Cavitation acoustique dans l’eau pure

Cavitation acoustique dans l’eau pure

Introduction

 L’eau sur terre a un statut particulier. Par exemple, la vie primitive y a trouvé un refuge avant l’apparition de la couche d’ozone, l’eau absorbant les rayonnements solaires les plus nocifs. L’eau est également le constituant principal d’un ˆetre humain adulte : 60% de sa masse corporelle. De manière plus générale, l’eau est la condition à toute vie connue, terrestre ou non. Sur terre, elle est présente dans ses trois phases (liquide, solide, vapeur), et c’est un des seuls liquides inorganiques naturels (on peut citer également la lave qui est un liquide minéral). Par rapport aux liquides naturels, les molécules d’eau présentent la propriété particulière de pouvoir ˆetre liées entre elles par les liaisons hydrogène, rendues possible par les doublets électroniques de l’atome d’oxygène (l’angle H–O–H est de 104.5o et la distance O–H typique dans l’eau de 1 ˚A). Ces liaisons sont à l’origine d’un réseau quasi-tétraédrique entre molécules d’eau voisines (voir Fig. 1.1), ce qui fournit une cohésion supplémentaire au système et donne des propriétés uniques à la physique et à la chimie de l’eau. Les conséquences de l’existence des liaisons hydrogène sont visibles à l’échelle macroscopique : la phase solide possède la particularité d’ˆetre moins dense que la phase liquide (les icebergs flottent !) ; la masse volumique diminue lorsqu’on descend la température en dessous de 4oC (sous 1 bar). La disposition des liaisons hydrogène, liées à la liaison de valence associée, est directionnelle : les atomes O–H· · ·H sont alignés. Cela permet une architecture moléculaire très bien définie à courte distance. Mais l’énergie de formation de la liaison hydrogène est de l’ordre de celle des fluctuations thermiques à 27oC, ce qui leur donne une grande souplesse. En combinant cet effet avec la forte polarité de la molécule d’eau, on obtient un solvant quasi-universel. Pour cette raison l’eau, comme solvant, est vitale en biologie o`u certaines réactions n’ont lieu qu’en solution, comme dans le cytoplasme ou le sang. Inversement, la purification de l’eau est un problème à part entière. Lors d’une transition du premier ordre entre deux phases, l’apparition de   la phase thermodynamiquement la plus stable nécessite le franchissement d’une barrière d’énergie. Ceci est dˆu au coˆut énergétique de la création d’une interface entre les deux phases. Par conséquent, si on chauffe le liquide jusqu’à dépasser la température d’ébullition (100oC sous 1 atmosphère) l’apparition de la vapeur, pourtant plus stable, n’est pas immédiate. Ainsi le liquide peut dépasser cette température, il est alors métastable. Mais cet état est transitoire, les fluctuations thermiques finissant par faire apparaître la phase stable, c’est alors la nucléation. On appelle cavitation, la nucléation de vapeur à partir de la phase liquide métastable. Lorsqu’on abaisse la température du liquide sous la température de solidification, il est surfondu. Lorsqu’on augmente la température du liquide au dessus de la température d’ébullition il est surchauffé et lorsqu’on détend la pression du liquide sous la pression de vaporisation, le liquide est sous tension. Une des principales difficultés à l’observation de la métastabilité dans l’eau est la présence d’impuretés. Ces impuretés (particules, parois, gaz dissous. . .) peuvent former des sites favorables qui facilitent la cavitation. Dans ce cas, on n’observe pas la limite intrinsèque de métastabilité de l’eau et on parle alors de nucléation hétérogène. Au contraire si l’on s’affranchit de la présence d’impuretés, la nucléation ne dépend que des fluctuations thermiques, elle est alors dite 9 homogène. Dans l’eau sous pression atmosphérique, la limite de stabilité en surfusion (dans de petits volumes, des gouttes de 1 à 10 µm de diamètre, ce qui diminue la probabilité de présence d’une impureté) est de -41.2oC. L’eau peut également ˆetre surchauffée jusqu’à 280oC, voir 302oC dans une expérience de chauffage pulsé [8]. Cette gamme (-41.2 à 280oC) s’étend sur plus de trois fois la zone de stabilité, de 0 à 100oC. La cavitation est un phénomène que l’on rencontre couramment. Un exemple est la présence de bulles derrière l’hélice d’un bateau : la vitesse des écoulements détend l’eau localement (c’est l’effet Bernoulli). Si la vitesse de rotation est suffisante, on voit des bulles se former sur ou derrière les pales, typiquement à des pressions de quelques bars négatifs. Elles peuvent rendre