Comment développer une démarche qualité sans exercer d’autorité dans un établissement psychiatrique?

Comment développer une démarche qualité sans exercer d’autorité dans un établissement psychiatrique?

Introduction

 

Les pressions réglementaires s’exerçant sur les établissements de santé (l’ordonnance du 24 avril 1996 rendant obligatoire la procédure d’accréditation), la montée en puissance des usagers, la volonté des directions hospitalières d’approfondir la coordination entre les professionnels de santé ont pour conséquence le développement tout azimut des « démarches qualité ».L’objectif « améliorer la qualité et la sécurité des soins » est suffisamment imprécis pour être spontanément partagé par tous les professionnels de santé. Il sous-entend qu’il est utile de modifier certaines pratiques des professionnels de l’établissement. La méthode  pour arriver à cette fin paraît, quant à elle, plus incertaine.Il s’agit en l’occurrence de mettre en place une organisation, un système qui permette de conduire de façon coordonné des projets visant à améliorer notre aptitude à satisfaire des exigences, celles des patients principalement redéfinies à travers le référentiel del’ANAES, et à préparer l’établissement à la procédure d’accréditation conduite par l’ANAES.La complexité de la tâche tient à la fois au caractère abstrait de la notion de qualité et de projet qualité, et à la particularité des organisations hospitalières dont les caractéristiques (faiblesse structurelle des directions, autonomie des services) sont accentuées dans un établissement psychiatrique et parisien.Dès lors comment mettre en œuvre une ambitieuse démarche de changement de certaines pratiques ?Comment repérer les pratiques à changer ?Comment conduire les actions de changements alors même qu’elles touchent parfois aux pratiques de professionnels difficile à contrôler ?La mise en œuvre d’une démarche projet adaptée au contexte local permet de dépasser le problème de l’absence d’autorité hiérarchique afin d’implanter une nouvelle logique de management. Cette logique, en accroissant la légitimité de la direction à évaluer et faire évaluer les pratiques des professionnels et à coordonner les processus de soins, aboutit in fine, à un renforcement de ses capacités d’action sur l’institution

Le problème – l’absence d’autorité pour développer une démarche qualité

De quoi parle-t-on ? le management de la qualité fait référence à divers concepts. L’autorité est conçue comme le pouvoir hiérarchique.

 

  •         Le management de la qualité fait référence à divers concepts.

 

La qualité dans les établissements de santé a été définie en 1997 par l’Organisation Mondiale de la Santé comme «  une démarche qui doit permettre de garantir à chaque patient  l’assortiment d’actes diagnostiques et thérapeutiques qui leur assurera le meilleur résultat en termes de santé, conformément à l’état actuel de la science médicale, au meilleur coût pour un même résultat, au moindre risque iatrogène et sa grande satisfaction, en termes de procédures, de résultat et de contacts humains à l’intérieur du système de soins ».

La sécurité des actes suppose l’analyse des processus et l’approche de l’organisation par chaînes étendues ; la recherche du meilleur résultat au meilleur coût implique une démarche d’autoévaluation, d’amélioration continue et la mesure des résultats à l’aide d’indicateurs. Evoquer la mise en œuvre d’une démarche qualité ou le management de la qualité fait donc référence à plusieurs concepts qui visent à guider l’action des responsables qualité au sein d’une organisation.

  •                   La formalisation des processus et l’approche de l’organisation par chaînes étendues (étapes d’un flux).

Une activité hospitalière peut être conçue comme un ensemble d’étapes (le circuit du patient en consultation externe par exemple) qui impliquent des personnes (secrétariats médicaux, agents administratifs de caisse, médecins), des équipements (imagerie, informatique), des méthodes (diagnostic, circuit) et de l’information (les résultats d’examen, la codification des actes, les données d’identification du patient). La formalisation du processus permet de définir et de standardiser la pratique adéquate.

 

 

  •                   L’évaluation de la qualité c’est-à-dire de «l’aptitude d’un ensemble de caractéristiques intrinsèques à satisfaire des exigences[1] ».

Les exigences sont notamment traduites à travers les référentiels du manuel d’accréditation de l’ANAES. La priorité est donnée au « client » qu’il soit le patient, sa famille, le personnel, ou les correspondants extérieurs. Des processus sont définis pour répondre aux exigences. L’évaluation des pratiques et des comportements au regard des processus, standards ou des référentiels par les personnes chargées de les appliquer permet de repérer les dysfonctionnements, de valoriser les points forts et de corriger les maillons faibles.

  •         L’amélioration continue des pratiques et processus.

