Analyse des performances orthographiques

Analyse des performances orthographiques

Orthographe et phonétique 

Tout système graphique est multidimensionnel. Les deux dimensions jouant un rôle décisif sont la dimension phonographique et la dimension sémiographique. En tant qu’écriture alphabétique, le système graphique du français « consacre en son principe l’asservissement du signe graphique au signe phonique » (Martinet, 1974 : 66). Etant donné que toutes les variations d’orthographe « ne sont pas la contrepartie d’une différence au niveau phonique » (Ameur-Amokrane, 2007), la dimension sémiographique est également importante dans le système du français. Elle est présentée notamment par des morphogrammes non prononcés (morphogramme grammatical : -s dans le mot pommes ; morphogramme lexical : -d dans le mot grand), et également par des logogrammes servant à distinguer les homophones hétérographiques tels que ver/vers. Néanmoins, 85% de l’orthographe du français est phonographique (AmeurAmokrane, 2007). Autrement dit, 85% des graphèmes servent à transcrire des phonèmes. Ces phonogrammes pourraient être plus facile à maîtriser par les apprenants, en tenant compte que les phonogrammes ont un correspondant oral, et que les apprenants peuvent Analyse des performances orthographiques 133 s’appuyer sur leur forme orale lors de la transcription des phonogrammes. Cependant, comme Ameur-Amokrane (2007) l’indique, pour que cela soit vrai, encore faudrait-il que « les phonèmes soient maîtrisés tant sur le plan de l’articulation que de la discrimination auditive » et donc que les apprenants maîtrisent le système phonologique de la langue française. Ainsi, il est pertinent de dire que les difficultés auxquelles les apprenants sont confrontés au niveau phonique pourraient avoir des répercussions sur le maniement du système graphique. Rappelons que la situation d’apprentissage de l’écrit pour les apprenants du français L2 diffère de celle des enfants français. L’apprenant L2 apprend simultanément le français oral et écrit, tandis que l’enfant français aborde l’écrit avec une maîtrise précoce du français oral. Il nous semble donc intéressant d’examiner comment les apprenants chinois réalisent les phonogrammes lors de la production écrite. Dans cette partie, nous nous intéressons particulièrement à deux types d’erreur, les erreurs orthographiques à dominante phonétique et les erreurs phonographiques. Notre objectif est d’étudier la répartition de ces deux types d’erreur chez les apprenants chinois, et d’examiner s’il existe les tendances interlangagières propres à ce groupe d’apprenants, qui abordent simultanément le français écrit et oral. A cet effet, nous chercherons tout d’abord à définir ces deux types d’erreur orthographique. Dans l’étape suivante, nous présenterons une revue non exhaustive de quelques études sur l’analyse de ces deux types d’erreur orthographique en français L1 et L2. Ensuite les hypothèses de recherche seront présentées à partir d’une comparaison synthétique des deux systèmes phonologiques, français et chinois. Et puis nous mènerons une analyse des données dans une perspective développementale, et essaieront de caractériser l’interlangue des apprenants en nous basant sur une analyse des graphies erronées. Les hypothèses psycholinguistiques possibles pour expliquer ces erreurs seront également discutées, en faisant référence aux caractéristiques spécifiques du traitement orthographique des apprenants de L2. 

