Aspects cliniques, organisationnels et médicolégaux des soins psychiatriques

Aspects cliniques, organisationnels et médicolégaux des soins psychiatriques

Installation de la psychiatrie en milieu carcéral (historique)

 Le monde à part de la carcéralité fait intervenir des réalités peu communes. L’enfermement est au centre des pratiques. Cependant, parmi les détenus, il se trouve un nombre non négligeable de malades mentaux, du fait de leur comportement les ayant induit en prison, ou alors de la décompensation de leur structure fragile. C’est devant ces situations qu’est née la psychiatrie médicolégale, impulsée par les aliénistes (Kernberg O, 1979) (Kipman SD, 1978). Pinel et les révolutionnaires de 1789 attiraient l’attention à la fin du XVIIIe siècle sur les « aliénés criminels » trop négligés par la médecine et la psychiatrie : « Ces aliénés, loin d’être des coupables (donc qu’il faille les punir), sont des malades dont l’état pénible mérite tous les égards dus à l’humanité souffrante […] Les aliénés ou « fous », qui jusqu’alors ont été traités beaucoup plus en ennemis de la sécurité publique qu’en créatures déchues dignes de pitié, doivent être soignées dans des asiles spéciaux. » (Roelandt JC, 2009) (Senon JL, 1998). L’entrée de la psychiatrie dans le monde à part de la carcéralité s’est faite progressivement, parallèlement à l’évolution des préjugés concernant le malade mental et avec la sectorisation de la psychiatrie. Le réel essor de la pratique de la psychiatrie en milieu carcéral est récent. Il correspond au 9 fait que la santé dans la prison a été confiée aux hôpitaux par la loi du 18 janvier 1994 en France3 (Gravier B, 2011). À l’image du psychiatre en soins généraux, l’intervention des équipes psychiatriques en milieu carcéral peut se concevoir selon le modèle de la psychiatrie de liaison (Bergoignan-Esper C, 2009). En effet, les missions de ces équipes ne se limitent pas à un simple rôle de consultation. Une part non négligeable de leurs interventions s’oriente vers la prévention, l’éducation et la relation dans un lieu autre que l’hôpital psychiatrique (Manzanera C, 2004) (Gravier B, 1997). La psychiatrie en milieu pénitentiaire se développe et se structure depuis quelques années. Il s’agit actuellement de pratiques très différentes (Manzanera C, 2004): – selon les lieux d’exercice : établissements pénitentiaires de types différents et population pénale demandant des soins diversifiés ; – selon l’ancienneté de l’implantation des soins dans la structure ; – selon le mode d’organisation des soins : service médicopsychologique régional (SMPR), convention avec une équipe psychiatrique de secteur à la suite de la loi du 18 janvier 1994 ou intervention au sein d’une équipe médicale gérée par un organisme privé ; – selon les budgets, élément incontournable de la santé d’aujourd’hui. Beaucoup de textes ont donc été promulgués récemment afin de sortir l’exercice de la psychiatrie en milieu carcéral de son ambiguïté et de sa marginalité en France. Ils lui donnent un statut au sein de la psychiatrie publique et une indépendance vis-à-vis de l’administration pénitentiaire (Bergoignan-Esper C, 2009). Alors que l’extension des soins en milieu fermé a été simultanée à une restriction des moyens en milieu libre. Le développement structurel et humain de la psychiatrie pénitentiaire, nécessaire compte tenu des besoins sanitaires de la population pénale, ne saurait encourager à tout traiter derrière les barreaux, voire à incarcérer pour soigner (Cognard S, 2010), les détenus acceptant passivement des interventions soignantes sans pouvoir se les approprier. 