Il s’agit d’analyser la validité des pratiques pour rapprocher l’existant du standard. Il s’agit également de vérifier les standards, les processus en place pour en améliorer les étapes au regard des effets attendus. Cette analyse périodique et régulière, le contrôle qualité, peut se faire par audit, inspection, ou autoévaluation.

 

  •         L’utilisation d’indicateurs.

Afin de mesurer l’évolution de la qualité d’un processus, il est nécessaire d’établir des éléments de mesure. C’est l’évolution des indicateurs ou leur comparaison avec d’autres qui permettent la mise en œuvre d’actions correctrices.

Le système qualité est l’ensemble des moyens mis en place pour permettre la bonne utilisation et pour coordonner l’application de ces concepts aux activités de l’établissement.

  •         L’autorité est conçue comme le pouvoir hiérarchique

Elle représente ici le pouvoir hiérarchique exclusivement, c’est-à-dire la puissance légitime. Or la Direction n’a pas le pouvoir hiérarchique sur les chefs de service. L’autorité ne représente ici ni les règles, ni le « pouvoir symbolique » c’est-à-dire l’ascendant psychologique, l’influence résultant de l’estime .

Le projet : réorganiser le système qualité de l’établissement pour permettre l’amélioration des pratiques et la préparation à l’accréditation.

 

La mission confiée au Directeur de la Clientèle et de la Qualité par le Directeur est l’organisation et la conduite d’une démarche qualité permettant l’amélioration des pratiques, la satisfaction des « clients » et la préparation à la procédure d’accréditation.

Le projet a débuté à la fin de l’année 2000. L’accréditation, étape intermédiaire est prévue pour le second semestre 2004. Le projet constituant la recherche d’un idéal, la perfection, sa fin n’est pas définie dans le temps.

L’environnement : un établissement parisien spécialisé en psychiatrie et neurosciences

 

  •         Le CH Sainte-Anne est un établissement de 1000 lits et places, 2500 agents dont les 2/3 du budget sont consacrés à la discipline psychiatrique et 1/3 aux neurosciences (neurologie, neurochirurgie, neuro-réanimation).
  •         Il se caractérise par :
  •         sa dispersion (1 site central, 20 structures extrahospitalières) ;
  •         son parisianisme : les services (universitaires ou non) sont « renommés». Leur chefferie est parfois considérée comme « le nec plus ultra » des carrières psychiatriques réussies ;
  •         « l’égocentrisme » des services : l ’intérêt des services prime sur l ’intérêt de l ’établissement. Une culture de service forte (cf. enquête projet social : 65% des agents déclarent appartenir d’abord à un service et après à l’institution).

Les acteurs et leur positionnement

 

  •         La direction générale :

Objectifs du Directeur :

Le directeur définit deux objectifs généraux :

réorganiser et relancer la démarche qualité afin que l’établissement satisfasse à la procédure d’accréditation et que les recommandation ssoient le plus minimes possible;

 améliorer la performance de l’établissement, la qualité et la sécurité des soins prodigués.

Positionnement du Directeur :

Il souhaite réussir personnellement à Sainte-Anne, établissement dont le corps médical est fort réputé et les syndicats sont réputés forts, et réussir à moderniser l’établissement pour accéder à un poste de plus grande envergure encore (CHU, APHP…). Il essaie de ne pas être aux services des intérêts individuels.

Atouts :

Ancien consultant, il a des relations directes avec le ministère ce qui lui permet de défendre l’établissement plus facilement. Il est de plus parfaitement implanté dans la profession, et entretient une bonne entente avec le président de la CME.

 

  •         La direction de la Clientèle (relations avec les usagers) et de la Qualité :

Objectifs de la Direction Qualité et de son pôle qualité :

La Direction de la Clientèle et de la Qualité a pour objectifs de répondre aux exigences de la direction en matière de mise en place d’un système qualité efficient, d’assurer l’accréditation de l’établissement, et de diffuser la culture qualité dans les services.

Positionnement :

La fonction de directeur de la clientèle et de la qualité est valorisante par rapport au corps médical. En effet, cette fonction permet la mise en œuvre de dosser dont l’intérêt est commun entre la direction et le corps médical : développement des partenariats et organisation des filières de soins, développement des actions d’amélioration de la qualité.

Atouts :

Le directeur de la Clientèle et de la Qualité dispose d’une formation spécialisée, est assisté d’un ingénieur qualité expérimenté et a la connaissance de l’historique de la démarche qualité dans l’établissement.

 

  •         Les professionnels médecins

Objectifs des services :

Il s’agit pour les responsables de services de profiter de cette nouvelle obligation pour améliorer la qualité des soins prodigués aux patients et renforcer de la sorte l’attractivité de leurs services dans la discipline exercée.

