Agencements35 de réseaux au sein du PNDBE

Agencements35 de réseaux au sein du
PNDBE

La nature de la notion de biodiversité est relationnelle

(Delord, 2009), ceci est particulièrement visible dans la première partie de l’ouvrage collectif Les biodiversités. Objets, théories, pratiques dans lequel se rencontrent diverses définitions de la notion (Blondel), niveaux de signification pour saisir son sens (Micoud), niveaux d’organisation ou multiples systèmes (Arnoult). Il s’agit toujours d’articuler et de mettre en relation des unités que ce soient des niveaux d’organisation du vivant (gène, espèce, écosystème), des visions différentes (scientifique, politique, éthique) de la nature ou des manières d’appréhender un phénomène complexe (rhétorique, conceptuel et normatif). Si les fondements scientifiques de la question de la biodiversité sont écologiques, le consensus est fort autour de la nécessaire interdisciplinarité de son étude (Marris, 2006 ; Barbault, 1993). Comment le Programme National Dynamique de la Biodiversité et Environnement organise-t-il l’articulation des différentes spécialités ? A partir d’archives et de quelques entretiens, je tente de rendre compte de ce foisonnement d’expériences qui s’organisent par réseaux et reposent sur quelques responsables garant de la représentation de la communauté de recherche. Espaces communicationnels différentiés La question de la biodiversité hérite de la dispersion des recherches en sciences de la vie et du partage des problématiques avec les sciences de la terre ou les sciences sociales. Elle pose de ce fait la question de la communication scientifique. L’analyse bibliométrique de la littérature scientifique sur le Web of Science de Hendriks et Duarte (2008) s’intéresse principalement à la recherche internationale en sciences de la vie et met en évidence la différenciation des espaces de publication. Cette étude montre l’accroissement considérable des articles utilisant le terme « biodiversity » qui représentent en 2004 un tiers des articles publiés en écologie. Cet accroissement, s’il témoigne de la diffusion générale du terme dans le temps, est principalement dû à la recherche sur les systèmes terrestres qui connaît un accroissement annuel extrêmement important. Cet article montre également une répartition nette des publications selon les revues et selon les systèmes écologiques : seuls trois des vingt-cinq principales revues (Conservation Biology, Biodiversity Conservation et Ecological Letters) sont communes aux biomes terrestres, marins et d’eau douce. Finalement, les auteurs de l’article plaident pour un renouvellement des espaces de communication et des collaborations entre chercheurs de différentes spécialités. Mais les réseaux de publication sont encore bien plus hétérogènes si on prend en compte les sciences de la terre et les sciences sociales. Le contraste est d’ailleurs fortement ressenti entre les différentes pratiques de communication, comme en témoigne ces propos d’un écologue face à l’expérience d’échanges autour d’un projet éditorial : « Un bouquin qui a été édité par le CNRS qui s’appelle Biodiversités… Il faudrait que vous le trouviez ce bouquin. Il y a un panachage d’écologistes de sociologues etc. on s’était réunis à Porquerolles et on avait fait toute une série d’exposés comme ça, ça a duré trois jours, c’était hyper sympa. Et on avait fait 50/50 des biologistes et des autres. Les biologistes, nous, on avait des PowerPoint, des démonstrations avec des dessins, des équations, des trucs simples etc. et puis les autres et bien ils s’asseyaient, on était tous debout avec nos PowerPoint a démontrer nos machins sur les tableaux, et bien les sociologues, eux, ils étaient assis à leur bureau, ils lisaient un texte et ils ne montraient pas une image. C’était caricatural comme différences. » L’ouvrage collectif Les biodiversités. Objets, théories, pratiques