L’existence d’agents publics au sein des entités publiques marchandes

L’existence d’agents publics au sein des entités publiques marchandes

 Il ne s’agit pas des positions prévues par le droit de la fonction publique telles que la mise à disposition et le détachement, mais du fait qu’une entité publique marchande peut recruter des agents publics. Les raisons d’une telle situation sont diverses. Il convient de distinguer les raisons d’exception, qui sont communément constatées tant par les autorités publiques que par l’opinion publique (A), de celles qui de fait, découlent d’un changement de circonstances (B). A. Les raisons d’exception Deux raisons d’exception sont admises : les employés soumis à un régime exorbitant du droit commun en raison de leur fonction (1) et la qualification administrative des missions de l’établissement employeur des agents (2). 103 La question de l’application du droit de la fonction publique au sein des entités publiques marchandes 1. Les employés soumis à un régime exorbitant du droit commun en raison de leur fonction Il s’agit d’une minorité d’agents qui sont en France des personnes chargées de la direction ou de la comptabilité si celle-ci est publique  , et en Chine les dirigeants et les responsables de la délégation du PCC au sein de la société publique. La subordination de ces emplois aux pouvoirs publics et, par conséquent, leur situation exorbitante du droit commun s’avèrent aisées à comprendre même dans une économie libérale. Ces représentants de l’État sont envoyés par celui-ci afin de mettre en œuvre sa volonté de manière directe et efficace. Situation compréhensible, mais qui véhicule l’image d’un État interventionniste à travers ce petit groupe d’agents publics, très minoritaire certes, mais emblématique et prédominant dans la gestion des affaires quotidiennes. C’est pourquoi en Chine, dès l’an 2000, le Conseil des affaires d’État, dans son programme « d’approfondissement de la réforme du système des cadres »  , a annoncé la perspective de supprimer les grades administratifs des dirigeants des entreprises nationales . Cette politique, après une mise en place expérimentale à Shanghai par l’avis de la commission de contrôle des participations nationales de Shanghai du 4 septembre 2008 « sur l’approfondissement de la réforme des participations et des sociétés nationales de Shanghai »  , est réaffirmée par le même « programme » pour la décennie 2010 – 2020276 . 

La soumission des personnels au droit public par la qualification administrative de leurs missions

 En France, comme il a été montré supra à propos du lien entre la qualification de l’établissement et la nature de ses activités, le législateur ou le pouvoir réglementaire peut décider, chacun dans son champ de compétence, d’attribuer des missions de SPA à un EPIC. Or, la nature des activités de l’établissement, qui ne correspond pas à la qualification d’EPIC, a une conséquence sur le régime juridique appliqué au personnel de l’établissement. Le Conseil d’État, dans une décision du 13 novembre 1970, Dame Conqui, juge que l’EPIC en question « ne poursuit aucune action propre et se borne à réaliser les buts déterminés par l’État avec les moyens fournis par ce dernier » et qu’il « exerce, en réalité, une activité purement administrative ; que d’ailleurs le statut des agents de cet établissement, tel qu’il est fixé par le décret susvisé du 21 décembre 1961, leur applique des règles analogues à celles en vigueur pour les agents contractuels de l’État ; que lesdits agents, à l’exception de ceux d’entre eux qui ne participent pas à l’exécution même du service public […] doivent, dès lors, être regardés comme unis à cet établissement par un lien administratif et que les litiges individuels les opposant à l’établissement relèvent de la compétence de la juridiction administrative » 277. Cette solution a été réaffirmée par une jurisprudence ultérieure278. Le juge ne saurait, certes, faire échec à la volonté du législateur ; cependant, il applique le droit public aux agents d’un EPIC en fonction de la nature des activités qu’assure l’établissement ou, plus précisément, des missions dont l’agent est en charge. Cette solution correspond par ailleurs à l’esprit de la jurisprudence Berkani qui suppose l’application du droit public aux agents affectés à un service public administratif , mais à condition, comme l’ajoute ultérieurement le Conseil d’État, que ce service soit assuré par une personne publique280 . Or cette condition restrictive, sous l’impulsion du droit communautaire, a connu une application fâcheuse : le maintien de la situation de droit privé des employés travaillant pour le compte d’un service public administratif antérieurement assuré par une personne privée puis reprise par une personne publique281. Le législateur est intervenu, par l’article 20 de la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005 « portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique » : il impose aux administrations de proposer un contrat de droit public aux employés transférés en reprenant les clauses substantielles de leurs contrats de travail et, en cas de refus de ces derniers, de procéder à leur licenciement . À cet égard, en Chine, les agents d’USP exerçant uniquement des missions à caractère administratif se trouvent dans une situation similaire. En effet, l’article 106 de la loi du 27 avril 2005 « sur les agents publics » dispose que « les agents des unités de service public qualifiés par la loi ou par le pouvoir réglementaire comme exerçant la fonction de gestion des affaires publiques, excepté ceux affectés aux missions de gestion ou d’entretien de l’établissement, après autorisation, sont régis par le régime analogue à la présente loi »  . La « fonction de gestion des affaires publiques » désignée par cet article correspond à la « fonction administrative » au sens de la politique de catégorisation des USP . Les USP chargées de missions administratives se distinguent des deux autres catégories d’USP par la nature de leurs missions et les agents d’USP de cette catégorie sont, aux termes de l’article 106 de la loi « sur les agents publics », soumis à un régime analogue à celui des agents publics. Il résulte de cette comparaison franco-chinoise que la soumission des agents d’USP à un régime analogue à celui des agents publics administratifs, par la qualification administrative des activités des USP, est bien plus systématique que celle qui découle de la constatation par le juge français des activités de nature administrative des EPIC. Néanmoins, en Chine, la catégorie des USP de fonction administrative est, selon la politique de la réforme des USP, une catégorie vouée à disparaître comme l’autre catégorie d’USP dite industrielle et commerciale285. À ce titre, il serait aisé de comprendre la raison de la soumission des agents de cette catégorie d’USP à un régime analogue à celui des agents publics : lors de la dissolution d’une USP de fonction administrative ou de sa transformation en établissement administratif, ses agents seront facilement intégrés dans les corps de la fonction publique. Hormis ces raisons d’exception qui sont tout de même marquées par un certain systématisme, les employés des entités publiques marchandes peuvent être soumis à un régime exorbitant du droit commun par l’intervention ponctuelle des pouvoirs publics à la suite de la transformation d’un établissement public à caractère administratif en entité publique marchande.