L’impact psychique de l’incarcération

On entend souvent parler de psychose carcérale. Cette entité clinique est en fait contestée et, il semble que ces épisodes puissent être rattachés à la catégorie des épisodes psychotiques réactionnels brefs. Plus généralement on peut distinguer deux sous-catégories de troubles mentaux engendrés par la prison. D’une part les troubles qualifiés de réactionnels. Ils regroupent dépression, anxiété, insomnie voire agitation ou épisode délirant. Ils sont consécutifs soit directement à l’enfermement avec la rupture qu’elle occasionne, soit à l’acte à l’origine de l’incarcération. Et d’autre part, les troubles qui relèvent du défaut d’interaction avec l’environnement. En effet nous interagissons avec l’environnement, nous préservons notre équilibre psychique : qu’il s’agisse d’ouvrir la fenêtre quand il fait chaud, ou de la fermer lorsque l’air est poussiéreux ; de téléphoner à un proche lorsque nous nous sentons seul, ou d’aller fouiller dans le frigidaire quand nous 3 La loi de 1994 a confié au service public hospitalier la charge d’assurer les examens de diagnostic et les soins, dispensés selon les cas en milieu pénitentiaire ou en milieu hospitalier. Sont alors mises en place de véritables unités de soins, garantissant aux détenus l’accès à un personnel médical et à une offre de soins de qualité. 10 ne parvenons pas à dormir. Nous faisons face aux contrariétés plus ou moins importantes en interagissant avec l’extérieur pour l’aménager et rendre notre quotidien plus supportable. Sans le savoir nous préservons sans cesse notre équilibre psychique (Fazel S, 2002). En prison la situation est toute autre. Il existe ce qu’on appelle une coupure radicale avec le monde extérieure responsable du « morcellement de l’identité » qui est appuyé par la prise d’empreintes digitales, la confiscation des biens du détenu et l’attribution d’un numéro (dans les prisons occidentales). La coupure se vit dès le premier jour de l’incarcération entrainant le « choc carcéral » : sentiment qui s’empare du détenu, et lui fait réaliser que sa vie telle qu’il l’a connu est terminée. La coupure et le choc sont d’autant plus intenses que le sujet avait des attaches relationnelles à l’extérieur (conjoint, enfants, amis…). De plus, chez les détenus, il existe en permanence des contraintes à subir. Lorsque l’air est irrespirable en cellule, il faut l’accord de celui qui a le statut de « caïd4 » pour ouvrir la fenêtre. Il n’est pas possible de faire appel à un proche lorsque la solitude se fait sentir et il est difficile d’allumer la lumière ou de bouger dans la cellule quand les établissements sont surpeuplés, et qu’une cellule prévue pour une personne est occupée par trois. Par conséquent, la marge d’interaction avec l’environnement est extrêmement réduite par rapport à l’extérieur. On voit aisément dans ces conditions combien il peut être difficile de gérer les contraintes carcérales et il est aisé d’imaginer que l’annonce d’une mauvaise nouvelle tel qu’un deuil ou une rupture puisse occasionner dépression, anxiété, agitation voire passage à l’acte suicidaire. De même, les détenus éprouvent un sentiment d’impuissance faces aux évènements à l’extérieur qu’ils ne peuvent influencer. Par exemple, face au silence et au sentiment de trahison, nous pouvons saisir notre téléphone et aller en quête d’explication. Il n’en va pas de même pour les détenus réduits au silence et à l’impuissance. Cette incapacité à intervenir sur son cadre de vie, à s’approprier le temps et l’espace peut révéler la maladie mentale comme le phobique social qui découvre qu’il est malade le jour où il doit parler en public. Mais elle peut aussi en favoriser la survenue comme pour le claustrophobe qui évite sa maladie en évitant l’ascenseur, jusqu’au jour ou son entreprise déménage du rez-de-chaussée au dernier étage. Et de même qu’il n’était pas rare que des états prépsychotiques décompensent lors de l’incorporation à l’armée, la prison par le cadre de vie rigide et non aménageable qu’elle impose déstabilise un certain nombre d’états pré-pathologiques que la souplesse de l’environnement permettait de contenir. Et plus le cadre est rigide plus il fait basculer dans la maladie ces personnalités fragiles. Le quartier disciplinaire est ainsi un gros pourvoyeur de décompensations pathologiques et le nombre de suicides dont il est le théâtre en atteste. De plus, le quotidien des détenus est surtout fait d’humiliations et de frustrations permanentes. Cumulées, elles peuvent entrainer la décompensation d’un individu ayant une personnalité antérieure fragile (Lafay N, 2000).