 

Positionnement des professionnels :

Parfois dubitatifs, certains chefs de service perçoivent a priori la démarche qualité comme un « gadget ».

La mise en œuvre d’une écoute-client leur semble peu appropriée en psychiatrie. « M Lauret, ne m ’envoyez pas les questionnaires de satisfaction des patients. Je vous rappelle qu ’ils sont fous ». L ’intérêt particulier du service est prioritaire par rapport à celui de l’établissement.

Atouts :

Les médecins titulaires s’inscrivent dans la durée (rares sont ceux qui quittent l’établissement avant la retraite) alors que les directions passent. Ils ont la volonté d’être considérés comme les plus compétents . L’arrivée à Sainte-Anne est un signe de réussite professionnelle pour la plupart des psychiatres. Les chefs de service ont tendance à déléguer la gestion de la qualité à leurs adjoints, praticiens hospitaliers qui deviendront peut-être leurs successeurs. Cette génération est plus perméable à la mise en œuvre du management par la qualité en raison de l’évolution du positionnement du médecin dans l’équipe hospitalière et dans ses relations avec le patient. La montée des associations d’usagers, la pression économique et réglementaire, la formation à une médecine expérimentale intégrant l’évaluation des pratiques et le développement des formations au management d’équipe contraignent les médecins à intégrer la logique de l’autoévaluation, du management par projet, de l’utilisation d’indicateur et la recherche de la satisfaction des usagers dans leur pratique et celles de leurs équipes.

Les circonstances

 

  •         Une démarche mal engagée

Une première démarche a souffert d’un manque de crédibilité, certains groupes ayant travaillé deux ans sans aboutir.

Cette perte de crédibilité est attribuable à un manque d ’efficacité, et de pragmatisme de l ’organisation (une « cellule accréditation » surdimensionnée composée de deux représentants de chaque service et du pôle qualité) ainsi qu’à l’absence de référence à un référentiel, le manuel d’accréditation n’ayant été publié qu’en février 1999.

  •         Une période de renouvellement de l’équipe de direction mise en place en 2000

Les responsabilités en matière de démarche qualité ont été redéfinis au sein de l’équipe de direction

Les enjeux

Les enjeux de la mise en œuvre d’un système qualité sont désormais classiques. Il s’agit de :

 – Garantir la sécurité et la qualité des soins et des prestations ;

 – Améliorer la satisfaction des usagers ;

 – Accroître les références de chaque service ;

 – Instaurer un (nouveau) mode de management qui prennent en compte le suivi d’indicateurs et l’évaluation permanente des pratiques pour la mise en place d’actions correctives ;

 – S ’interroger sur les pratiques, le respect des droits individuels des patients ;

 – Améliorer les coordinations entre professionnels et entre services prescripteurs et services prestataires.

L ’énoncé du problème

Compte tenu de leur culture et de leurs pratiques, les professionnels du centre hospitalier Sainte-Anne n’ont pas pour habitude de penser l’organisation comme étant structurée par des processus interdépendants. Dans ce contexte, comment développer une démarche qualité avec ses implications en termes de modifications des modes de management, de recherche de la satisfaction des usagers, de formalisation des pratiques, de réflexion continue sur les processus?

L ’état des connaissances- la complexité du management hospitalier et les particularités de la psychiatrie

Ce que l ’on sait : la complexité du management hospitalier

La spécificité de l’organisation hospitalière explique l’autonomie des services

L’hôpital, organisation de type « professionnelle » selon la typologie de Mintzberg, est une organisation dans laquelle les principaux acteurs (les médecins) n’appliquent pas des règles définies par une « technostructure » interne à l’établissement mais mettent en œuvre des connaissances acquises lors d’un long processus de formation et qu’ils sont seuls ou très peu nombreux à maîtriser au sein de l’établissement. Cette spécificité donne une autonomie et un poids particulier à ces acteurs qui échappent de ce fait aux possibilités d’évaluation de leur propre activité et aux systèmes de contrôle conçus au sein de l’établissement par la direction. 

  •  Le mécanisme de coordination s’opère à travers la standardisation des qualifications (formation initiale et références aux publications professionnelles) et la socialisation des principaux acteurs (psychiatres, neurologues, neurochirurgiens).

Au sein de l’hôpital, contrairement à une entreprise industrielle, l’activité principale, les soins, n’est pas organisée par des ingénieurs rattachés à la direction et qui conçoivent la chaîne de production en fonction des directives centrales, mais par des médecins qui répondent indépendamment de la direction aux besoins de leurs patients. Ce n’est pas la direction de l’établissement qui définit l’exercice médical mais le médecin lui-même. Le médecin définit sa pratique grâce à l’apprentissage de qualifications standardisées complétée d’une culture acquises lors de sa formation, c’est-à-dire l’apprentissage d’une déontologie médicale et d’un sens de la responsabilité individuelle par rapport aux patients (le « processus de socialisation » au sens de Mintzberg). Aussi, l’organisation (la « bureaucratie professionnelle ») repose sur l’autorité que donne à chacun des médecins sa propre compétence.

