1995-2005 réémergence de pratiques et inflation des approches théoriques

1995-2005 réémergence de pratiques et inflation des approches théoriques

La dernière période historique de notre travail généalogique se caractérise par une résurgence des pratiques d’entreprises, mais aussi de nouveaux développements académiques. Dans un contexte de mondialisation et de crise généralisée de l’action publique et privée, les pratiques managériales de RSE et de développement durable se développent notamment par le biais de différents marchés. Dans les univers académiques, la prise en charge de nouvelles questions de recherche se fait au prix d’une multiplication des approches théoriques et des concepts, contribuant à accroître la fragmentation théorique du champ de la RSE et à alimenter un débat sur son identité et sur la spécificité d’une interrogation gestionnaire. l’on observe simultanément une poursuite de l’internationalisation et une crise généralisée de l’action publique et privée (1), qui a été interprété, plus profondément, comme le symptôme d’un effondrement des systèmes de légitimité sur lesquels reposent nos sociétés contemporaines (2). Dans ce contexte, la RSE et le développement durable se reconstituent en un espace d’action collectif, dans lequel s’élaborent de nouveaux concepts, de nouvelles doctrines gestionnaires et de nouvelles normes de l’action collective (3). responsabilité sociale s’inscrit dans un contexte d’intensification de la mondialisation et de libéralisation des économies. En particulier, ces dernières années ont été marquées, en Europe, par la généralisation d’un capitalisme financier et des approches actionnariales de la gouvernance de l’entreprise (Albert, 1991). Ces évolutions se sont notamment traduites par la structurations de directions des relations aux investisseurs au sein des grandes entreprises, ou par l’adoption, en Europe, des normes comptables de l’IASB (International Accounting Standard Board) en ligne avec une vision actuarielle de l’entreprise (Capron, 2005). Dans un tel contexte de renforcement du pouvoir de l’actionnaire, la dynamique de diffusion contemporaine des pratiques de RSE et de développement durable peuvent donner lieu à une lecture politique et critique : ces démarches sont alors perçues comme un moyen idéologique permettant d’asseoir la domination de la grande entreprise dans un contexte de crise de légitimité, et visant à justifier le retrait de l’Etat (Banerjee, 2003; Doane, 2005). De fait, la diffusion des concepts semble suivre une logique significativement différente de celle qui avait prévalu aux Etats-Unis au cours des années 60-70 (durant la vague Corporate Social Responsiveness) où l’émergence des pratiques de RSE répondait à de nouveaux champs d’action gouvernementaux et à un rééquilibrage des pouvoirs entre entreprises et société civile (plus conforme aux cadres d’analyse de la théorie des stakeholders).

L’émergence des problématiques de RSE et de développement durable s’inscrivent l’échelle nationale, les mécanismes de globalisation ont largement mis en défaut la capacité des Etats à produire des règles de manière autonome. A l’échelle internationale, de nombreuses institutions (ONU, FMI, Banque Mondiale, Commission Européenne, G8, OMC) sont aujourd’hui confrontées à de vives critiques concernant leur légitimité et leur capacité à faire émerger un nouvel ordre régulatoire international. De même, les difficultés à s’accorder sur un cadre politique commun concernant des enjeux environnementaux transnationaux tels que le réchauffement climatique et la limitation des gaz à effet de serre (cf. les difficultés de définition et d’application du protocole de Kyoto) témoigne des difficultés des pouvoirs politiques traditionnels à intervenir sur les enjeux de développement durable. Il semble ainsi que l’on soit entré dans une période paradoxale où la poursuite et l’intensification du mouvement de globalisation (Djelic et Quack, 2003a) s’accompagne d’une crise généralisée de la régulation. Dans ce contexte, on assiste à une multiplication d’initiatives privées et volontaires se présentant comme une base plus souple de régulation.

Mais le contexte est aussi marqué par une série de transformations sociales qui viennent re-problématiser la nature des relations entreprises – société. En particulier, les évolutions scientifiques et techniques viennent poser dans des termes nouveaux la question de la régulation des entreprises et la responsabilité des managers. Il semble ainsi que le pouvoir de l’homme et les menaces qu’il fait peser sur son environnement social et biologique s’accroissent sans que de nouveaux principes et formes de contrôle et de maîtrise se diffusent. Ainsi, ces deux dernières décennies ont été marquées par l’émergence et la généralisation de « risques majeurs » (Lagadec, 1981, 1990), c’est-à-dire de risques de faible probabilité mais de gravité très élevée, dont les répercussions sociales, techniques et économiques dépassent largement les frontières de l’entreprise. De par leur nature, des accidents industriels tels que Three Miles Island, Bhopal ou Tchernobyl, font naître de nouvelles attitudes face au risque et appellent à repenser leur gestion (Godard et al., 2002; Beck, 2003a). Enfin, les avancées scientifiques (dans le domaine de la génétique) viennent poser dans des termes nouveaux le rapport entre l’homme et la nature et posent des questions inédites de régulation de l’action collective (cf. les débats sur les risques associés à l’introduction dans la constitution française d’un principe de précaution).

 

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