi au début et ensuite ça vient par période. Y’a certaines périodes où c’est un peu moins bien donc je regarde moins, et à d’autres, je reviens. Mais on peut louper pendant une semaine, on revient et on devine un peu. » (Benjamin, 24 ans, podologue) Le suivi de ce feuilleton quotidien français diffusé sur France 3 rythme ainsi, depuis septembre 2004, semaine après semaine, les débuts de soirée de Benjamin. Le léger changement d’horaire décidé par la chaîne en 2010, faisant débuter Plus Belle la Vie à 20h10 au lieu de 20h20, n’a pas entamé sa fidélité ; il a juste modifié ses habitudes en conséquence. La télévision fait en ce cas office de « maîtresse des horloges » 16 et, par l’entremise de sa grille de programmes, constitue la pierre angulaire de ce qui est devenu pour lui une routine vespérale. Car en effet, au format ritualisé de la programmation télévisuelle répond, pour partie du moins, celle des pratiques spectatorielles. « Le petit écran, analyse Jean-Pierre Esquenazi, s’est progressivement installé dans nos vies intimes et dans nos habitudes, au point que les formes infiniment variées de la consommation télévisuelle sont, pour chacune d’entre elles, intensément

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