Les psychiatres, neurologues, neurochirurgiens et autres praticiens recrutés par l’établissement mais aussi les psychologues, ont une formation standardisée et ont subi des mécanismes de socialisation d’autant plus forts qu’il s’agit d’un hôpital parisien, hospitalo-universitaire et prisé des médecins.

 · Le « centre opérationnel » c’est-à-dire le service de soins, est important, la spécialisation horizontale est développée et la décentralisation est forte

La partie – clé de l’organisation est le centre opérationnel, le service de soins, où sont organisés et pratiqués les soins aux patients.

La spécialisation horizontale des postes de travail est importante : les compétences sont propres à chaque discipline et ont demandé un long processus de spécialisation (l’internat de psychiatrie, de neurochirurgie, de neurologie) permettant l’acquisition des connaissances nécessaires à l’exercice de la profession.

La décentralisation est forte tant horizontalement que verticalement. En effet, le pouvoir est disséminé aux opérateurs professionnels, les médecins et notamment les chefs de service, dont l’autonomie dans l’exercice de leur activité est très forte.

  •         La planification et le contrôle sont faibles

 Les médecins contrôlent leur propre travail. L’expertise individuelle est la norme dans la mesure où les standards de soins et les protocoles de prise en charge sont définis au plan national ou international.

Il y peu de planification et de contrôle par la hiérarchie locale. En effet, les procédés de travail sont trop complexes pour être standardisés. La planification des traitements est donc difficile et le contrôle ou l’évaluation des résultats par la supervision directe d’un supérieur hiérarchique n’est pas efficace. En revanche, le contrôle du processus de soins par les pairs est parfois organisé. C’est le sens des «staffs » ou les cas sont étudiés en équipe de façon à améliorer la justesse du diagnostic et la cohérence du programme de soins à exécuter (programmes standardisés appris à l’université et classés). Les limites des processus de classement des diagnostics et des traitements ainsi que les pathologies associées (problèmes neurologiques et psychiatriques par exemple) rendent souvent nécessaires ces «staffs » ou toutes autres formes de coordination entre professionnels.

 ·                    La coordination des professionnels est difficile : «  Le réseau des soins, qui vise à coordonner tous les intervenants à un acte médical orienté vers la thérapie, exige une coordination dont on mesure encore mal le caractère novateur pour une profession marquée singulièrement par un exercice libéral très individualiste[2] »

Cette autonomie du centre opérationnel explique la faiblesse structurelle de la direction·                   

Le sommet hiérarchique a une légitimité indirecte liée à son rôle de défense de l’institution vis à vis des tutelles et à sa capacité à gérer les importants supports logistiques.La Direction assoit son pouvoir sur son rôle vis à vis des tutelles et sur sa capacité à défendre l’institution et les intérêts des professionnels ainsi que sur sa capacité à gérer les importants supports logistiques qui servent aux professionnels.

La formalisation des procédures répond avant tout à l’application de la réglementation et l’organisation des fonctions logistiques (cuisine, transport, achats), c’est-à-dire l’organisation des activités de l’établissement qui se rapprochent le plus de la configuration mécaniste (les personnels appliquant les fonctions définis par leurs supérieurs hiérarchiques qui contrôlent leur activité par une supervision directe de leur travail). La technostructure (pôle qualité par exemple) touche rarement l’activité médicale elle-même.

 

  •         Les médecins participent aux choix principaux engageant l’institution.

Les professionnels cherchent également à contrôler les décisions administratives qui s’imposent à eux. L’administration est tenue de trouver avec les médecins des solutions consensuelles sur les questions de recrutement et sur l’évolution des activités médicales, par exemple. Un directeur administratif ne saura pas juger des compétences professionnelles d’un praticien. Les instances ou siègent les médecins sont nombreuses : Commission médicale d’établissement, commission de carrières, conseil de service, groupes de travail divers pour l’élaboration du projet d’établissement,…

 

  •         L’intervention dans les services de soins est délicate.

Les réformes nécessaires pour gagner en productivité et améliorer l ’offre de soins sont difficiles à mettre en œuvre en raison de l ’autonomie de services et de l’existence d’une double hiérarchie (pouvoir administratif, pouvoir médical)

Dès lors, il est nécessaire de nouer des alliances et de négocier : l ’organisation professionnelle impose la justification démocratique des opérations réellement structurantes

 

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