Analyse des saponines triterpéniques

Depuis des temps ancestraux, l’Homme s’inspire de ce qui l’entoure pour tenter de soigner ses maux. La faune et la flore ont toujours été considérées comme étant les principales sources de remèdes. Au fil des années, l’Homme a pu accumuler et répertorier ses découvertes, donnant naissances aux pharmacopées. Ces ouvrages traditionnels ont servi de pilier pour le développement des médicaments d’aujourd’hui (produits naturels et produits de synthèse). Cependant, depuis quelques années les scientifiques ont observé une tendance au retour de l’usage des produits naturels. L’industrie pharmaceutique a en conséquence orienté ses recherches en se basant sur l’usage ancestral de la médecine traditionnelle. Ce phénomène basé sur l’extraction de principes actifs contenus dans les plantes médicinales a été surnommé par les ethnopharmacologues la « vague verte » (Chominot 2000). Cet intérêt pour les ingrédients botaniques s’est même élargi au domaine de la cosmétique, où la demande des consommateurs se tourne de plus en plus vers les produits d’origine biologique et naturels (Carvalho et al. 2016). Selon l’organisme Organic Monitor, qui suit l’évolution des produits naturels sur le marché planétaire, la part des ventes qu’ils occupent est en constante augmentation (Euromarketing-udes.com 2018). Dans un contexte plus ciblé, les canadiens sont de grands consommateurs des produits naturels puisqu’en 2012, plus de huit personnes sur dix en avaient déjà consommé, et 38% des canadiens affirmaient utiliser au moins un produit naturel tous les jours (Ministère de l’Économie de l’Innovation et des Exportations du Québec 2014) .

Parmi les nombreuses espèces décrites dans les pharmacopées, l’une des plus étudiée est le Panax ginseng, appartenant à la famille des Araliaceae. Cette plante endémique d’Asie possède de très nombreuses propriétés auxquelles elle doit sa renommée . Son potentiel adaptogène, peu commun aux plantes en général, a cependant été détecté chez d’autres espèces de la famille des Araliaceae (Ahumada et al. 1991; Panossian et Wikman 2010). Au Québec, on dénombre seulement trois espèces appartenant au genre Aralia : l’A. racemosa, l’A. nudicaulis et l’A. hispida (Brouillet et al. 2010). Ces deux dernières espèces ont la particularité d’être décrites par de nombreux ouvrages, détaillant leurs usages thérapeutiques traditionnels à travers la culture amérindienne. Étonnamment, la littérature scientifique actuelle fait peu état de ces plantes, de leur composition et de leurs activités biologiques. L’Aralia nudicaulis et l’Aralia hispida offrent ainsi l’opportunité de découvrir de nouveaux actifs naturels, au potentiel analogue au ginseng.

Depuis plusieurs années, les scientifiques s’intéressent aux liens de cause à effet qui pourraient mettre en relation la composition phytochimique d’une plante et ses vertus vantées par la médecine traditionnelle. Ces études impliquent des étapes de purification d’extraits, de caractérisation des molécules isolées, ainsi que de tests afin de déterminer les propriétés biologiques de ces dernières. C’est en grande partie basé sur cette approche que le laboratoire LASEVE (Laboratoire d’analyse et de séparation des essences végétales) a décidé d’orienter plusieurs de ses projets.

Tout comme d’autres projets inhérents au laboratoire (Mskhiladze et al. 2008), l’étude de la composition de l’A. nudicaulis s’est concentrée sur une famille de molécules responsable d’un grand nombre d’activités biologiques et connue dans la famille des Araliaceae : les saponines. Ces molécules, également responsables des activités biologiques du ginseng, représentent un véritable défi d’isolation du fait de leurs structures fortement similaires entre elles. En contrepartie, la diversité des sucres greffés et des parties aglycones offre la possibilité d’isoler et de caractériser de nouvelles structures et donc de potentiellement découvrir de nouvelles molécules (Oleszek et Bialy 2006). De plus, les fractions enrichies en saponines sont susceptibles de contenir des polyphénols, molécules bien connues pour leurs activités antioxydantes (Scalbert et al. 2005; Pandey et Rizvi 2009). Quelques composés phénoliques détectés lors des travaux d’isolation des saponines ont été identifiés dans le cadre de ce travail. La majeure partie des travaux de ce projet de maitrise concerne l’isolation et la caractérisation des saponines triterpéniques contenues dans les extraits d’Aralia nudicaulis. Afin de limiter le sujet, les recherches présentées dans ce mémoire se focalisent sur les feuilles de la plante.

En effet, les feuilles contiennent des quantités plus importantes de saponines en comparaison aux autres parties de l’A. nudicaulis et de l’A. hispida (section V.A).

