Atteintes multisystémiques de la DM1

La DM1 est une maladie neuromusculaire qui affecte de multiples systèmes. La présente section détaille les principales atteintes de cette maladie [9]. À tour de rôle, y seront explorés l’affaiblissement et la perte musculaire, les troubles neuropsychologiques, les atteintes du système endocrinien, les troubles gastrointestinaux, les atteintes cardiaques, les atteintes oculaires, les troubles respiratoires, la myotonie et les atteintes du système immunitaire.

Affaiblissement et perte musculaire

La forme classique de DM1 (phénotype d’apparition à l’âge adulte) a, pour principale caractéristique, l’atteinte musculaire [15]. Cette atteinte se caractérise par de la détresse musculaire avec myotonie, une perte de masse musculaire progressive et un affaiblissement musculaire progressif [15]. La faiblesse musculaire commence par affecter les muscles distaux et, à mesure que la maladie progresse, elle peut également affecter les muscles proximaux et axiaux [14, 15]. Une atrophie musculaire se produisant préférentiellement dans les fibres musculaires de type 1 ainsi qu’une perte sélective de fibres musculaires de type 2, dépendant probablement des muscles étudiés par biopsie et de la sévérité du stade de la maladie, ont également été rapportées [15, 23].

Loro et al. [24] ont entrepris une recherche visant à étudier la différentiation de myoblastes primaires (cellules musculaires primaires satellites progénitrices sans cytoplasme) humains de personnes atteintes de DM1. Pour ce faire, ils ont tout d’abord créé des cultures cellulaires à partir de biopsies de muscles squelettiques de cinq individus en santé, de six patients atteints de la forme adulte de la DM1 et de deux patients souffrant de la forme congénitale de la DM1, les patients atteints de DM1 se situant à différents degrés d’atteintes de la pathologie [24]. Par la suite, Loro et al. [24] ont testé les cultures à différents moments de leur différentiation afin d’évaluer leur potentiel myogénique et la présence de marqueurs associés à la DM1, soit le nombre de foci et d’altérations de l’épissage. Ils ont également investigué plusieurs voies cataboliques, soit l’expression des ligases à ubiquitines atrogin-1 et MuRF-1 (protéines impliquées dans les mécanismes de catabolisme protéique et d’atrophie musculaire) ainsi que l’apoptose et l’autophagie dans les myotubes (cellules musculaires présentes dans les muscles en développement et issues des myoblastes) bien différentiés [25- 28]. Les résultats de leurs travaux ont démontré que les myoblastes primaires des patients atteints de DM1 (forme adulte ou congénitale) ont des capacités de fusion, de différentiation et de maturation normales [24].

Ce n’est donc pas la capacité de se régénérer des cellules musculaires des individus atteints de DM1 qui est en cause dans la perte et l’affaiblissement musculaire de ces personnes [24]. Dans plusieurs maladies neuromusculaires, telles que la DMD, la dystrophie musculaire de Becker, la dystrophie musculaire des ceintures ainsi que dans les dystrophies musculaires congénitales, le développement et le maintien de l’intégrité des fibres musculaires sont affectés par la production de dystrophine [29]. La dystrophine est une protéine liant le cytosquelette de l’actine au dystroglycane, un composé transmembranaire [29]. Une recherche visant à étudier l’intégrité des membranes cellulaires réalisée sur des modèles de souris atteintes de DM1 et de souris de type sauvage a démontré que, bien qu’un épissage anormal de la dystrophine puisse être observé chez les souris avec DM1, l’expression et l’emplacement de la dystrophine demeurent normaux chez ces dernières [30]. Dans leur étude, Gonzalès-Barriga et al. [30], ont vérifié l’expression de la dystrophine par immunohistochimie (utilisation des techniques d’immunofluorescence ou de révélation des antigènes intracellulaires par des anticorps marqués par des enzymes pour détecter des molécule définies à l’intérieur de cellules fixées à des fins d’histologie) dans les muscles des souris avec DM1 ayant fait de l’exercice et l’ont comparé avec l’expression de la dystrophine chez les souris de type sauvage [27]. À l’exception de quelques fibres révertants (fibres mutantes retournées à une forme antérieure), aucune trace de dystrophine n’avait été détectée chez les souris avec DM1 lors de l’étude de Gonzalès-Barriga et al. [30, 31]. Cette étude impliquerait donc que les membranes cellulaires des individus aux prises avec la DM1 sont intactes et que ce n’est pas une atteinte des membranes qui expliqueraient la perte et l’affaiblissement musculaire propres à cette maladie [24, 30]. In vivo, la rétention du transcrit dystrophia myotonica protein kinase en expansion dans le loci ribonucléaire est associée à la mauvaise régulation de l’épissage alternatif [21]. Cette régulation altérée de l’épissage alternatif ne conduit pas à la production d’une protéine mutante, mais mène plutôt à l’expression de produits d’épissages inappropriés pour un tissu donné [21]. Chez les personnes atteintes de DM1, ces débalancements de l’épissage se produisent dans les cellules musculaires différenciées et dans les cellules musculaires non différenciées [21].