visible l’écoulement du fluide dans le sillage de l’hélice ou l’endommager en s’effondrant à son contact. Ce qui est un inconvénient pour les hélices de bateau a été mis à profit pour le nettoyage de surface à l’aide d’ultra-sons. Sous certaines conditions, l’effondrement d’une bulle peut générer des flashs lumineux indiquant une température de plusieurs milliers de degrés. La sonoluminescence peut ˆetre contrˆolée en manipulant une bulle unique et stable dans une onde ultrasonore stationnaire [2], et l’intensité du flash peut ˆetre augmentée en for¸cant l’effondrement de la bulle avec une onde supplémentaire à plus haute fréquence [3]. Le règne animal peut aussi utiliser les propriétés de la cavitation : la crevette Alpheus heterochaelis (ou Cardon) en est un exemple. Elle possède une grosse pince à détente qui lui sert à tuer ses proies, de bouclier et parfois mˆeme de moyen de communication. En se fermant violemment, la pince crée un jet d’eau qui détend le liquide au point de le déchirer et de nucléer une bulle. L’effondrement de la bulle produit un claquement bruyant, qui peut atteindre 200 dB lorsque la population est importante. On peut aussi observer de l’eau métastable dans la nature : les cirrus, des nuages de haute altitude sont composés de gouttelettes, qui grˆace à leurs petits diamètres (1 à 10 µm) sont surfondues à des températures de -37.5oC [1]. Il existe d’autres types de nuages qui contiennent également de l’eau surfondue en grande quantité mais à des températures moins extrˆemes. Dans ces nuages les gouttelettes surfondues jouent un rˆole dans la pluie et les phénomènes électriques. On trouve un exemple d’eau sous tension dans l’ascension de la sève des arbres dans les canaux du xylème. Le moteur de l’ascension est l’évaporation de la sève au niveau des feuilles. Ainsi le liquide est aspiré par le haut, et toute la colonne de liquide tire sur la sève jusqu’en haut de l’arbre. La pression dans la sève en haut de l’arbre diminue lorsque la taille de l’arbre augmente. Dans le cas de l’eau, une élévation de 10.33 m diminue la pression d’une atmosphère. Or il est courant de rencontrer des arbres plus grands, o`u le liquide est donc détendu au point d’ˆetre sous tension. Les séquo¨ıas peuvent atteindre des hauteurs de plus de 140 mètres,   la pression de la sève en haut de l’arbre est alors de -13 bar. Cette pression négative est encore amplifiée par les pertes visqueuses et en cas de sécheresse, par le déséquilibre hydrique entre l’arbre et l’environnement proche. Des expériences en laboratoire ont permis d’atteindre dans la sève des tensions de -35 bar [4] et [5]. Le liquide étant sous tension, il peut apparaître une bulle par cavitation dans le canal (phénomène d’embolie), ce qui le rend inopérant. La première observation d’eau sous tension référencée a été communiquée à la Royal Society of London en 1662 par Huygens. L’expérience consistait à remplir d’eau une fiole et à la plonger renversée dans l’eau d’un autre récipient. L’air du récipient est alors pompé, et l’eau est mise sous sa pression de vapeur. Ainsi l’eau au sommet de la fiole subit la traction de la colonne de liquide entre le haut de la fiole et la surface libre du récipient. Sa pression est alors inférieure à la pression de vapeur saturante, l’eau est métastable, et pourtant Huygens a pu observer que l’eau reste liquide au sommet de la fiole. Cette expérience a été reproduite avec des colonnes d’esprit de vin et de mercure, atteignant avec ce dernier une hauteur de 1.87 mètre (75 pouces) soit -2.5 bar au sommet de la colonne. En 1805, Laplace en appendice de son ouvrage, Mécanique céleste, apporte les bases de l’interprétation de ce phénomène en introduisant la tension de surface, comme la différence d’énergie entre deux systèmes, l’un avec une interface, et l’autre sans. Au 19ème siècle, une expérience analogue à celle de Huygens a été réalisée par Donny [6] en 1846, alors que Berthelot [30] (en 1850) et Reynolds [24] (en 1878) redécouvrent indépendamment la métastabilité de l’eau liquide sous tension. Leurs méthodes, complètement différentes, sont encore aujourd’hui de puissants outils expérimentaux pour l’exploration des pressions négatives. Berthelot a mis l’eau sous tension en utilisant la variation de densité du liquide avec la température, dans un système isochore (une fiole entièrement remplie d’eau). Reynolds a mis au point une expérience de capillaire tournant o`u l’eau est détendue par la force centrifuge. On trouvera une revue de ces expériences historiques ref.