ARALIA NUDICAULIS L. 

Les Araliaceae

La famille des Araliaceae (Jussieu 1789) appartient à la classe des Magnoliopsida et à l’ordre des Apiales (Singh 2010; Naturalis Biodiversity Center 2018) . On compte dans cette famille de plante pas moins de 54 genres, parmi lesquels on dénombre 1325 espèces différentes.

Les Araliaceae ont longtemps été réunies avec la famille des Apiaceae de par leurs nombreux caractères morphologiques (Judd et al. 1994) et anatomiques (Judd et al. 1994) communs (Wen et al. 2001; Botineau 2010).

Au niveau de leur répartition géographique, les Araliaceae se retrouvent sur l’ensemble du globe (Wen et al. 2001), avec une plus forte présence dans les régions tropicales et subtropicales (Singh 2010). Un travail effectué par le site mobot.org, étudiant la phylogénie des angiospermes, permet de visualiser la répartition de la famille des Araliaceae sur la carte du monde .

La famille des Araliaceae est notamment connue pour ses utilisations en ornementation extérieure (Singh 2010). En effet, la majorité des plantes qui la compose sont des arbres, arbustes, plantes ligneuses et herbacées (Wen et al. 2001). En France, l’Hedera helix, plus connue sous le nom commun de lierre, est la plus répandue des espèces d’Araliaceae. Cette plante ligneuse grimpante est par exemple souvent retrouvée sur les façades des habitations. Sur un plan phytochimique, son bois et ses feuilles contiennent des saponosides, autrefois utilisés pour leurs propriétés antitussives. Ses fruits sont en revanche toxiques après ingestion chez l’enfant et certaines espèces d’animaux (Botineau 2010).

L’Hedera helix n’est pas la seule espèce possédant des propriétés connues. Un grand nombre de plantes de la famille des Araliaceae ont été étudiées et certaines sont connues pour leurs usages médicinaux. La plus connue d’entre elles est le Panax ginseng. Son nom dérive du grec « pan » et « axos », qui signifient respectivement « tout » et « traiter » (Leung et Wong 2010; Chen et al. 2015). Déjà décrite dans plus de 7000 articles sur la plateforme PUBMED (Chen et al. 2015), cette espèce est largement connue des usages traditionnels de la médecine chinoise et coréenne. En Amérique, on trouve son équivalent, le Panax quinquefolia, considéré comme substitut au vrai ginseng (Singh 2010). Depuis plus de 500 ans, le Panax ginseng est consommé dans le but d’améliorer la concentration et les processus de guérison, de réduire le stress, mais également sur le long terme pour améliorer l’état de santé général des personnes âgées (Nocerino et al. 2000; Singh 2010). Des études plus récentes répertorient les nombreux effets thérapeutiques du P. ginseng, comme sa capacité à améliorer les fonctions hépatiques, immunitaires et cérébrales. Elle possède en effet des activités analgésique, anticancéreuse, anti inflammatoire, immunostimulante, hypoglycémique, antifatigue, anti-stress, anti diabétique, aphrodisiaque, ou encore d’inhibition contre le VIH (Lee 2000; Choi 2008; Chen et al. 2015). Ses activités antioxydante et anti-âge justifient également son utilisation dans le domaine de la cosmétologie (Kitts et Hu 2000).

L’une des caractéristiques particulières de cette plante est son pouvoir adaptogène. Cette propriété se définie comme étant la capacité « à augmenter la résistante de l’organisme de manière non spécifique contre les agressions extérieures physiques, chimiques ou biologiques, et à avoir une influence normalisatrice tout en montrant une absence de toxicité » (Brekhman 1980).

Les molécules responsables de l’activité adaptogène du ginseng sont les ginsenosides. Ce sont des saponines triterpéniques dont la plupart sont de type dammarane avec des sucres greffés (Leung et Wong 2010; Johns et Chapman 2013) .

Sur le plan médicinal, l’Aralia s’apparente aux effets biologiques du ginseng, descendant également des Araliaceae (Kitts et Hu 2000; Lee 2000; Chen et al. 2015; Jiang et al. 2016). On trouve d’ailleurs plusieurs espèces de cette famille avec des propriétés adaptogènes comparables, telles que l’Aralia elata, ou l’Eleutherococcus senticocus (Ahumada et al. 1991; Panossian et Wikman 2010; Johns et Chapman 2013).