L’étude de Loro et al. [24] mentionnée précédemment a également permis de constater que, dans la DM1, plus l’expansion de la séquence mutante (CTG)n est grande, plus les cellules musculaires se livrent à l’autophagie. D’ailleurs, au cours de leur recherche, Loro et al. ont observé une réduction statistique de 30 % (P<0.01) de la largeur des myotubes des personnes atteintes de DM1 et présentant donc une expansion (CTG)n par rapport aux myotubes du groupe témoin après 12 à 15 jours de différentiation. De plus, une réduction statistique de 16 % du nombre de myotubes des individus souffrant de DM1 par rapport à ceux du groupe témoin a été observée au cours de cette recherche. L’autophagie observée dans la DN1 est déclenchée dans le but d’éliminer les protéines et organites toxiques, afin de maintenir la viabilité cellulaire  [24]. Toutefois, même si l’autophagie peut agir en tant que système de survie, elle peut également réduire la masse musculaire en raison de son activité protéolytique [24]. L’apoptose qui correspond à une mort cellulaire programmée est également observée dans la DM1 [24]. La combinaison de l’autophagie et de l’apoptose représenterait donc l’élément clé dans la pathogénèse musculaire progressive de la DM1 [24]. Le stress oxydatif et la mauvaise régulation de l’équilibre calcique seraient sans doute également impliqués [21].

Troubles neuropsychologiques

Les personnes aux prises avec la DM1 peuvent souffrir à divers degrés de symptômes neuropsychologiques, soit un retard mental, une dysfonction des fonctions exécutives, des troubles de la personnalité évitante, de la fatigue et un sommeil diurne excessif [23, 32]. La pathogénèse des atteintes du système nerveux central chez ces patients n’est pas, à ce jour, tout à fait claire [33]. Or, il est à noter que la dégénérescence neurofibrillaire, avec accumulation intra neuronale de protéines tau et avec des microtubules anormalement modifiés, a été démontrée dans le cerveau de ces personnes [33]. L’expression aberrante de la protéine tau, en raison d’un dérèglement de l’épissage alternatif, a été prouvée dans la DM1, permettant une variété de maladies neurodégénératives nommées tautopathies [33]. De plus, des lésions de la matière blanche localisées dans les lobes temporaux antérieurs sont une caractéristique typique de la DM1 [33]. La déconnection des régions corticales, par des changements dans la matière blanche qui les lie est un mécanisme potentiel pour les dysfonctions cognitives dans des maladies neurologiques variées [33]. Cette déconnection pourrait être responsable des symptômes affectant le système nerveux central dans la DM1 [33]. L’atteinte de la matière blanche dans la DM1 serait progressive dans le temps [33].