Diagramme de phase de l’eau 

Les propriétés de l’eau liquide ont été mesurées de manière extensive dans son domaine de stabilité et mˆeme un peu au delà, par exemple, pour l’eau surfondue 13 14 CHAPITRE 2. BILANS (voir § 2.1.1). La forme de la limite de métastabilité de l’eau liquide sous tension à température ambiante reste discutée, et pourrait, selon certains auteurs, ˆetre reliée aux anomalies de l’eau surfondue (voir § 2.1.2). La motivation de ce travail est de déterminer expérimentalement cette forme (voir § 2.1.3). 

 Diagramme de phase de l’eau 

Les lignes d’équilibre entre phases ne sont pas toujours des frontières d’instabilité. Dans le cas d’une transition du premier ordre, une phase peut exister en dehors de son domaine de stabilité, décrit par les lignes d’équilibres entre les phases de la Fig. 2.1. Cette phase se retrouve alors dans un état de métastabilité. Fig. 2.1 – Diagramme de phase de l’eau, avec C le Point Critique (373,8oC, 220 bar), T le Point Triple (0oC, 6 mbar), les lignes d’équilibres Liquide / Gaz (LG), Liquide / Solide (LS), S est la ligne spinodale ; MD est la ligne de maximum de densité, dans la zone A : α < 0 et dans la zone B : α > 0. La nucléation de la phase stable requiert le franchissement d’une barrière d’énergie Eb, dont l’origine est la tension de surface (on verra au § 2.2 comment la calculer). La phase métastable est stable pour de petites perturbations, jusqu’à ce que les fluctuations thermiques soient suffisantes pour la surmonter. C’est, par exemple, le cas de l’eau liquide sous tension (qui n’est pas vaporisée malgré une pression inférieure à la pression de vapeur saturante) ou de l’eau surchauffée (qui n’est pas vaporisée malgré une température supérieure à la température d’équilibre). Mais lorsqu’on s’éloigne de la courbe d’équilibre, le système devient de plus 2.1. DIAGRAMME DE PHASE DE L’EAU 15 en plus métastable, Eb diminue. De plus, il existe une ligne d’instabilité totale, la ligne spinodale (ligne S de la Fig. 2.1) o`u Eb s’annule. Cette limite est définie par la divergence de la compressibilité κT = − 1 V ∂V ∂P )T , o`u le liquide devient macroscopiquement instable. L’eau constitue un liquide exotique car le coefficient de dilatation thermique isobare αP = 1 V ∂V ∂T )P change de signe : la densité de l’eau n’est pas une fonction monotone de la température. Il existe donc un maximum de densité (ligne MD), à 4oC sous 1 atmosphère, représenté par la courbe α = 0. Comme on le verra, l’existence de cette courbe peut amener des comportements de la spinodale que l’on n’observe pas dans les fluides dont la densité varie avec la température de manière monotone. 2.1.2 Lignes spinodales de Speedy et Yamada L’eau peut également ˆetre maintenue liquide dans un état métastable à des températures inférieures à l’équilibre liquide / solide. Elle est alors surfondue, la température la plus basse atteinte étant de -42oC sous 1 bar (voir Ref. [9], [8] et [7]). Les paramètres thermodynamiques (tels que le coefficient de dilatation thermique, la capacité calorifique. . .) varient alors fortement (voir Ref. [8]), ce que l’on peut interpréter comme un début de divergence. S C Pression Fig. 2.2 – Fig. (a), le minimum de la spinodale prévu par Speedy à l’hypothétique croisement de la ligne α = 0 et de la spinodale. Fig. (b), la ligne α = 0 simulée par Yamada, qui ne rencontre pas la spinodale et rebrousse chemin Une telle divergence pourrait s’expliquer par l’existence d’une ligne d’instabilité Liquide / Solide postulée par R.J. Speedy (Ref. [10]) dans les années 70. Cette ligne serait la continuation de la spinodale Liquide / Vapeur, qui présenterait un minimum vers 40oC (voir Fig. 2.2). En effet, Speedy a montré que ce comportement était rendu possible par l’existence d’une ligne de Maximum de Densité (α = 0) dans la phase liquide (voir § 2.1.1) : il existe un minimum si et seulement si la ligne α = 0 rencontre la spinodale.   De plus, nous savons que la compressibilité diverge à la limite spinodale, c’est à dire que κT → +∞ lorsque P → Ps, et que 1 Vs dVs dT est fini. Ainsi de l’Eq. 2.4 il vient que α dPs/dT → +∞, c’est à dire que α et dPS dT doivent ˆetre du mˆeme signe. En conséquence, si la ligne α = 0 rencontre la spinodale, alors la pente de PS(T) change de signe à l’intersection. Ainsi, la conclusion théorique de l’hypothétique intersection de la courbe α = 0 et de la spinodale de transition de phase Liquide / Vapeur est un minimum de la courbe Ps(T). Ce type de comportement a déjà été observé dans l’hélium 3 [11]. Ps(T) pourrait ainsi remonter vers l’hypothétique ligne d’instabilité Liquide / Solide (voir Fig. 2.2). Cette hypothèse est soutenue par l’extrapolation de l’équation d’état de l’eau à pression négative, à partir des mesures effectuées entre 0 à 100 MPa, mais contredite par les expériences de Taborek [12] dans des micro-goutelettes en surfusion : l’observation du taux de nucléation en fonction de la température ne fait pas apparaître de singularité ou d’inflexion malgré des mesures menées jusqu’à -38oC. Au début des années 90, Poole et al (Ref. [13]) ont lié les anomalies de l’eau surfondue avec la découverte de deux types de glace amorphe, à haute et basse densité. Ils ont proposé que dPS dT reste positif et que la ligne MD rebrousse chemin : dans ce modèle, la ligne spinodale ne rencontre pas la ligne MD. Un argument en faveur de cette hypothèse a été apporté par Yamada et al. (Ref. [14]) avec des simulations numériques de dynamique moléculaire et du potentiel inter-moléculaire TIP5P. Ils trouvent une spinodale monotone, qui ne rencontre jamais la ligne MD (voir Fig. 2.2). Dans ce cas, il apparaît un nouveau point critique dans la zone de surfusion, avec une ligne d’équilibre entre deux types d’eau liquide à basse et haute densité. Ce type de point critique a depuis été observé dans différents liquides : le triphenyl phosphite (TPP) et le n-butanol [15]. Ce modèle est soutenu par des mesures de la ligne de mélange de la glace IV métastable, voir Ref. [16], qui montre un changement de pente aux environs de son intersection avec l’hypothétique ligne d’équilibre Liquide / Liquide. Récemment, une signature expérimentale de cette transition a été obtenue pour de l’eau confinée à l’état de monocouche dans du verre de silice poreux (Vycor) [17]. Au début des années 2000, apparaît un troisième scénario [18]. Dans celui-ci, il n’existe plus de singularité, la ligne de maximum de densité ferme un espace o`u α < 0, et elle ne rencontre pas la spinodale qui n’a pas de minimum. On trouvera Ref. [8] une description exhaustive des différents modèles.

