Chronologie des épidémies de la tordeuse des bourgeons de l’épinette au nord de sa distribution

La tordeuse des bourgeons de l’épinette (Choristoneura fumiferana [Clem.]), ou TBE de son acronyme est un insecte défoliateur indigène de l’Amérique du Nord (Martineau 1985). Considéré comme l’insecte perturbateur le plus important des peuplements de conifère de l’est de l’Amérique du Nord (Morin 1998; Jardon et al. 2003; Simard et Payette 2003), la tordeuse fait partie intégrante de la dynamique régissant la forêt boréale canadienne (Candau et Fleming 2011). Bien que son hôte privilégié soit le sapin baumier (Abies balsamea), on recense également l’épinette noire (Picea mariana), l’épinette blanche (Picea glauca) ainsi que l’épinette rouge (Picea rubens) parmi les espèces affectées (Blais 1957; Candau et Fleming 2011; Gray 2013). Cette préférence pour le sapin baumier semble s’expliquer par le synchronisme qui existe entre le débourrement de ce dernier et la phase importante d’alimentation des larves de la TBE (Blais 1957; Nealis et Régnière 2004). Les larves de la tordeuse migrent dès le début du printemps vers le bout des branches afin de s’y alimenter (Nealis et Régnière 2004; Candau et Fleming 2011). Elles s’intéressent d’abord aux fleurs staminées de l’année en cours puis aux feuillages des années précédentes ce qui leur permet de patienter jusqu’à l’ouverture des bourgeons printaniers puis l’apparition du feuillage annuel (Martineau 1985). Les chenilles se tissent ensuite un abri parmi celui-ci et y restent jusqu’à ce qu’il soit entièrement dévoré (Rose et Lindquist 1994; Nealis et Régnière 2004). Contrairement à ce qui fut initialement avancé, la TBE ne se propage pas à partir d’un foyer d’infestation, elle est plutôt présente sur l’ensemble de son aire de distribution à des niveaux endémique (Morin 1998). L’effectif de la population atteint des niveaux épidémiques selon un cycle de 30 à 40 ans (Blais 1983b; Morin et Laprise 1990; Jardon et al. 2003; Boulanger et Arseneault 2004). Durant ces périodes, les arbres hôtes sont continuellement défoliés sur une période pouvant s’échelonner de 5 à 25 ans (Boulanger et Arseneault 2004). Cette destruction systématique de la biomasse photosynthétique entraine d’abord une réduction de la croissance radiale, puis une augmentation de la mortalité des peuplements affectés (Boulanger et Arseneault 2004).

On étudie la présence et la dispersion des épidémies de la tordeuse des bourgeons de l’épinette à l’aide d’une multitude de techniques et d’outils. Plus récemment, les épidémies sont documentées à l’aide des relevés aériens effectués par le Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs depuis 1968. Ces relevés ont, entre autres, permis de documenter l’actuelle épidémie débutée en 2005. Cette dernière affecte majoritairement la région de la Côte-Nord, du Saguenay-Lac-Saint-Jean, de l’Abitibi Témiscamingue, du BasSaint-Laurent et de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine (Ministère des forêts de la Faune et des Parcs 2014a). La période épidémique 1977 1988 ayant d’abord été observée dans le sud-est de l’Ontatio et le sud-ouest du Québec (Jardon 2001; Boulanger et Arseneault 2004) est également documentée par ces relevés.

La dendrochronologie est également utilisée afin d’étudier la présence et la dispersion des épidémies. Cette méthode permet, suite à l’analyse des mesures de largeurs de cernes de croissance, de construire des chronologies. On identifie ensuite les épidémies potentielles sur ces courbes à l’aide des réductions importantes de croissances distinctives en U ou en V (Blais 1962; Jardon 2001; Morin et al. 2010). Les chronologies sont ensuite habituellement comparées à une courbe d’espèces non-hôtes, localisées dans la même région, qui est utilisée comme contrôle climatique et environnemental (Swetnam et al. 1985). Dans l’éventualité où il s’agit effectivement d’une épidémie, on ne retrouvera pas ce patron en U ou en V sur la courbe d’arbres non-hôtes. À l’inverse, on l’observera lorsqu’il s’agit plutôt d’un autre type de perturbation comme un évènement climatique défavorable à la croissance. La dendrochronologie sur arbres vivants nous permet d’identifier, pour l’est de l’Amérique du Nord, deux périodes épidémiques supplémentaires à celles documentées par les relevées de défoliation aériens (Martineau 1985). La plus récente épidémie (1944-1953) a d’abord été observée dans l’est de l’Ontario et la seconde (1909-1923) dans le sud-ouest du Québec (Simard et Payette 2001; Jardon et al. 2003; Boulanger et Arseneault 2004). La longévité des essences les plus touchées par ces infestations est plutôt limitée (le sapin baumier (Abies balsamea), l’épinette blanche (Picea glauca), l’épinette rouge (Picea rubens) et l’épinette noire (Picea mariana) ont respectivement une durée de vie maximale de 150, 200, 300 et 200 ans (Ressources naturelles Canada 2015)). Il est donc ardu d’obtenir une chronologie de plus de 200 ans à partir de matériel vivant.

