Anthologie poétique des ruisseaux, rivières et fleuves

L’eau du non sens

Henri MICHAUX (1899-1984) : Voyage en Grande Garabagne

•Le dieu des eaux est couché
Le dieu des eaux est couché. Il n’est pas question pour lui de se lever. Les prières des hommes ne l’intéressent guère, ni les serments, ni les engagements. Peu lui chaut un sacrifice. C’est le dieu de l’eau avant tout. Il n’a jamais fait vraiment attention aux récoltes des Gaurs pourries par les pluies, à leurs troupeaux emportés par les inondations. C’est le dieu de l’eau avant tout. On a pourtant des prêtres bien instruits. Mais ils n’en savent pas véritablement assez pour le chatouiller. Ils étudient, fouillent les traditions, jeûnent, méditent et il est possible, à la longue, qu’ils arrivent à parvenir jusqu’à lui et à couvrir la voix des eaux, qui lui est si chère.

Henri MICHAUX (1899-1984) : Au pays de la magie

•J’ai vu l’eau qui se retient de couler
J’ai vu l’eau qui se retient de couler. Si l’eau est bien habituée, si c’est votre eau, elle ne se répand pas, quand même la carafe se casserait en quatre morceaux. Simplement elle attend qu’on lui en mette une autre. Elle ne cherche pas à se répandre au dehors.

Est-ce la force du Mage qui agit ?
Oui et non, apparemment non, le Mage pouvant n’être pas au courant de la rupture de la carafe et du mal que l’eau se donne pour se maintenir sur place. Mais il ne doit pas faire attendre l’eau pendant trop de temps, car cette attitude lui est inconfortable et pénible à garder et, sans exactement se perdre, elle pourrait s’étaler. Naturellement, il faut que ce soit votre eau et pas une eau d’il y a cinq minutes, une eau qu’on vient précisément de renouveler. Celle-là s’écoulerait tout de suite. Qu’est-ce qui la retiendrait ?

•Le berger d’eau
Parmi les personnes exerçant de petits métiers, entre le poseur de torches, le charmeur de goitres, l’effaceur de bruits, se distingue par son charme personnel et celui de son occupation, le Berger d’eau. Le berger d’eau siffle une source et la voilà qui, se dégageant de son lit, s’avance en le suivant. Elle le suit, grossissant au passage d’autres eaux. Parfois, il préfère garder le ruisselet tel quel, de petites dimensions, ne collectant par ci par là que ce qu’il faut pour ne pas qu’il s’éteigne, prenant garde surtout lorsqu’il passe par un terrain sablonneux. J’ai vu un de ces bergers – je collais à lui fasciné – qui, avec un petit ruisseau de rien, ave un filet d’eau large comme une botte, se donna la satisfaction de franchir un grand fleuve sombre. Les eaux ne se mélangeant pas, il rattrapa son petit ruisseau intact sur l’autre rive. Tour de force que ne réussit pas le premier ruisseleur venu. En un instant, les eaux se mêleraient et il pourrait aller chercher ailleurs une nouvelle source. De toute façon, une queue de ruisseau forcément disparaît, mais il en reste assez pour baigner un verger ou emplir un fossé vide. Qu‘il ne tarde point, car fort affaiblie elle est prête à s’ébattre. C’est une eau « passée ».

•Marcher sur les deux rives d’une rivière
Marcher sur les deux rives d’une rivière est un exercice pénible.
Assez souvent l’on voit ainsi un homme (étudiant en magie) remonter un fleuve, marchant sur l’une et l’autre rive à la fois : fort préoccupé, il ne nous voit pas. Car ce qu’il réalise est délicat et ne souffre aucune distraction. Il se retrouverait bien vite, seul, sur une rive, et quelle honte alors !

•Poissons-aiguilles
Si l’on pouvait, disent-ils, débarrasser des eaux tous les poissons-aiguilles, le bain serait une chose si ineffablement délicieuse qu’il est bon même de n’y pas songer, car cela ne sera jamais, jamais.
Pourtant ils essaient. Ils usent dans ce but d’une canne à pêche. La canne à pêche pour la pêche du poisson-aiguille doit être fine, fine, fine. Le fil doit être absolument invisible et descendre lentement, imperceptiblement dans l’eau. Malheureusement le poisson-aiguille lui-même est à peu près complètement invisible.

•Besoin d’eau
S’ils ont besoin d’eau, ils ne laisseront pas un nuage en l’air sans en tirer de la pluie. Je l’ai vu faire plus d’une fois. N’y aurait-il même aucun nuage en vue, pourvu qu’il existe une suffisante humidité dans l’atmosphère, ils vous feront bien vite apparaître un petit nuage, très clair d’abord, presque transparent, qui devient ensuite moins clair, puis moins clair encore, puis blanc, puis d’un blanc lourd et rondelet, enfin gris, et vous le feront alors dégorger son eau sur le pré ou sur le verger qu’ils tenaient à arroser.

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