Les raisons liées au changement de circonstances : l’exemple des télécommunications

 Il s’agit plus précisément de la conservation des personnels publics après la transformation d’un établissement public à caractère administratif en établissement public à caractère marchand ou/puis en société commerciale. Cette question a déjà été abordée lors de l’étude sur la question du transfert des personnels d’un établissement public à caractère administratif à une entité publique marchande. Il convient ici de l’illustrer par un exemple particulier qui a attiré l’attention en France (1) comme en Chine (2) : le domaine des télécommunications .

Les agents publics de France Télécom 

Comme le remarque Fabrice Melleray, « France Télécom offre, d’un point de vue organique comme d’un point de vue matériel, une illustration aussi significative que spectaculaire des évolutions du droit public économique et de l’actuel recul de l’État en tant qu’opérateur économique ». En vue de l’ouverture d’une situation monopolistique à la concurrence, la loi du 2 juillet 1990288 sépare les services de la poste et des télécommunications en créant deux EPIC : La Poste et France Télécom. Les personnels de France Télécom, de service d’une administration centrale à exploitant de SPA d’abord, puis EPIC et enfin société anonyme, ont conservé leur qualité d’agent public. Une telle situation n’est pas sans précédent, car avant la réforme du domaine des télécommunications, les personnels de la SEITA, de la Caisse nationale de Crédit agricole, du GIAT, de la CNP, et de l’Imprimerie nationale s’étaient déjà trouvés dans une situation similaire. Mais, cette fois-ci, il ne s’agissait pas d’un simple maintien du statu quo pour les agents recrutés avant la transformation, car jusqu’en 2002 France Télécom pouvait continuer à recruter des fonctionnaires pour assurer ses missions de service public. C’est pourquoi, avec l’avis du Conseil d’État du 18 novembre 1993, certains auteurs ont pu imaginer l’hypothèse d’un corps de fonctionnaires d’État directement placé auprès d’une entité publique marchande et supposer que « la situation de fonctionnaires des agents de la nouvelle société n’était pas envisagée de façon transitoire »  . Ainsi coexisteraient, au sein d’une société anonyme, des agents de droit public et des salariés de droit privé. Toutefois, cette situation de coexistence d’agents publics et de salariés de droit privé ne devait être que transitoire. En effet, bien que la transition soit longue ― le dernier fonctionnaire doit quitter l’entreprise en 2036 ―, depuis le 1er janvier 2002 France Télécom ne peut plus recruter de fonctionnaires. Afin de limiter de l’existence d’agents publics, l’article 29-3 de la loi du 2 juillet 1990 prévoit que les fonctionnaires de France Télécom peuvent intégrer les trois fonctions publiques (d’État, territoriale et hospitalière) jusqu’au 31 décembre 2009. Dans le même sens, un décret est intervenu pour aménager les modalités de détachement des fonctionnaires de France Télécom dans la fonction publique de l’État. En outre, la possibilité de renoncer au statut de fonctionnaire en acceptant un contrat de travail est offerte à tous les fonctionnaires de France Télécom. Enfin au niveau jurisprudentiel, le Conseil constitutionnel, déniant l’existence d’un principe constitutionnel292 qui aurait constitué le socle du lien entre les corps de fonctionnaires et les missions de service public au sens de l’avis du 18 novembre 1993 du Conseil d’État, rend peu probable l’hypothèse selon laquelle une société anonyme pourrait recruter durablement des agents publics sur le seul fondement de ses missions de service public . Une telle situation transitoire a également eu lieu en Chine lors de la réforme du service des télécommunications.