Des méthodes paléoécologiques telles que la dendrochronologie sur arbres subfossiles sont donc utilisées afin de reconstruire l’historique des épidémies sur une plus grande étendue temporelle. Par exemple, il est possible d’utiliser des tiges enfouies dans les tourbières (Dang et Lieffers 1989; Arseneault et Payette 1997; Arseneault et Sirois 2004; Wilmking et Myers-Smith 2008; Simard et al. 2011). Il est également possible d’utiliser du matériel provenant de vieux bâtiments comme les églises ou les vieilles maisons, comme c’est le cas dans l’étude effectuée par Krause (1997), Boulanger et Arseneault (2004) et Boulanger et al. (2012). Ces techniques ont permis d’identifier six autres périodes épidémiques potentielles (1872-1903, 1807-1817, 1754-1765, 1706-1717, 1664-1670, 1630-1638) (Boulanger et al. 2012). Arseneault et al. (2013) ont perfectionnés une méthode permettant de construire des chronologies millénaires pour la forêt boréale. L’Amérique du Nord se caractérise par une forte présence de lacs et la zone littorale de ces derniers accumule pendant plusieurs centaines d’années les troncs des arbres qui les bordent (Gennaretti et al. 2014). Les tiges y sont généralement bien conservées et peuvent être retirées des lacs afin de mener des analyses dendrochronologiques. Cette technique pourrait permettre de plus longues reconstructions pour les épidémies d’insectes ravageurs (Arseneault et al. 2013).

On observe un changement majeur dans la dynamique des épidémies depuis le début du 20e siècle (Jardon et al. 2003). Elles ont une vitesse plus rapide de propagation, une plus forte intensité ainsi qu’un synchronisme plus grand comparativement à ce qui est connu de celles des siècles précédents (Jardon 2001; Boulanger et al. 2012; Navarro 2013). L’épidémie actuellement en cours sur la Côte-Nord (Ministère des forêts de la Faune et des Parcs 2014a) est d’une intensité inhabituellement élevée pour cette région. La zone nordique de la distribution de la tordeuse est habituellement affectée lorsque les épidémies au sud du Québec sont de très fortes intensités pourtant, ce n’est pas le cas pour celle débutée en 2005.

Les épidémies du centre du Québec sont bien documentées et de nombreuses chronologies d’arbres vivants et fossiles ont été construites. Plusieurs sont rassemblées dans les travaux de Boulanger et al. (2012). Cependant, il n’existe pas de longue chronologie pour la zone nordique de la distribution de la tordeuse. Blais (1983a) a documenté cette région à l’aide de relevés aériens de défoliation et d’analyses dendrochronologiques sur les arbres vivants. Il observe une diminution de la croissance sur tous les échantillons pour l’épidémie de 1977-1980. Seulement quatre échantillons indiquent une réduction pour celle des années cinquante alors que l’épidémie de 1910 n’avait pas été enregistrée sur la Côte-Nord. Selon Blais (1983a) cela « indique que par le passé, la Côte-Nord n’offrait pas des conditions très propices » à la propagation de la tordeuse. Les travaux de Bouchard et Pothier (2010) identifient également sur la Côte-Nord des épidémies pour la période de 1950 et 1980. Les réductions de croissance des arbres hôtes suggèrent également des épidémies pour les périodes de 1915 et 1880. La méthode paléoécologique des arbres subfossiles situés dans la zone littorale des lacs (Arseneault et al. 2013) a été privilégiée afin de construire une longue chronologie des épidémies de la TBE et donc de documenter davantage la dynamique des épidémies de cette région. Cependant, comme l’indique Swetnam et al. (1985) un site idéal d’échantillonnage présente des arbres hôtes et non-hôtes. Le paysage forestier de la région de la Côte-Nord est dominé par des espèces d’arbres hôtes. Une méthode alternative aux chronologies d’espèces non-hôtes est donc de mise pour identifier les potentielles épidémies de la TBE. Selon Simard et al. (2008) le contenu isotopique en ¹³C des cernes de croissance présente un bon potentiel comme indicateur des épidémies de la tordeuse des bourgeons de l’épinette.

En effet, la défoliation par les chenilles de la TBE, et donc la diminution de surface photosynthétique (Kozlowski 1969), déséquilibre le rapport entre la source (appareil photosynthétique) et le puits (carbone nécessaire à la croissance) de l’arbre défolié (Thomson et al. 2002). Lors du processus de photosynthèse, du carbone atmosphérique est fixé sous forme de CO2 (Salisbury et Ross 1992; Raven et al. 2008). Ce carbone se présente sous forme de deux isotopes stables soit le ¹²C et le ¹³C. Cependant, le ¹²C est favorisé lors du processus de fixation puisqu’il possède un proton de moins que le ¹³C (Farquhar et al.1982). Lorsque le taux de photosynthèse augmente suite à une perturbation (Reich et al. 1993; Vanderklein et Reich 1999; Chen et al. 2001; Lavigne et al. 2001; Little et al. 2003), le taux d’assimilation du CO2 est également augmenté (Turnbull et al. 2007). Ce phénomène favorise l’assimilation du carbone sous toutes ses formes isotopiques stables, indépendamment de leur nombre de protons ( 13C ou ¹²C) (Farquhar et al. 1982). On observe alors un enrichissement isotopique en ¹³C pour le cerne de croissance de l’année affectée par la défoliation comparativement aux années précédentes. La signature isotopique δ ¹³C, soit le ratio d’isotope stable ¹³C/¹²C exprimé en partie par mille, s’en voit donc augmentée.

Table des matières

1. INTRODUCTION
1.1 OBJECTIF
1.2 HYPOTHÈSE
2. MATÉRIELS ET MÉTHODES
2.1 Site d’étude
2.2 Choix du site d’étude
2.3 Échantillonnage
2.4 Préparation des échantillons
2.5 Interdatation
2.6 Standardisation
2.7 Analyses isotopiques
2.8 Analyses statistiques
3. RÉSULTATS
3.1 Chronologie
3.1.1 Le 21e siècle
3.1.2 Le 20e siècle et siècles précédents
3.2 Isotope C13
4. DISCUSSION
4.1 Chronologie
4.1.1 Le 21e siècle
4.1.2 Le 20e siècle et siècles précédents
4.2 Isotope
5. CONCLUSION

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