Les règles d’inscriptions et organisation spatiale

Les règles d’inscriptions et organisation spatiale

-pour les hommes détenus : Le corps aura tendance à s’affirmer spatialement en cherchant les conflits ou en s’imposant physiquement (pratique de sport intensive pour démontrer une virilité supérieure à celle des autres). Soit le corps affichera une forme de violence, soit il sera sous médicaments pour ne pas subir mentalement le quotidien carcéral. Il investira l’espace qu’on ne veut pas lui accorder ou il en prendra le moins possible, afin qu’on l’oublie et qu’on ne lui fasse rien subir de plus que les contraintes quotidiennes de l’enfermement. Cette dernière forme de communication corporelle est à associer à celle du « refus » concernant les femmes. Le comportement corporel des hommes détenus sera, le plus souvent, construit par les règles contraignantes de l’incarcération, puisqu’il réagira en opposition à celles-ci. -pour les femmes détenues : Le refus est un acte de repli sur soi, un renfermement spatial du corps alors que la participation est caractérisée par une ouverture corporelle et interactionnelle. Chacun de ces comportements a un fonctionnement propre, qu’il soit dans l’attitude du corps (gestes effectués, mouvements divers du corps, par différentes parties ou son intégralité), dans le déplacement spatial (expansion ou repli) ou encore au niveau de l’inscription de ce corps par rapport aux autres (son organisation spatiale et comportementale par rapport aux autres). Le corps des femmes en position de refus est en inadéquation totale avec la vie carcérale : il s’inscrit à peine dans l’espace de la cellule et ne s’étend pas ailleurs, l’interaction est nulle, donc il n’a pas sa place parmi les autres. La détenue choisit d’abandonner l’entretien de son corps et le manque d’hygiène et de soins dévoilent des signes d’inadaptation à la vie carcérale. C’est le corps entier (parole comprise) qui subit les effets de l’incarcération et qui s’agresse de cette manière. Lorsqu’elles sont sanctionnées pour leur comportement, leur corps déploie cette colère, il s’étend spatialement et choisit de s’exprimer par la violence qui se dirige alors vers les autres. Le corps des femmes participantes se déploie dans l’espace et il est constamment en interaction bénéfique avec les autres. Le contexte influence donc leur communication corporelle, il constitue ce support matériel qu’est le corps dévalorisé et négatif de la femme détenue, par le biais des différents codes vestimentaires adoptés en prison (jogging pour plus de confort, etc.) et des règles à suivre pour ne pas éveiller d’envie ou de jalousie de la part des autres détenues (pas de bijou, peu de maquillage et pas de grande marque, pas de vêtements sexy ni de luxe, etc.). Toutes ces règles construisent une communication corporelle relatant la déperdition d’un corps témoignant de conditions d’incarcération déshumanisantes. Par cette construction significative du corps, ce dernier devient un support formel. Les détenus, hommes et femmes, choisissent le support du corps pour communiquer ce que les contraintes carcérales ne leur autorisent pas à partager. Ce support est lui-même la source des contraintes de l’incarcération : sans cesse brimé, replié sur lui-même et dans un espace clos, il finit par reprendre vie en entrant de manière conflictuelle en interaction avec les responsables de ces contraintes ou avec lui-même, ne supportant plus l’image qu’il lui renvoie ou son existence. Pour éviter ces situations extrêmes, quelques ateliers culturels sont mis en place par l’administration pénitentiaire, prenant en compte ces problèmes de liberté de mouvement trop oppressants pour les détenus. 

Contexte d’ateliers (danse et théâtre) : choix d’utilisation du corps comme support proposé et leurs conditions d’existence carcérale

Les ateliers culturels mis en place en prison peuvent faire intervenir la communication corporelle. Parmi ceux-ci, nous retrouvons la danse et le théâtre comme particulièrement évocateurs et significatifs quant au reflet des contraintes corporelles carcérales. Nous expliquerons en quoi ils sont bénéfiques pour le fonctionnement du corps comme support de communication pour les détenus. *Caractéristiques spécifiques du corps dans le contexte d’ateliers culturels en prison : Le corps des détenus, lors de l’arrivée dans un atelier culturel tel que la danse ou le théâtre, est complètement replié sur lui-même et entretient une relation distante avec toute autre personne. Ce sont les règles comportementales adoptées et voulues par la prison qui ont transformé ces corps de manière à ce qu’ils ne se sentent plus libres d’effectuer aucun geste ni aucun mouvement spontanément en présence d’autrui. Il est marqué par les contraintes carcérales du point de vue de la santé : même une pratique sportive intense n’enlèvera pas les problèmes de vue, d’audition, de dos et de digestion (entre autres) dus à l’incarcération (pénombre, manque d’hygiène, bruits incessants, repas médiocres, etc.). Tout ceci est visible lors de la libération des gestes corporels lors de ces ateliers.