Différents aspects de l’orthographe lexicale

 L’orthographe française est traditionnellement divisée en deux branches, à savoir l’orthographe grammaticale et l’orthographe lexicale. Si l’orthographe grammaticale 134 repose sur un nombre fini de règles, l’orthographe lexicale, ou l’orthographe des mots du lexique, est essentiellement arbitraire et imprévisible (Manesse, 2007 : 137). Dans les systèmes orthographiques transparents, l’acquisition des correspondances phonèmesgraphèmes semble permettre aux apprenants de lire et d’écrire la totalité des mots. Le lexique mental, assurant l’identification et la production des mots, ne paraît plus nécessaire dans de tels systèmes, étant donné que la voie indirecte reposant sur les correspondances phonèmes-graphèmes suffirait. Néanmoins, les données empiriques nous suggèrent que même les utilisateurs de tels systèmes mémorisent les formes orthographiques de mots, puisque le lexique mental, ou la voie directe, leur permet de lire et d’écrire plus rapidement. Ce constat nous amène à soulever une question fondamentale : comment les apprenants acquièrent-ils la forme orthographique des mots ? Les données théoriques et empiriques nous attestent que la réalisation de l’orthographe lexicale demande les connaissances appartenant à des registres de savoir différents. Et ces connaissances sont construites à des moments différents du développement d’un apprenant. La première d’entre ces connaissances spécifie la relation à la forme orale des mots (Manesse, 2007 : 138). Comme Fayol (2008) l’indique, la phonologie, notamment par le biais du recodage phonologique ou le déchiffrage, joue un rôle majeur dans l’apprentissage du lexique orthographique. Par exemple, le déchiffrage de m+ai → mai+s → mais+on permettrait de produire la forme orale /mεzɔ̃ / et de mettre en correspondance cette forme orale avec la forme écrite maison. Ainsi, à l’aide de la production de la forme orale de mots, la pratique du déchiffrage sert soit à mettre en relation cette forme orale avec la forme écrite déjà connue par l’apprenant, soit à mémoriser la forme orthographique correspondante. Toutefois, rien n’assure qu’une seule rencontre suffirait pour la mémorisation de la forme écrite de nouveaux mots. Fayol (2008 : 185) nous suggère que, pour certains utilisateurs et certains mots, « plusieurs rencontres et déchiffrages successifs sont nécessaires pour inclure un mot dans le lexique orthographique ». Selon Pacton et al. (2005), la phonologie joue un rôle crucial dans le système d’écriture du français, même pour apprendre l’orthographe de mots irréguliers, lesquels « ne comportent souvent qu’une seule graphie irrégulière ». Par exemple, au lieu 135 de mémoriser toutes les lettres constitutives du mot oignon, l’apprenant pourrait apprendre seulement que le phonème /o/ correspond à -oi dans le mot avec une bonne connaissance des correspondances phonèmes-graphèmes. Néanmoins, il faut indiquer que le français constitue un système orthographique opaque, où l’on constate de nombreuses irrégularités, et qu’une bonne maîtrise des correspondances phonographémiques ne permet l’écriture correcte que de la moitié des mots français (simulation informatique de Véronis, 1988). Ainsi, en français, pour une production orthographique correcte, la prise en compte des contraintes orthographiques serait nécessaire. Plus l’apprenant utilise le système orthographique du français, plus il rencontre de la difficulté à transcrire les mots français en utilisant seulement les appariements phonèmes-graphèmes. Ainsi se marque l’entrée dans la phase orthographique, où l’apprenant commence à découvrir les particularités orthographiques des mots. Foulin (20003) a décrit l’évolution des performances orthographiques des enfants : au fil des rencontres successives du même mot, la représentation de la forme du mot en mémoire se raffine au fur et à mesure, d’abord en fonction de la forme phonologique (*éléfan pour éléphant), puis se référant aux indices orthographiques de plus en plus conformes au caractère conventionnel de l’orthographe (*éléfant → éléphant). Cette évolution réduisant progressivement la distance à la norme orthographique est également illustrée dans la recherche de Martinet et al. (1999). Les chercheuses ont mené une dictée de mots à des enfants de la première à la cinquième de l’école primaire. La dictée concerne trois séries de mots différant par leur régularité : mots réguliers (confiture, marmite) ; mots moyennement réguliers (angine, bain) ; mots très irréguliers (habit, monsieur). Les résultats ont montré que les performances des élèves s’améliorent en fonction de leur niveau scolaire et que les mots réguliers sont mieux orthographiés. Avec les analyses fines de formes erronées, les chercheuses ont également observé que les erreurs phonologiquement plausibles dominent de plus en plus par rapport à celles qui altèrent l’image phonologique de mots. En outre, les suites illégales de lettres ont une tendance à disparaître dans la production d’élèves en fonction de leur niveau scolaire, tandis que les indices orthographiques présents dans les mots irréguliers du français 136 apparaissent de plus en plus fréquemment dans la production des élèves, même si leur emplacement est quelquefois erroné (*abhit, *ihver). Ces résultats étayent donc le rôle fondamental de la phonologie pour établir les premières représentations orthographiques. Néanmoins, à part les appariements phonèmes-graphèmes, les élèves apprennent également les indices orthographiques, qui est relativement indépendant de la phonologie. Ainsi nous constatons que l’orthographe « ne doit plus être vue comme une simple mémorisation de formes visuelles, mais comme une construction continuelle, une reconstruction du système orthographique » (Lalande, 1988 : 13). Dans son travail sur l’orthographe lexicale, Lalande nous indique que cet apprentissage est possible chez l’apprenant grâce à l’aide de deux types de connaissances : les connaissances spécifiques, qui se définissent comme « toute information en mémoire, reliée à un mot particulier du lexique personnel et susceptible d’intervenir dans la lecture et la production graphique de ce mot » (1988 : 24) et les connaissances générales, qui constituent « l’ensemble des connaissances reliées à la construction d’une graphie conforme à la langue » (1988 : 32). Pour illustrer ces deux sortes d’informations orthographiques, nous pouvons reprendre un exemple de Lalande (1988 : 26) : dans le mot maison, savoir que le phonème /ε/ correspond au graphème -ai concerne la connaissance d’une correspondance phonèmegraphème à l’intérieur de ce mot et constitue ainsi une connaissance spécifique, et savoir que le graphème -ai est une des graphies possibles en français représentant le phonème /ε/ constitue une connaissance générale. Étant donné le nombre de graphèmes possibles pour un phonème et le caractère polyvalent du système orthographique du français, la quantité des connaissances spécifiques à maîtriser dans l’apprentissage de l’orthographe lexicale doit être énorme. Cela explique probablement le fait que l’apprentissage de l’orthographe de mots est effectivement long. Comme Lalande (1988 : 193) l’indique, « obtenue par construction ou par combinaison de sources diverses, l’image graphique peut s’avérer conforme à l’orthographe ou s’en éloigner considérablement ». Les informations que nous venons de présenter nous permettent de mieux comprendre les procédures impliquées dans l’apprentissage de l’orthographe lexicale, ainsi que les erreurs commises par les apprenants lors de la production écrite. 