Table des matières

1 Introduction
2 Bilans
2.1 Diagramme de phase de l’eau
2.1.1 Diagramme de phase de l’eau
2.1.2 Lignes spinodales de Speedy et Yamada
2.1.3 Enjeux et motivations
2.2 Théorie de la cavitation
2.2.1 Modèle de paroi mince
2.2.2 Notion de spinodale et limite du modèle à paroi mince
2.2.3 Taux de nucléation
2.2.4 Statistique de la cavitation
2.3 Bilan expérimental .
2.3.1 Centrifugation
2.3.2 Méthodes acoustiques
2.3.3 Méthode isochore
2.3.4 Conclusion
3 Dispositif
3.1 Principes
3.1.1 Générer et focaliser une onde acoustique pulsée
3.1.2 Dispositif électrique
3.1.3 Cellule en pression thermostatée
3.1.4 L’eau
3.2 Cavitation
3.2.1 Méthodes de Détection
3.2.2 Statistiques
3.2.3 Acquisition d’une courbe en S
3.3 Caractérisation de la céramique
3.3.1 Etude à l’hydrophone ´
3.3.2 Tension et Fréquence
3.4 Calibration par la méthode de variation de pression statique
4 Résultats expérimentaux
4.1 Cellule en Pression
4.1.1 Etude en Pression
4.1.2 Etude en Température
4.1.3 Comparaison des résultats avec les expériences antérieures
4.2 Reproductibilité de Pcav
4.2.1 Pendant une série
4.2.2 Séries successives avec l’eau ultra-pure ELGA
4.2.3 D’autres eaux
4.3 Impuretés et statistiques
4.3.1 Des impuretés de quels types ?
4.3.2 Raideur ξ des courbes en S
4.3.3 (ξ(P))T
4.3.4 D’autres eaux
4.3.5 Discussion sur la concentration des impuretés de Types 1 et 2
4.3.6 Sensibilité aux germes de nucléation.
4.4 Estimation de Pspin et incidence sur l’équation d’état
5 D’autres liquides
5.1 Méthodes .
5.1.1 Conditions expérimentales
5.1.2 Dégazage et remplissage
5.2 Résultats
5.2.1 Ethanol
5.2.2 Chloroforme
5.2.3 DMSO
5.3 Conclusion .
6 Conclusion
Bibliographie
A Anomalies
B Cavitation à haute fréquence

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