met l’accent sur le caractère multidimensionnel de la question de la biodiversité. Il est coordonné par quatre chercheurs, Pascal Marty, Franck-Dominique Vivier, Jacques Lepart et Raphaël Larrère, respectivement géographe, économiste, écologue et sociologue, et fait intervenir dix-sept chercheurs et chercheuses. L’introduction donne la tonalité des ambitions : il ne s’agit pas de restreindre l’interprétation qui peut être faite de la question de la biodiversité mais de la saisir comme un « substitut plus analytique de la nature » (p 11). Si d’autres initiatives éditoriales et d’autres revues, notamment « Nature Science Société », offrent des espaces de partage, le paysage national reste marqué par une différentiation très fortes des espaces de communication qu’on peut aussi mettre en relation avec différentes dichotomies : entre anglophones et francophones, entre sciences dites dures et sciences sociales. L’organisation institutionnelle par département scientifique selon laquelle se fait la répartition des postes et des budgets contribue bien sûr à cette différentiation des espaces et des pratiques de recherche et des pratiques de communication scientifique. L’évaluation des chercheurs se fait de manière disciplinaire en se fondant sur les publications de rang A et de langue  anglaise, et rend toutes les réorientations difficiles. Pour les structurations interdisciplinaires telles que les programmes environnement du CNRS, les critères d’évaluation ne sont pas toujours adaptés et Robert Barbault témoigne que le poids des départements rend les changements particulièrement difficiles : « Alors il y a eu des programmes environnement, mais si on fait l’histoire des programmes environnement, ça fait 20 ou 30 ans que ça existe et à chaque fois que le programme environnement avait un peu d’ambition, c’est-à-dire avait une politique, il se faisait mitrailler par les départements. Les départements ne toléraient pas qu’il y ait une structuration, tout doit venir d’eux. De même que les organismes de recherche, quand il y a une confédération d’organismes de recherche, ils ne tolèrent pas tout d’un coup qu’il y ait une structure qui a une capacité de politique scientifique. » Quelle place un programme interdisciplinaire et inter-organisme peut-il avoir dans l’interaction de fonctionnement communicationnel différentié ? Le PNDBE témoigne, par l’hétérogénéité même des documents qui en émanent, de la coexistence de réseaux au fonctionnement communicationnel contrasté. Leur taille est très variable : certains réseaux comptent jusqu’à 63 équipes là d’autres seulement 5. Dans le document interne de janvier 1997, on trouve des textes programmatiques très développés, avec des axes de recherche précis et des liens visibles avec l’enseignement, des associations, des groupes de travail (c’est par exemple le cas de « Bases écologiques et génétiques de la gestion de la biodiversité ») ; ainsi que des écrits sur le modèle de l’article scientifique avec développement de concept et le mode de citation normé (c’est le cas de « populations fragmentées, extinctions, sélection d’habitat et biologie de la conservation »). Dans le cas des sciences sociales, un ensemble de pistes thématiques sont représentées par le réseau des chercheurs concernés : chaque thème est porté de manière nominative et quasi individuelle. Les différentes formes d’écriture témoignent plus largement de cultures scientifiques contrastées, ces dernières interviennent-elles dans l’intercompréhension à l’œuvre ? La perspective interdisciplinaire propre à la question de la biodiversité se heurte donc à la différentiation des espaces de publication, des pratiques de présentation ou d’évaluation par département scientifique. Les chercheurs rencontrés rendent compte de ces difficultés mais aussi des efforts et tentatives de regroupement dans les programmes interdisciplinaires.