Les différents systèmes d’organisation des soins psychiatriques en milieu carcéral en France et en Europe

En France, dès 1958, le Code de procédure pénale aborde dans ses articles D 395, D 396 et D 397, la notion de services psychiatriques : 4 Prisonnier dominant, il détient tous les droits dans la cellule et le codétenu doit s’y soumettre pour éviter des sévices corporels. 11 – Article D 395 : des consultations d’hygiène mentale peuvent être organisées dans chaque maison d’arrêt. – Article D 396 : les détenus peuvent, sur leur consentement écrit et après l’avis conforme du médecin, être soumis à une cure de désintoxication alcoolique avant leur libération. – Article D 397 : des services psychiatriques sont organisés dans certains établissements pénitentiaires sous l’autorité médicale d’un psychiatre désigné par le ministre de la Justice, sur proposition du directeur régional et après l’avis du préfet. Les détenus écroués dans les dits établissements sont soumis à un examen mental systématique de dépistage et, s’il y a lieu, placés en observation au service psychiatrique (Manzanera C, 2004). En ce qui concerne le cadre administratif de l’exercice de la psychiatrie en milieu carcéral en Europe, la France se positionne en modèle et précurseur. Ainsi, plusieurs dispositifs ont vu le jour et ont subi des remaniements. 

L’établissement du « programme 13000 » avec les établissements à gestion partiellement déléguée (EGPD)

Il a aboutie à la création de 13000 places de prisons en 1987 par le ministère de la justice. Ici, la psychiatrie y est en situation intermédiaire et est nettement mieux lotie que dans les conventions avec les équipes de secteurs qui interviennent en milieu pénitentiaire et beaucoup moins que dans les prisons où existe un service médico psychologique régional (SMPR) (Manzanera C, 2004). Au début de la décennie 90 en France, 21 établissements pénitentiaires dont le mode de gestion était tout à fait nouveau, ont donc refermé leurs portes sur 13 000 détenus. Alors que l’Administration Pénitentiaire conserve toute son autorité sur les personnels de direction, de surveillance, de greffe, d’insertion et de probation, des entreprises privées se voient déléguer des compétences pour gérer la maintenance des locaux, l’alimentation des détenus, la blanchisserie, les ateliers où travaillent les prisonniers… et la santé au sein de l’établissement. Ces EGPD inaugurent en fait, dans les prisons françaises, un système de surveillance sanitaire et une organisation des soins en rupture complète avec les usages antérieurs. Il existe un changement symbolique fort. La démarche antérieure à l’institution des EGPD et à la loi de 1994 était une démarche de dispensaire. Aujourd’hui, on découvre une structure médicale indépendante de l’autorité pénitentiaire disposant de moyens renforcés. L’administration n’intervient plus dans le recrutement, le statut, l’exercice professionnel, la rémunération et l’avancement des personnels soignants. Tous ces éléments sont aux mains des sociétés qui ont passé un contrat avec le Ministère de la Justice à l’issue d’un marché public assorti d’un cahier des charges précis. II s’ensuit une véritable petite « révolution » pour les détenus d’abord, et ensuite pour les corps de surveillants, les personnels soignants qui étaient antérieurement employés par l’administration pénitentiaire et les personnels de direction. L’infirmerie devient le centre de diagnostic et de traitement ; les médecins et les infirmiers organisent sous leur unique responsabilité les consultations, les soins aux malades, la distribution des médicaments, la surveillance de l’état de santé des détenus. Une véritable politique de santé publique, dégagée des contraintes administratives traditionnelles, commence à voir le jour et l’expérience de ces EGPD inspirera le ton et le contenu de la loi de Janvier 1994 qui assied l’autonomie du corps de santé dans tous les établissements pénitentiaires (Bergoignan-Esper C, 2009)

Table des matières

Introduction
1. Généralités
1.1. Installation de la psychiatrie en milieu carcéral (historique)
1.2. L’impact psychique de l’incarcération
1.3. Les différents systèmes d’organisation des soins psychiatriques en milieu carcéral en France et en Europe
1.3.1. L’établissement du « programme 13000 » avec les établissements à gestion partiellement déléguée
1.3.2. Les services médicopsychologiques régionaux (SMPR)
1.3.3. Les conventions avec les secteurs de psychiatrie ou unités de consultations et de soins ambulatoires
(UCSA)
1.3.4. Les unités d’hospitalisation spécialement aménagées (UHSA)
1.3.5. Les autres systèmes européens
1.4. Le cas de Ziguinchor (Sénégal)
2. Objectifs
2.1. Objectif général
2.2. Objectifs spécifiques
3. Méthodologie
3.1. Cadre de l’étude
3.2. Période de l’étude
3.3. Type de l’étude
3.4. Population de l’étude
3.5. Méthode d’étude
3.6. Contraintes
3.7. Considérations éthiques
4. Observations et commentaires
5. Discussion
Conclusion
Références

 

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