Les agents publics de China Telecom 

L’attribution de la personnalité morale d’entreprise, le 27 avril 1995, à l’office exécutif du ministère des postes et télécommunications (supprimé en 1998) pourrait s’analyser comme l’acte fondateur de la création de la société China Telecom. Le nom officiel pour cette personne morale d’entreprise était « Direction générale des postes et télécommunications de Chine ». Toutefois, il s’agissait davantage d’un établissement administratif doté de la personnalité morale d’entreprise (de droit privé) que d’une entreprise jouissant de prérogatives de puissance publique. L’acquisition de la personnalité morale d’entreprise n’avait logiquement pas de conséquence sur le statut du personnel de l’établissement car ses agents exerçaient toujours des missions de régulation et de contrôle du service des télécommunications, missions à caractère administratif. Personne ne doutait que cette situation allait basculer tandis que le sort des quelque 300 000 agents posait une question sérieuse s’agissant de la transformation de l’établissement en société anonyme. Notre recherche est freinée par l’opacité de l’administration chinoise de l’époque car aucun texte ne dévoile les procédés de l’opération de transfert du personnel. Nous devons nous contenter d’une analyse empirique découlant de l’observation des faits. Il convient donc de suivre les étapes de la création de China Telecom après l’acquisition de la personnalité morale d’entreprise par la Direction générale des postes et télécommunications. Quelques mois avant sa transformation en société anonyme à responsabilité limitée, China Telecom se voit ôter des services la téléphonie mobile au profit de la société China Mobile, dont la création est autorisée par le Conseil des affaires d’État le 7 décembre 1999295 et effective le 20 avril 2000. Cette scission a eu pour conséquence de séparer environ un tiers des effectifs de l’ancienne Direction générale des postes et télécommunications, lesquels sont comme leurs collègues visés par le programme « de la création de la société China Telecom » et le « statut de la société China Telecom », proposés par le ministère de l’information et des industries informatiques et par la commission de l’économie et du commerce. Vu l’avis général du 2 janvier 1999 du Bureau général du Conseil des affaires d’État « sur les procédés de la séparation des entreprises non financières des établissements administratifs et le programme de sa mise en place », le Conseil des affaires d’État a validé, par une notification du 13 janvier 2000 , ces deux textes ministériels. Le 17 mai 2000, la création de la société China Telecom s’accompagne de deux événements : la séparation des services des postes des services des télécommunications, d’une part ; et celle entre les fonctions de régulation et de contrôle du service de télécommunications et les missions de prestation de service, d’autre part. La Direction générale des postes et télécommunications est supprimée ; les fonctions de régulation et de contrôle des postes et des télécommunications sont redistribuées au sein du gouvernement entre les ministères ; et China Telecom, société anonyme à responsabilité limitée, se borne à fournir la prestation du service des télécommunications, en particulier le service de téléphonie fixe. Or, dans le même temps, China Telecom et China Mobile ont hérité de la quasi-totalité du personnel de la Direction générale des postes et télécommunications, même si une partie non négligeable d’agents ont été mutés dans les différents offices des ministères notamment pour y assurer les missions de régulation et de contrôle des services des postes et des télécommunications. Le reste du personnel, sauf les agents de la direction, c’est-à-dire les agents d’opération ou d’exécution, se trouvent face à un changement de statut : agents publics de l’État, ils deviennent salariés de droit privé, car aucun texte ne permet de conserver le statut public des employés de la société China Telecom. Si la situation publique du personnel de la haute direction est compréhensible dans la mesure où elle permet à l’État de contrôler la société de manière plus efficace, la coexistence d’agents publics et de salariés de droit privé pour les mêmes missions n’est pas envisageable pour les réformistes au pouvoir. Cette situation ambivalente et complexe, pour les initiateurs de la réforme qui sont largement influencés par la théorie de la nouvelle gestion publique, aurait constitué un inconvénient majeur pour le fonctionnement de la nouvelle société et aurait exposé la réforme à l’échec. 

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