Regroupement et mobilisation par la médiation des responsables de réseaux

Diversitas est décliné en France en tant que PNDBE dans les différents cadres des programmes du CNRS36 : le Programme Environnement (1990-1994) et le Programme Environnement, Vie et Société (1994-2003). Avec l’action incitative de la Direction Générale de la Recherche Scientifique et Technique (DGRST) et du tout nouveau Ministère de l’Ecologie, les préoccupations environnementales trouvent un espace d’expression et de financement dans ces programmes (Pavé, 2001). Si l’interdisciplinarité de ces programmes est d’abord un discours institutionnel et légitimant (Jollivet, 2001), nombreux sont les chercheurs qui témoignent de prises de contacts avec de nouveaux interlocuteurs. Paul Arnoult évoque ces réseaux comme étant des lieux extrêmement fructueux à partir desquels s’est opéré un « effet boule de neige » qui lui a permis d’être coopté dans de multiples instances : « Donc ça m’a permit effectivement de connaître tout un tas de gens, des gens que vous avez déjà interviewés ou que vous allez interviewer. Donc Robert Barbault, j’ai participé à des programmes biodiversité, avec Jacques Weber on a été aussi dans le programme Diversitas avec la réflexion sur l’utilisation, la perception de la biodiversité, et là on avait des réunions tous les mois. Donc ça permet de rentrer dans des réseaux, de nouer des amitiés, on reste dans un réseau si on s’y entend bien, si on y trouve profit, sans ça on va ailleurs. Et donc c’est la que j’ai … À la fois du côté de l’économie, de l’écologie, de l’agronomie que j’ai étendu mon réseau, j’ai eu une certaine reconnaissance. » Robert Barbault prend la coordination scientifique du PNDBE, et Jean-Claude Monolou, chercheur en génétique moléculaire et évolution, la tête du comité scientifique. Sous la tutelle du Programme Environnement et Société (PEVS) du CNRS dirigé par Alain Pavé, biométricien37, le PNDBE devient interorganisme en 1997 puis se transforme en programme national dynamique de la biodiversité (PNDB) en 1998 alors que Christian Lévêque, hydrobiologiste, prend la direction du PEVS. Les chercheurs dans les instances de pilotage de ce programme ont différentes spécialités, ils apportent alors leurs expertises et leurs connaissances spécifiques du paysage de recherche. Pour garantir un large rassemblement des chercheurs concernés par la biodiversité, ces chercheurs s’appuient sur des réseaux thématiques et des responsables comme personne relais des initiatives du programme dans leurs propres communautés de recherche. « Par l’ampleur de son champ, le PNDBE doit être considéré comme un Grand Programme, c’est-à-dire une action de programmation coordonnant en son sein plusieurs programmes nécessairement interdépendants. » (PNDBE, janvier 1997) Les « programmes » ou « champs » thématiques sont par exemple, « Perceptions et usages de la biodiversité », « Biodiversité et fonctionnement des écosystèmes », « biodiversité et écologie des interactions durables ». Ce sont également des réseaux tels que le « Réseau National de biosystématiciens » ou le « Réseau diversité marine ». De 14 à 23 chercheurs sont désignés nommément comme responsables de réseaux. Le programme crée ainsi de l’interconnaissance. La constitution par cooptation de la commission scientifique de l’Institut Français de la Biodiversité hérite de cette dynamique : sept chercheurs sur 23 responsables de réseau se retrouvent à la commission scientifique de l’IFB ainsi que 3 en tant que membres de l’équipe de direction. Par ailleurs, le fonctionnement du PNDBE repose sur la capacité des responsables de réseau à mobiliser les chercheurs de leur domaine. Ces réseaux sont, de fait, organisés autour des grands pôles de recherche en écologie : si les chercheurs responsables de réseaux sont, pour plus de la moitié, en région parisienne, ils viennent également de Montpellier, Lyon, des Pyrénées, de Dijon ou de Bretagne. En 1997, le CNRS reste surreprésenté mais le Muséum est bien présent et le CIRAD38, l’ORSTOM39 et l’IFREMER40 sont aussi associés. Les responsables de réseau sont des personnes reconnues, pour une bonne partie, directeurs de laboratoires ou d’équipes, ayant des responsabilités dans leur domaine. Par exemple, Bernard Delay est directeur du Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive à Montpellier, et directeur adjoint du département des sciences de la vie du CNRS. Le PNDBE s’appuie alors sur des personnes relais reconnue et motrice. Les documents du programme font état d’une activité de constitution de groupes de recherche, de rencontres autour d’ateliers, de colloques, des réunions internationales telles que « Origins, maintenance and loss of biodiversity » (Paris, 1993), « The ecology and conservation of spatially structured populations » (Chizé, 1995) ou « the functional role of soil biota under global change : an ecosystem-level perspective » (Paris, 1996). Le PNDBE organise également des espaces de rencontre nationaux des différents réseaux. Ces espaces peuvent être physiques avec les colloques (colloque de restitution des programmes environnement41 ou symposium du PNDB) ou des espaces médiatiques avec les différentes formes de publications (la lettre du programme environnement, brochures du Diversitas France ou du programme Environnement Vie et Société, base de données).

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *