1965 – 1980 un mouvement de rationalisation des relations entre entreprise et société

1965 – 1980 un mouvement de rationalisation des relations entre entreprise et société

Si l’ensemble des institutions américaines (entreprise mais aussi l’Etat) avait traversé, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, une période d’amélioration continue de leur image, le milieu des années 60 marque un retournement brutal et durable. La teneur de ce mouvement est bien décrite par Ackerman et Bauer (1976), qui montrent qu’au-delà des entreprises, c’est plus fondamentalement le fonctionnement de l’ensemble des institutions américaines qui se trouve remis en question. Ainsi, l’action politique est violemment prise à partie par les opposants à la guerre du Vietnam ou les revendications des minorités raciales pour les droits civiques. Malgré une période d’expansion économique, les inégalités s’accroissent, aboutissant à la multiplication d’émeutes urbaines dans des quartiers pauvres. Dans le domaine technologique, l’abandon du projet d’avion supersonique SST révèle un changement d’attitude par rapport à la technologie et le progrès technique. Ainsi, la volonté du gouvernement américain de développer, sur les fonds publics, un avion supersonique (le projet SST) surpassant les performances du Concorde franco-britannique, se heurtera à l’opposition farouche d’un mouvement écologiste émergeant, qui réussit à sensibiliser le public américain aux risques environnementaux (destruction de la couche d’ozone) et humains (santé publique et perturbations sonores) induits par cette nouvelle technologie (Horwitch, 1982). Ce mouvement, de nature nouvelle, préfigurera les logiques d’action des ONG ou d’autres groupes activistes qui se développeront ultérieurement20. Le projet, finalement abrogé par le congrès américain en 1971, constitue une première évolution de la relation du public aux progrès techniques, et va donner naissance à des pratiques d’« évaluations de technologies » (technology assessments) visant à anticiper et à évaluer les conséquences humaines des projets avant de prendre une décision. En parallèle, un axe de réflexion se développe autour des indicateurs sociaux (Bauer, 1966) susceptibles d’enrichir les indicateurs économiques traditionnels de création de richesse au niveau national, jugés trop pauvres et réducteurs pour informer les politiques et l’action publique de manière pertinente. Ces réflexions font notamment écho aux réflexions internationales du Club de Rome (Randers et Meadows, 1972) sur l’impact de la croissance démographique et économique sur l’épuisement des ressources naturelles.

Ce mouvement de remise en cause va toucher les entreprises de manière brutale, et va être à l’origine d’une requalification des approches en matière de responsabilité sociale de l’entreprise. A l’occasion de la réédition d’une note de recherche, William Frederick revient sur ce contexte en soulignant la conflictualité des relations entre les entreprises et le reste du corps social : grande entreprise à l’égard de son personnel, des riverains, de l’environnement et, plus généralement, de la société22. De plus en plus, l’entreprise est ainsi perçue comme un lieu de pouvoir illégitime. Ainsi, Donna Wood (reprenant (Eberstadt, 1977)) souligne que les premiers auteurs du champ Business and Society s’inquiétaient du fait qu’« aujourd’hui, l’entreprise a rarement bénéficié d’autant de pouvoir et de si peu de responsabilités » (Wood, 1991a). Ainsi, les entreprises se trouvent confrontées à de nouveaux mouvements contestataires, qui vont donneront lieu à une importante vague de régulation au cours des années 60 et dans la première moitié des années 7023 :

Dans ce contexte de pressions et d’accroissement des régulations, les entreprises vont progressivement s’engager à partir de la fin des années 60, suite aux émeutes urbaines. S’engageant dans un premier temps sur des questions de société souvent éloignées de leur cœur de métier (pauvreté, aide aux populations défavorisées, dégradation des centres villes), elles traiteront ces questions à travers le spectre des « community relations » ou de démarches de philanthropie. Dans un second temps, elles se concentreront sur des enjeux plus directement liés à leur cœur d’activité, telles que la gestion de l’impact environnemental de leurs produits ou l’égalité de traitement des salariés, la qualité de vie au travail, etc24. L’aspect particulièrement intéressant de cette période a trait à l’émergence de nouvelles figures d’acteurs dédiés à ces questions. Devant l’instabilité et la complexité nouvelle de l’environnement, la question de la RSE ne renvoie plus simplement à une question d’éthique et de choix du dirigeant. Il s’agit de repérer d’où peuvent venir ces forces et de comprendre comment l’entreprise peut y apporter un traitement systématique. Cette question managériale se traduit par la création de nouveaux acteurs (le « social issue specialist »), de nouveaux outils et de nouvelles règles au sein des entreprises. Par ailleurs, les demandes accrues de transparence des activités sociales de l’entreprise donnent lieu au développement de pratiques d’audits sociaux dès le début des années 70 (Bauer et Fenn, 1972, 1973; Dierkes et Bauer, 1974). Ainsi, Ackerman et Bauer (1976) rapportent qu’en 1973, « une majorité des très grandes entreprises avaient « audité » leur performance sociale au cours des 12 derniers mois » (p.viii), alors même que ces démarches étaient inexistantes quelques années auparavant. Initialement pensées par analogie à l’audit financier, pour répondre et faire face à des pressions externes, les pratiques restent floues et hétérogènes quant à leurs objectifs.

 

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