Catalogue d’interférences anglais-français

Catalogue d’interférences anglais-français

Discussion méthodologique : choix et principes généraux utilisés

L’anglais comme L2

Nous avons choisi de travailler sur l’anglais, pour au moins deux raisons, la première étant d’ordre institutionnel et la seconde, d’ordre linguistique. On constate tout d’abord une prédominance de l’enseignement de l’anglais dans le premier degré. Pendant l’année scolaire 1999-2000, la proportion d’élèves apprenant l’anglais dans le primaire était de 79,8 % contre 15,2 % pour l’allemand, 2,4 % pour l’espagnol et 1,3 % pour l’italien. Qui plus est, la tendance est au recul pour ces trois dernières langues (respectivement 15,8 %, 2,8% et 1,5% en 99-20001 ). Par ailleurs, on trouve cette prédominance dans toutes les académies, sauf celles de Strasbourg et de Nancy. Ce pourcentage ne fait que confirmer la tendance nationale au niveau du secondaire et la tendance européenne (82,7 % des classes de l’Union étaient concernées par l’enseignement de l’anglais en 1991-92). Dans ces conditions, il était donc beaucoup plus simple de trouver des classes en apprentissage précoce de l’anglais. Mais le choix de l’anglais s’explique surtout par ses caractéristiques phonétiques. Si cette langue est relativement proche du français du point de vue du vocabulaire et de l’ordre des mots, il n’en va pas de même en ce qui concerne la prononciation. Les deux langues possèdent des systèmes très différents. Alors que la rythmicité de l’anglais repose sur une tendance accentuelle (Pike, 1946), celle du français repose sur une tendance syllabique. Cette différence de structuration rythmique engendre un régime de tension musculaire très différent, qui conditionne directement la prononciation des voyelles et en particulier la stabilité de leur timbre. Par ailleurs, on pourrait qualifier l’anglais de langue « musicale » car elle se caractérise par de fortes variations de hauteur et d’intensité et elle couvre une large tessiture (plus de deux octaves selon Ginésy, 1995 : 223). Du point de vue descriptif, Faure (1962) a souligné la richesse mélodique de l’anglais : « cette richesse mélodique, à laquelle on a rarement accordé toute l’attention qu’elle mérite, est encore plus frappante lorsqu’on la compare aux ressources correspondantes d’autres langues modernes, comme par exemple, le français ou l’allemand ».Cette musicalité frappe d’ailleurs l’oreille de l’apprenant francophone : « nous avons de nombreuses fois entendu les réflexions de nos apprenants français qui, captant une multitude de contrastes sur les syllabes en anglais, ressentent la langue anglaise comme une langue qui « chante » et « accentue » » (Scott, 1987 : 135). Enfin, le système vocalique de l’anglais est plus riche que celui du français en ce sens qu’il contient plus de contrastes (26 contre 16) et que certains de ces contrastes, les diphtongues et les triphtongues n’existent pas en français.

