Clinique de l’infertilité dans le champ médical

De tout temps et dans toutes les cultures, l’infertilité fut perçue comme une forme de malédiction. L’enseignement de Françoise Héritier, anthropologue, est précieux et nous enseigne à ce sujet. Elle nous explique que toutes les sociétés humaines reposent sur l’exigence de la reproduction. Ainsi, les manières de faire avec la non-advenue de l’enfant désiré ont évoluées dans le temps, elles sont propres à une époque et à une culture donnée. Pendant des siècles l’enfant est ce qui donne une identité à la femme : en la faisant mère. La femme stérile est souvent « méprisée » car sa situation ferait d’elle « un être inachevé, incomplet, totalement déficient » .

Comme le souligne Françoise Héritier en analysant l’exemple de la société Samo au BurkinaFaso : « La femme stérile n’est pas considérée comme une vraie femme, lo ; elle mourra suru, c’est-à-dire jeune fille immature, et sera inhumée dans le cimetière des enfants, sans que les griots tapent pour elle, lors de ses funérailles, les grands tambours qu’on utilise que pour honorer les femmes fécondes. » Pour l’ensemble des êtres humains, il apparaît que l’impossibilité à procréer naturellement est vécue comme une blessure narcissique.

Une blessure que les individus sont de moins en moins enclins à accepter dans nos sociétés occidentales contemporaines. Ce qui fait dire à Geneviève Delaisi de Parseval que cette blessure « est très connotée, pas tellement sur le registre social (dangerosité, marginalité) comme c’est le cas dans les cultures traditionnelles, mais dans un registre plus « négatif » encore, car on y reste plus facilement coincé : c’est celui du corps. » L’infertilité convoque la question du rapport au corps car c’est en lui même que le sujet rencontre un point de butée dans la réalisation de son désir. Un rapport au corps qui a évolué sous l’égide des discours de la science et du capitalisme, ce qui induit de nouvelles manières de faire avec ce « symptôme » infertilité. De nos jours, la question de l’infertilité est l’affaire de la médecine. L’Autre médical est à la fois convoqué dans sa position de savoir et dans sa capacité à mettre en œuvre des techniques médico-biologiques pour remédier à cette situation potentiellement génératrice d’une souffrance. La médecine se propose de porter « assistance » / « aide » aux couples en mal d’enfant.

Ainsi, les techniques d’AMP ont, depuis une trentaine d’années, opéré un bouleversement dans le rapport au corps et à la maternité. Les naissances par fécondations in vitro de Louise Brown au Royaume Uni en 1978 et d’Amandine en France en 1982 ont ouvert l’accès et favorisées l’essor de la PMA. Ces premières FIV concernaient principalement des problématiques féminines d’obstruction des trompes. Depuis, les techniques se sont développées en permettant de répondre à des problématiques d’infertilités très diverses et notamment aux infertilités masculines sévères avec la FIV dite ICSI qui est apparue en Belgique en 1991 (1994 en France). A la suite de la naissance d’Amandine, les politiques français ont souhaité la création d’un comité consultatif national d’éthique (CCNE). Une des missions du CCNE est de réfléchir sur les sujets complexes issus de la rencontre entre la recherche biomédicale et l’évolution de la société. Une réflexion bioéthique est donc engagée car, avec l’avènement de la FIV, l’embryon humain devenait pour la première fois accessible à l’investigation scientifique, une limite était donc franchie. En France, les pratiques d’AMP ont pour spécificité d’être encadrées de manière très rigoureuse par ces lois de bioéthique qui s’appuient sur les avis du CCNE. Ce comité est sans équivalent dans le monde, dans les autres pays c’est l’exécutif qui statue directement sur ces questions. La première loi de bioéthique a été promulguée le 29 juillet 1994, cette loi est notamment relative « au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal » et elle se trouve être une des plus restrictive d’Europe. Cette loi stipule notamment que l’AMP est réservée aux couples hétérosexuels, vivants, en âge de procréer, mariés ou pouvant attester d’une vie conjugale de plus de deux ans. Elle a été révisée et enrichie depuis à plusieurs reprises en 2004 et en 2011. A l’heure où nous écrivons ces lignes une nouvelle révision de cette loi est en cours d’examen à l’assemblée nationale (dans l’objectif de promulguer une nouvelle loi bioéthique début 2020), avec l’enjeu très médiatisé de l’ouverture de l’AMP à toutes les femmes (le CCNE ayant rendu un avis favorable en ce sens). L’évolution de la loi devrait également permettre aux femmes d’effectuer une autoconservation de leurs ovocytes en dehors des problématiques médicales pouvant conduire à une altération de la fertilité (l’endométriose sévère entre dans ce cadre). Ce petit détour nous permet d’indiquer à quel point la pratique de l’AMP est un domaine régulé par la loi. La pratique de l’AMP est, à l’heure actuelle, au cœur des débats et enjeux de sociétés.