Rôle pour les détenus : -Danse

 Il s’agit ici de parvenir à vivre avec autrui en acceptant sa présence et son contact, c’est revenir vers des notions comportementales nécessaires à la société libre et apprendre à communiquer de façon à être également accepté par celle-ci. Le but est donc d’être en interaction harmonieuse avec les autres. Ce recul pris par rapport aux choix des gestes de chacune permet de faire une analyse, pour chaque détenue, et ainsi de réaliser ce qui convient ou non par rapport à ce qui est attendu, tout comme le comportement en société libre est nécessaire quand on est face à autrui dans n’importe quel processus de communication. Daniel Benson, intervenant Option Vie à Joliette, évoque, quant à lui, les détenu(e)s mis(e)s en situation de confrontation avec le regard d’autrui, le grand public : Puis le sentiment de pouvoir affronter un public en se mettant presque à nu, ça leur dit aussi qu’elles peuvent affronter la vie, qu’elles peuvent affronter leurs difficultés, les raisons qui les ont amenées en prison, elles peuvent passer par-dessus ça, les affronter, vivre avec ça puis danser avec leurs difficultés.

Théâtre

Le corps du détenu apprend à maîtriser sa relation avec lui-même et avec l’espace lorsqu’il participe à un atelier théâtre. Il choisit, contrairement au reste de la détention, s’il veut . http://www.ciepointvirgule.com/LeLivreMilieuCarceral.html [consulté le 02.01.2011]. 506. Sylvie FRIGON et Claire JENNY, op. cit. 507. http://www.erudit.org/livre/penal/2008/000260co.pdf [consulté le 02.01.2011], p. 10. 508. Les cachets mentionnés sont, le plus souvent, du Subutex, donné par le centre de soins des prisons afin de garder au calme les détenus qui se disent angoissés. Il s’agit aussi parfois d’un traitement de substitution à la drogue prise par les détenus avant leur incarcération. Mais ces cachets ont leurs propres problèmes : dépendance et état léthargique du détenu. Cf. Pierre-François KOWALKOWSKI, La prise en charge de la toxicomanie à la maison d’arrêt de Loos-lès-Lille, Thèse pour le Diplôme d’État de Docteur en Pharmacie, Université du Droit et de la Santé de Lille III, Faculté des Sciences Pharmaceutiques et Biologiques, 2007, p. 78 à 86 pour les traitements des toxicomanes en prison. Cf. aussi Prisons, drogues et société : actes. Conférence du 20-22 septembre 2001 à Berne (Suisse), édition du Conseil de l’Europe, 2002 [1ère édition : Organisation mondiale de la santé et Groupe Pompidou, 2001], p. 70 à 102 pour plus d’informations sur les traitements de substitution. DELUGEARD Stéphanie | Thèse de doctorat Sémiotique | Université de Limoges | 2015 153 partager l’espace avec autrui lors des interactions gestuelles et verbales impliquées par le spectacle qui se construit petit à petit. Chacun de ses gestes et de ses mots expriment des ressentis, un besoin de s’exprimer sur sa vie en prison, sur ses problèmes personnels, sur son enthousiasme et son plaisir à partager ces moments conviviaux et humains lors d’ateliers comme celui-ci. Il en va de même pour les ateliers rythmiques tels que la danse. Le détenu, lors d’un atelier théâtre, passe du statut de numéro d’écrou et de détenu X parmi tant d’autres à l’affirmation de son identité propre, à l’inscription d’un « je » dans l’espace, avec des gestes et des paroles personnels, le tout étant signifiant, que l’on sache comprendre ou non les émotions et les sentiments du détenu que cela renferme. Le théâtre est une forme de danse du corps, accompagnée de paroles ou de silences, selon les besoins de la pièce et les personnages joués. *Raisons de ce choix : Le corps du détenu, lorsqu’il accède à la possibilité de se mouvoir par la danse et le théâtre, fait ressurgir toutes les tensions quotidiennes et retrouve une identité en tant que personne existante et non plus comme un numéro d’écrou ni comme un détenu. Il ajuste ses mouvements corporels à l’espace qui lui est réservé, aux contraintes liées à l’atelier (objets requis, matériel disponible, etc.) et aux demandes de l’intervenant, à la présence des autres détenus, à ses propres difficultés à s’ouvrir, alors que l’incarcération le lui interdisait. Ainsi, le corps du détenu dansant ou jouant est un corps qui se meut et communique d’une manière spécifique au milieu carcéral, puisque les contraintes qui le construisent sont très différentes de celles de l’extérieur. Le corps ne peut retrouver son identité d’avant l’incarcération que par le biais de ce genre d’activités, ce qui implique quelques changements dans la posture corporelle lors du retour en cellule, mais suffisamment infimes pour que le corps reprenne sa posture de repli initiale avec l’arrêt de cette activité. 

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