Une théorie de l’interférence : du connu vers l’inconnu

L’attitude qui consiste à analyser l’inconnu à partir du connu est tout à fait naturelle et nous portons des « préjugés », c’est-à-dire que nous appliquons les règles de fonctionnement de ce que l’on connaît à ce que l’on ne connaît pas. Dans un premier temps, nous avons besoin de ces préjugés, car ils nous permettent d’interpréter le monde à la lumière de ce que nous en savons et par la même, de nous adapter à lui. Le problème fondamental, c’est que nous n’avons pas conscience que la réalité que nous percevons est une construction établie à partir de la structure de notre propre système, autrement dit que cette réalité est filtrée par notre propre système perceptif. Ainsi, lorsqu’on se trouve confronté à une langue étrangère, on la compare intuitivement à sa LM. En effet, l’expérience a forgé un ensemble d’attentes perceptives (Lhote, 1995 : 48) et d’habitudes articulatoires qui ont permis l’acquisition de la LM, mais qui se montrent inadaptées au traitement et à la production d’une langue étrangère, surtout dans le cas où la langue cible est très éloignée de la LM (comme c’est le cas pour l’anglais et le français). Comme le souligne Troubetzkoy dès 1949 : « l’homme s’approprie le système de sa langue maternelle. Mais s’il entend parler une autre langue, il emploie involontairement pour l’analyse de ce qu’il entend, le « crible phonologique »  de sa langue maternelle qui lui est familier. Et comme ce crible ne convient pas pour la langue étrangère entendue, il se produit de nombreuses erreurs et incompréhensions. Les sons de la langue étrangère reçoivent une interprétation phonologiquement inexacte, puisqu’on les fait passer par le « crible phonologique » de sa propre langue » (Troubetzkoy, 1949 : 54). Cet effet de filtrage est particulièrement puissant, puisqu’il provoque chez l’apprenant une surdité sélective, une surdité dite « phonologique » aux sons de la langue étrangère.  Précisons que lorsque l’on parle de « surdité », on ne fait pas référence à un déficit d’audition, mais à une réorganisation perceptive en faveur de la LM. Tous les sons ne sont pas égaux devant cet « effet de filtrage » (Ostiguy et al., 1996 : 79) : certains sont assimilés purement et simplement aux sons de la LM en raison de leur similitudes de timbre ; « on parlera alors de transfert négatif ou d’interférence lorsque l’apprenant va se servir en L2 d’un élément de L1 qu’il croit identique alors que celui-ci est différent » (Guimbretière, 1994 : 17). D’autres sont analysés comme des exemplaires déviants, d’autres comme des sons différents, d’autres enfin comme des sons non linguistiques. Pour classer ces différences, Best propose un modèle d’assimilation perceptive, le PAM (« Perceptual Assimilation Model ») (1988, 1993), qui part du principe que, lorsque les différences entre les phonèmes de la langue étrangère et ceux de la LM sont claires, la discrimination est facilitée. Le modèle propose six cas de figure dans la discrimination d’une paire de phonèmes non natifs (les contrastes UU et UC ont été rajoutés au modèle en 1993) : 1. Les deux phonèmes sont assimilés à deux phonèmes différents de la LM. Dans ce cas, la discrimination est excellente (« Two-Category, TC »). 2. Les deux phonèmes sont assimilés à un seul phonème de la LM, mais divergent de l’ « idéal natif » (l’un est acceptable et l’autre, considéré comme déviant). Comme ils sont différenciés, leur discrimination est modérée, voire bonne (« Category-Goodness Difference, CG »). 3. Les deux phonèmes sont assimilés à un seul phonème de la LM et divergent tous les deux de l’« idéal natif ». L’auditeur ne fait pas de différence entre les deux contrastes et la discrimination est très pauvre (« Single-Category, SC »).4. Les deux phonèmes ne sont pas catégorisables par l’auditeur, car ils tombent en dehors de l’espace phonétique familier. Dans ce cas, la discrimination est modérée, voire très pauvre (« Both Uncategorizable, UU »). 5. L’un des deux phonèmes est assimilé à un phonème natif et l’autre tombe dans un espace phonétique non familier, en dehors des catégories natives. Leur discrimination est très bonne (« Uncategorized vs. Categorized, UC »). 6. Les deux phonèmes tombent en dehors du domaine du langage et sont considérés comme des sons n’appartenant pas à la parole. Leur discrimination est bonne, voire très bonne (« Non-Assimilable, NA »). Les auditeurs adultes perçoivent donc les phonèmes étrangers par rapport à la structure des phonèmes appartenant à leur LM. Ces phénomènes de crible sont d’une importance capitale pour la prononciation de la langue cible : en effet, on ne peut pas produire correctement des sons qu’on perçoit mal ou qu’on ne perçoit pas : « ce qu’on appelle l’« accent étranger » ne dépend pas du fait que l’étranger en question ne peut pas prononcer un certain son, mais plutôt du fait qu’il n’apprécie pas correctement ce son. Et cette fausse appréciation des sons d’une langue étrangère est conditionnée par la différence existant entre la structure phonologique de la langue étrangère et celle de la langue maternelle du sujet parlant » (Troubetzkoy, 1949 : 56). La notion de crible phonologique se réfère essentiellement au niveau segmental. En ce qui concerne le niveau prosodique, Delattre (1965) parle d’« interférences d’intonation » et De Bot (1986), de « transferts intonatifs ». Nous préférons parler de crible prosodique, de manière à englober les interférences d’ordre rythmique, qui vont également provoquer des erreurs graves,  comme nous le verrons plus loin (voir 2.2.1.). Les interférences prosodiques sont peut être les plus difficiles à combattre. En effet, l’organisation rythmique et intonative de la LM est tellement ancrée, tellement naturelle, car première dans l’ordre d’acquisition, qu’elle en devient « transparente » pour le locuteur : la plupart du temps, il n’a pas conscience de la façon dont il accentue et module ses énoncés, alors qu’il a en partie conscience de la façon dont il prononce les éléments segmentaux. Les locuteurs sont totalement imprégnés par la rythmique de leur LM et s’ils ne sont pas sensibilisés aux différences prosodiques dont nous venons de parler, ils appliqueront le patron rythmique et intonatif de leur LM à la LE, sans en avoir la moindre conscience. La surdité prosodique est donc très puissante et il est très difficile de s’en affranchir, d’échapper à des automatismes d’autant plus installés qu’ils charpentent l’ensemble de la langue.