Le genre Aralia

Sur les 74 espèces d’Aralia (Naturalis Biodiversity Center 2018), la plus étudiée à ce jour dans la littérature est l’Aralia elata. Elle est endémique de l’est de la Chine, de la Corée, du Japon et de la Russie. Elle est également présente en Ontario car elle y a été introduite par l’Homme (Brouillet et al. 2010; Global Biodiversity Information of Facility (GBIF) 2017)  . De nombreuses vertus ont été attribuées aux diverses parties de cette plante. Depuis plus de 47 ans, la plante est utilisée comme remède (Shikov et al. 2016). Elle est connue en médecine traditionnelle pour soigner les rhumatismes, les spasmes d’estomac, les ulcères gastriques, l’arthrite, l’hépatite, la toux ou encore le diabète (Kang et al. 1999; Guo et al. 2009; Nishiumi et al. 2012; Wu et al. 2012; Kim et al. 2013b; Wang et al. 2015b). Une étude s’y consacrant vers  le milieu du 20e siècle, en URSS, a également montré une augmentation des capacités physiques des sujets animaux, une meilleure résistance au froid, aux radiations UV ainsi qu’aux baisses de pression atmosphérique. Ces résultats, en plus des usages traditionnels connus, ont amené à l’inscription de l’Aralia elata dans la Pharmacopée Russe depuis 1967 (Shikov et al. 2016). Elles est également répertoriée dans le manuel des drogues médicinales du docteur Mashkovsky (Mashkovsky 2002).

Des études plus récentes ont permis de mettre en évidence les activités antiarythmique, cardioprotectrice (Wang et al. 2014, 2015a) et anticancéreuse (Kuang et al. 2013) de l’A. elata en tests in vitro. Des tests sur des animaux ont également démontré que cette espèce possède des propriétés adaptogène (Wojcicki et al. 1977; Yance et Tabachnik 2007), stimulantes des fonctions reproductives (Denisenko et al. 2000), du système immunitaire (Miroshnichenko et al. 1985) et de la  coagulation sanguine (Kolkhir et Sokolov 1982). En synergie, l’espèce possède deseffets protecteurs contre le stress (Markina et Markin 2008), les rayonnements ionisants (Fedorova et al. 1994), le diabète et l’obésité (Abidov et al. 2006; Liu et al. 2015; Shikov et al. 2016) .

Table des matières

Chapitre I Introduction
Problématique
Objectif général
Objectifs spécifiques
Structure du mémoire
Chapitre II Revue de littérature
A. Aralia nudicaulis L
1. Les Araliaceae
2. Le genre Aralia
3. L’Aralia nudicaulis
B. Molécules d’intérêt : les saponines triterpéniques
Chapitre III Article scientifique
Chapitre IV Partie expérimentale
A. Matériel végétal
B. Extractions
1. Extraction par solvant à reflux
2. Partition des composés par extraction liquide-liquide
C. Méthodes d’analyses chromatographiques
1. Chromatographie sur couche mince CCM
2. Chromatographie liquide à haute performance couplée à la spectrométrie de masse HPLC-MS
D. Méthodes chromatographiques préparatives
1. Chromatographie liquide sur résine (DIAION HP-20)
2. Chromatographie liquide à basse pression sur gel de silice et sur silice greffée C18
3. Chromatographie liquide préparative RP-HPLC-DAD/UV
E. Méthodes physico-chimiques
1. Spectrométrie de masse haute résolution HR-ESI-MS
2. Spectroscopie de résonance magnétique nucléaire RMN
3. Chromatographie gazeuse couplée à un détecteur à ionisation de flamme GC-FID
4. Spectroscopie Infrarouge
5. Pouvoir rotatoire
6. Hydrolyse acide et acétylation de monosaccharides greffés aux saponines triterpéniques
F. Méthodes biologiques
1. Évaluation de l’activité cytotoxique
2. Évaluation de l’activité antioxydante
3. Évaluation de l’activité anti-inflammatoire
4. Évaluation de l’activité antifongique
Chapitre V Résultats
A. Rendements et activités des extraits d’Aralia
B. Fractionnement de l’extrait MEOH des feuilles d’Aralia nudicaulis
1. Extrait AcOEt de l’extraction liquide-liquide des feuilles d’Aralia nudicaulis
2. Extrait butanol de l’extraction liquide-liquide des feuilles d’Aralia nudicaulis
C. Isolation des saponines triterpéniques par HPLC Préparative
1. Fraction JP01036B
2. Fraction JP01036C
3. Fraction JP01036D
4. Fraction JP01036E
D. Caractérisation des molecules isolées
1. Caractérisation des aglycones par RMN
2. Informations supplémentaires sur la caractérisation de la portion sucre des saponines par RMN
E. Identification des polyphénols
F. Résultats de l’activité biologique des composés
1. Propriétés anti-inflammatoires
2. Propriétés antioxydantes
3. Propriétés cytotoxiques
4. Propriétés antifongiques
Chapitre VI Conclusion

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