Le sommeil diurne excessif apparaît comme une des plaintes les plus fréquentes de la part des personnes souffrant de DM1 en ce qui concerne les atteintes non musculaires de cette maladie [32]. Le sommeil diurne, dans les cas de DM1, se caractérise par une somnolence persistante et un grand besoin de dormir [32]. Cette somnolence se produit dans des situations monotones ou lorsque l’attention n’est pas soutenue et est aggravée par le repos [32]. Cette somnolence est améliorée par le sommeil [32]. Outre le sommeil diurne excessif, tel que mentionné précédemment, les personnes avec DM1 peuvent souffrir de fatigue [23]. Contrairement au sommeil diurne, cette fatigue ne conduit pas à un endormissement rapide dans le cadre de siestes au cours de la journée [32]. Les symptômes de cette fatigue comprennent une altération de la concentration et de la mémoire, un manque de motivation et une impression de faible énergie, tous partiellement améliorés par le repos [32]. La réalisation de tâches physiques ou mentales peut générer de la fatigue [23]. En effet, il existe deux types distincts de fatigue dans la DM1, soit la fatigue périphérique due à l’atrophie des fibres musculaires et la fatigue centrale induite par l’atrophie du cortex ainsi que par des lésions de la matière blanche [23]. C’est ce dernier type de fatigue qui constitue une des atteintes neuropsychologiques de la DM1. L’apnée du sommeil et l’hypoventilation alvéolaire pouvant résulter de la faiblesse des muscles oropharyngés et respiratoires ainsi que la fragmentation du sommeil ont, par le passé, été considérés comme des causes potentielles du sommeil diurne excessif et de la fatigue rencontrés chez les individus avec DM1 [23]. Bien que ces facteurs puissent avoir un impact sur le sommeil diurne et la fatigue des personnes avec DM1, l’évidence scientifique tend de plus en plus à démontrer que ce serait le dysfonctionnement de la régulation du sommeil par le système nerveux central qui serait principalement responsable de la somnolence et de la fatigue dans la DM1 [23, 32]. Un plus grand nombre de répétitions du trinucléotide CTG représente un facteur de risque confirmé en ce qui a trait à la sévérité de l’atteinte du système nerveux central [23]. Toutefois, l’importance de la fatigue des personnes avec DM1 n’est pas corrélée à l’affaiblissement et à la perte musculaire [23, 32].

Si on se fie aux résultats des travaux de Winblad et al.[34], la dépression clinique légère à modérée constituerait un des symptômes psychologiques rencontrés chez près du tiers des personnes atteintes de DM1 [34]. L’étude de Winblad et al. [34] avait pour objectifs de décrire et d’évaluer l’occurrence de la dépression chez les patients avec DM1 ainsi que d’explorer les corrélations entre les symptômes cliniques, génétiques et neurocognitifs de la DM1 et la dépression. Les participants de cette étude étaient âgés de 18 à 65 ans et incluaient 31patients souffrant des phénotypes adulte ou léger de la DM1 ainsi que 47 patients souffrant d’autres maladies neuromusculaires (atrophie musculaire spinale (n=13), dystrophie musculaire des ceintures (n=14) et dystrophie facio-scapulo-humérale (n=20)) en guise de groupe clinique de contraste [34]. Winblad et al. [34] ont évalué les symptômes de la dépression des participants en leur faisant compléter le Beck Depression Inventory, soit un questionnaire d’auto-évaluation de la dépression. L’évaluation neuropsychologiquue de cette étude comprenait des tests des habiletés verbales, de la fluidité verbale, de la construction et de la mémoire visuelle, de la mémoire verbale, de la vitesse, de l’attention et de la fonction exécutive [34]. Le fonctionnement cérébral des participants a été examiné grâce à l’imagerie par résonnance magnétique et à la mesure du liquide cérébrospinal, soit deux marqueurs de la dégénération neuronale et de l’amyloïdogenèse [34].