Nécessité d’une étude contrastive

Pour connaître les interférences qui se produiront entre deux langues, il est nécessaire de connaître le système de la langue cible et celui de la LM. Pour arriver à cette connaissance, on peut faire une analyse fine et détaillée de chacun de ces système. La description prosodique et segmentale est actuellement poussée, comme en témoigne la sortie récente de plusieurs ouvrages et articles consacrés au français (Lacheret-Dujour et Beaugendre, 1999 ; Rossi, 1999 ; Di Cristo, 1999) et à l’anglais (Hirst, 1998 ; Montreuil, 2001). En effet, ces deux langues sont parmi les plus abondamment décrites. Cependant, une analyse comparative permettra de limiter la description, en mettant uniquement en lumière les points d’achoppement entre les deux langues. Ce type d’analyse « contrastive » (on parle également d’analyse différentielle) est né aux Etats-Unis dans les années 50. D’après Lado (1957), il repose sur le principe qu’en situation d’apprentissage, lorsque deux langues sont en contact, il peut y avoir deux sortes de transferts : • soit un transfert positif, si les caractéristiques de la langue cible ressemblent à celles de la langue source ; dans ce cas, l’apprentissage de la langue cible sera facilité ; • soit un transfert négatif, si les caractéristiques de la langue cible divergent par rapport à celles de la langues source ; dans ce cas, l’apprentissage de la langue cible sera gêné. Du point de vue de l’apprenant, cette approche est très intéressante, car elle permet de prédire les erreurs qu’il pourrait produire. Le principal danger reste de relever plus d’erreurs potentielles que l’apprenant n’en produira réellement, notamment au niveau du lexique et de la grammaire. Cependant, l’analyse contrastive s’avère particulièrement adaptée à la prédiction des interférences de type phonétique. Par ailleurs, d’après Léon et Martin (1971 : 37), l’enseignement de l’intonation suppose une analyse préalable, comparative, de la langue de départ et de la langue d’arrivée.Il existe des études comparatives pour l’anglais et le français, à commencer par celles de Delattre (1965) s’intéressant aux deux niveaux, prosodique et phonémique. D’autres qui ne s’occupent que d’intonation (Delattre, 1961 ; Pritchard, 1985 ; Grover et al., 1987 ) ou que de segmental. Certains manuels à destination des apprenants francophones sont fondés sur une analyse comparative de l’anglais par rapport au français pour la totalité du système (Faure, 1948 ; Adamczewski et al., 1973 ; Ostiguy et al., 1996).

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