Erreurs lexicales 

Si les choix concernant l’orthographe grammaticale se font « en fonction des unités effectivement présentes dans la chaîne du discours », en revanche, les décisions en matière d’orthographe lexicale se prennent « dans un ensemble virtuel, un dictionnaire de formes possibles » (Manesse, 2007 : 144). Dans une tâche d’écriture telle que la composition, afin de satisfaire aux normes de l’orthographe lexicale, l’apprenantscripteur doit choisir la forme juste, associée à la signification décidée dans le message préverbal. Nous avons précédemment fait état des différentes compétences linguistiques impliquées dans la production de l’orthographe lexicale. Comme il s’agit d’une écriture semi-spontanée dans ce travail, les apprenants chinois devaient s’en accommoder et n’avaient pas d’autre choix que de traiter le problème de l’orthographe lexicale en s’appuyant sur toutes les compétences linguistiques dont ils disposaient. Dans leur production, nous pouvons observer les formes correctes et erronées mobilisées selon « une logique dictée par les connaissances du code orthographique emmagasinées » (Mayard, 2007). Dans une situation de dictée, comme Manesse (2007 : 145) l’indique, on n’est pas capable de dire si la forme erronée n’a pas été comprise par l’apprenant, ou si simplement elle n’était pas connue dans sa spécialité orthographique. En revanche, en produisant les graphies erronées lors d’une production écrite semi-spontanée, les apprenants ont pour la plupart du temps compris le sens de mots mais n’en connaissaient pas les caractéristiques orthographiques. 

Classement des erreurs lexicales

 Selon Manesse (2007), les formes erronées relevant de l’orthographe lexicale pourraient être groupées en deux ensembles : erreurs de langue et erreurs lexicales au sens strict. Pour les erreurs de langue, il s’agit principalement des formes révélant que le mot n’est pas identifié pour des raisons différentes : soit les mots sont coupés, segmentés ou regroupés par erreur ; soit ils sont remplacés par un autre terme que celui du mot dicté 138 (dans la situation de dictée de contrôle) ; soit la représentation phonétique des mots est aberrante. Quant aux erreurs lexicales au sens strict, trois types d’erreurs sont classés dans cette catégorie : formes erronées présentant un cumul de fautes grammaticale et lexicale ; erreurs lexicales graves ; erreurs lexicales représentant les formes approchantes qui témoignent d’une bonne connaissance du système graphique français. Dans ce travail, il nous semble nécessaire de donner une différente typologie des erreurs lexicales que celle de Manesse, puisque nos données sont issues d’une tâche d’écriture semi-spontanée. Comme nous l’avons souligné auparavant, les erreurs lexicales ont été produites par des apprenants qui ont compris le sens des mots mais n’en connaissaient pas les caractéristiques orthographiques. Ainsi, nous proposons une typologie des erreurs lexicales adaptée à notre corpus de données.

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