Les résultats de l’étude de Winblad et al. [34] ont identifié une dépression clinique chez 32 % des participants avec DM1, ce qui est significativement plus élevé qu’auprès des individus du groupe de contraste pour lesquels une dépression clinique a été identifiée chez seulement de 2 à 5 % des participants. Cette étude a également déterminé qu’il ne semble pas y avoir de corrélation entre l’atteinte de la matière blanche observée dans la DM1 et l’état dépressif [34]. D’ailleurs les résultats de l’étude de Winblad et al. [34] indiquent une corrélation négative significative entre la durée de la maladie et les résultats obtenus au Beck Depression Inventory (rs = -.426, P < 0.02). La dépression chez les personne avec DM1 s’avère donc plus marquée en début de maladie alors que l’atteinte de la matière blanche s’aggrave avec le temps [34]. Il est également intéressant de souligner que, selon les travaux de Winbald et al. [34], les individus avec DM1 présentant le plus de dommages au cerveau seraient moins susceptibles de souffrir de la dépression. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que les personnes ayant subi une atteinte cérébrale plus grave se rendent moins compte de leur maladie et de ses impacts [34]. En effet, la dépression en début de maladie et lors de l’annonce du diagnostic pourrait être réactionnelle à la prise de conscience de la DM1 et de ses impacts sur la vie de l’individu [34]. Dans un même ordre d’idée, les résultats de cette même étude ont également révélé une corrélation positive entre le nombre d’années d’éducation et les résultats au Beck Depression Inventory (rs = .44, P < 0.02), révélant une prévalence de la dépression plus élevée chez les gens atteints de DM1 ayant un plus haut niveau d’éducation [34]. Cette plus haute prévalence de la dépression chez les personnes avec DM1 plus éduquées pourrait s’expliquer par l’écart que vivent ces personnes entre leur vie souhaitée et leur vie réelle en raison de la pathologie [34]. Un fait important à souligner concernant la dépression et la DM1 est qu’il existe un chevauchement important entre les symptômes de la dépression et ceux propres à la DM1 [34]. Effectivement, l’apathie, l’initiative réduite et la fatigue sont des manifestations propres à la DM1 pouvant également se rencontrer dans la dépression et qui peuvent faussement conduire à un diagnostic de dépression chez les personnes atteintes de DM1 [34]. Inversement, la dépression pourrait représenter un facteur contribuant à la fatigue des personnes souffrant de DM1 [23, 32] .

Table des matières

CHAPITRE 1 – INTRODUCTION
CHAPITRE 2 – LA DYSTROPHIE MYOTONIQUE DE TYPE 1
2.1 – Épidémiologie
2.2 – Génétique
2.3 – Fondements moléculaires de la DM1
2.4 – Histoire naturelle de la DM1
2.5 – Atteintes multisystémiques de la DM1
2.5.1 – Affaiblissement et perte musculaire
2.5.2 – Troubles neuropsychologiques
2.5.3 – Atteintes du système endocrinien
2.5.4 – Troubles gastro-intestinaux
2.5.5 – Atteintes cardiaques
2.5.6 – Atteintes oculaires
2.5.7 – Troubles respiratoires
2.5.8 – Myotonie
2.5.9 – Atteintes du système immunitaire
2.6 – Aspects psychosociaux dans la DM1
2.7 – Conclusion
CHAPITRE 3 – LA NUTRITION ET LA DYSTROPHIE MYOTONIQUE DE TYPE1
3.1 – Rôle de la nutrition dans le maintien de la santé et dans le contexte des maladies neuromusculaires
3.2 – Dénutrition protéino-énergétique et maladies neuromusculaires
3.3 – Embonpoint, obésité, problèmes métaboliques et maladies neuromusculaires
3.4 – Dépense énergétique réduite, sédentarité et maladies neuromusculaires
3.5 – Carences en micronutriments, apport insuffisant en fruits et légumes et DM1
3.6 – Statut socioéconomique, malnutrition et DM1
3.7– Atteintes de la DM1 et nutrition inadéquate
3.8 – Conclusion
CHAPITRE 4 – OBJECTIFS ET HYPOTHÈSES
4.1 – Les connaissances relatives aux habitudes alimentaires et au statut nutritionnel des personnes aux
prises avec la DM1
4.2 – Objectifs et hypothèses
CHAPITRE 5 – ARTICLE SCIENTIFIQUE
CHAPITRE 6 – CONCLUSION

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