Les arguments pour, ou contre, l’extension de la PMA aux femmes seules et aux couples homosexuelles s’affichent dans les médias et divisent les individus. Des personnalités comme Jacques Testart, biologiste qui portait l’exploit de la naissance d’Amandine (premier « bébé éprouvette » français), s’est décalé pour des raisons éthiques personnelles (il posera un moratoire de ses travaux de recherche en septembre 1986). Il s’oppose désormais aux développements de ces techniques de procréation par peur de certaines dérives sociétales. Il évoque que son « combat » se situe sur deux aspects : « L’eugénisme, avec tout ce qu’il comporte de vente de parties du corps humain, de gamètes, de location d’utérus, et surtout de sélection des embryons ; et la démocratie. Le transhumanisme est au carrefour des deux : il prêche le développement sans limites de la technologie, y compris dans la procréation ; en même temps, ses « avancées » s’imposent sans qu’on demande leur avis aux gens. » .

Jacques Testart repère bien que son discours fait un peu exception notamment dans son domaine de connaissance : « Encore une fois, je suis amené à tenir le rôle du vilain petit canard. » dit-il. « Quasiment seul à côté d’une troupe d’intégristes catholiques, je critique depuis longtemps les exigences des bons docteurs qui prennent les femmes et les homos en otages pour accroître leurs pouvoirs. Deux choses me peinent en cette affaire : la confusion fréquente entre mes positions et celles de certains réactionnaires d’une part, et l’hébétude de ceux dont je suis le plus proche dans la vraie vie d’autre part. Gauchiste athée depuis le début, je suis attristé de la perte de repères humanistes qui fait prendre aux gens de gauche, ou aux écolos, les vessies de l’aliénation à la biomédecine pour les lanternes résistantes des Lumières  » (Testart, 2016).

Cette tribune, parue dans Mediapart, faisait référence à un « manifeste pour accompagner le désir d’enfant » intitulé « Mettons fin aux incohérences de la politique d’aide à la procréation » signé par 130 médecins et biologistes publié dans Le Monde le18 mars 2016. Ce manifeste semble aller dans le sens de l’opinion qui voit d’un œil favorable une évolution de la loi et supprimant le critère « pathologique» pour bénéficier d’une AMP. Ce projet est posé comme une mesure d’égalité entre les femmes. La philosophe Chantal Delsol s’interroge « pourquoi créer des enfants privés volontairement de père ? ». Elle explique que la liberté individuelle doit être limitée par notre responsabilité (collective). En outre, dans une forme de mise en garde, elle énonce « Si vous enlevez le père dans les maisons, vous devrez mettre des policiers dans les lycées, et vous aurez fabriqué des sujets. » .

Table des matières

INTRODUCTION
1 LA FEMME ENDOMETRIOSIQUE INFERTILE. Revue de littérature
1.1 L’infertilité, une problématique complexe
1.1.1 Définitions et épidémiologie
1.1.2 Infertilité et vie psychique
1.2 L’assistance médicale à la procréation : une réponse médico-biologique à l’infertilité
1.2.1 Maîtrise du corps reproducteur, jusqu’au hors-corps
1.2.2 Dimension psychologique du vécu de l’AMP
1.3 L’endométriose, « une maladie énigmatique, multifactorielle et multidimensionnelle »
1.4 Liens entre endométriose et infertilité
1.5 Les recherches actuelles en psychologie et psychopathologie
2 LES TRAITEMENTS DU CORPS INFERTILE : LA MEDECINE PROCREATIVE De l’avènement de la médecine scientifique à l’AMP
2.1 Le corps comme objet d’une construction de « ça-voir » : regard et transparence en médecine contemporaine
2.2 Considérations sur la femme en médecine : la figure de la femme gynécologique
2.2.1 La découverte de l’anatomie féminine
2.2.2 La femme et l’hystérie
2.2.3 Penser la femme en médecine contemporaine
2.3 Clivages et disjonctions entre sexualité et procréation
2.3.1 L’essor des biotechnologies
2.3.2 Les biotechnologies de la procréation
3 LE CORPS AU FEMININ L’énigme du féminin
3.1 Féminité et sexualité
3.1.1 Version freudienne de la sexualité féminine
3.1.2 Le « pas tout » phallique chez Lacan : féminin et jouissance Autre
3.2 Féminité et maternité
3.2.1 Le désir d’enfant
3.2.2 Les enjeux psychiques du « Être mère » pour la femme
CONCLUSION

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