Conservation, aires protégées et écotourisme

Les dernières décennies ont été placées sous le signe des cris d’alarme: cri d’alarme environnemental, mais aussi cri d’alarme social. Du « Halte à la croissance» du Club de Rome (Meadows et al., 1972) aux rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) (GIEC, 2007), en passant par les grandes rencontres internationales de Stockholm (1972), Rio (1992), Kyoto (1997), Johannesburg (2002) et autres, la question de l’environnement, c’est -à-dire sa pérennité, son usage par l’humanité ainsi que les dégradations et les conséquences associées à cet usage, a été à l’ordre du jour planétaire. Selon ces différents rapports, nous vivrions une double crise, soit une crise environnementale et une crise de justice (Sachs, 1999). Cette double crise serait due à un accroissement des dégradations et des changements environnementaux, ainsi qu ‘à un accroissement des inégalités entre les humains.

Au cours des 50 dernières années, l ‘Homme a généré des modifications au niveau des écosystèmes de manière plus rapide et plus extensive que sur aucune autre période comparable de l’histoire de l’humanité, en grande partie pour satisfaire une demande à croissance rapide en matière de nourriture, d’eau douce, de bois de construction, de fibre, et d’énergie. Ceci a eu pour conséquence une perte substantielle de la diversité biologique sur la Terre, dont une forte proportion de manières irréversibles. (MEA, 2005 : 16)  .

Les changements environnementaux se seraient accélérés dans les dernières années: tel est le premier constat du Millenium Ecosystem Assessment (MEA, 2005). Ce rapport, produit par plus de 1300 auteurs en provenance de 95 pays, avait comme objectif d’évaluer les conséquences de l’évolution des écosystèmes sur le bien-être humain. Le rapport conclut essentiellement que l’activité humaine actuelle empêche de tenir pour acquise la capacité des écosystèmes à soutenir les générations futures (MEA, 2005). À ce constat s’ ajoute une crise de justice, dans le sens où l’écart entre les plus démunis et les plus riches s’ accentue:

L’ écart qui sépare les gens riches des gens pauvres dans les pays en voie de développement tout comme dans les pays développés se creuse lui aussi. Les 2 % des plus riches de la population adulte du monde possèdent aujourd’hui plus de la moitié de la richesse des ménages du monde alors que le 50 % des plus pauvres n’en possède qu ‘ à peine 1 %. (PNUD, 2007 : 2) .

Ces inégalités dans le partage des richesses individuelles trouveraient aussi un écho dans la redistribution des avantages liés aux serVIces écologiques provenant de l’environnement, mais également dans la redistribution des risques associés à la dégradation des écosystèmes.

[ … ] les effets néfastes de la dégradation des services d’origine écosystémique (la baisse persistante de la capacité d’un écosystème à procurer des services) sont subis de manière disproportionnée par les pauvres, et contribuent à l’aggravation d’une iniquité et de disparités croissantes entre les communautés et constitue parfois le facteur principal de la pauvreté et des conflits sociaux [ .. . ] (MEA, 2005 : 17.) .

Ce lien entre pauvreté et environnement permet d’aborder les deux crises, celle de l’environnement et celle de la justice, non comme étant séparées, mais comme étant interreliées :

The crisis of justice and the crisis of nature stand, with the received notion of development, in an inverse relationship to each other. In other words, any attempt to ease the cri sis of justice threatens to aggravate the crisis of nature, and viceversa any attempts to ease the crisis of nature threatens to aggravate the crisis of justice. (Sachs, 1999 : 28) .

Selon Sachs (1999), trouver une solution à cette double crise est au cœur même du concept de développement durable (DD), concept devenu incontournable pour aborder le développement et les tensions entre environnement, économie et social dans le développement. Nous nous y attarderons, pour ensuite porter notre attention sur la conservation de l’environnement par rapport à cette double crise qui appelle à la fois à une plus grande protection de l’environnement, notamment par les espaces protégés, mais aussi à plus de justice sociale.

L’expression « développement durable » (DD) a fait son apparition pour la première fois en 1980, dans un texte de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) intitulé Stratégie mondiale de la conservation: la conservation des ressources au service du développement durable. Ce texte de l’UICN insistait sur la prise en compte des facteurs sociaux et environnementaux dans le processus de développement économique (Vaillancourt, 2004). Ce n’est toutefois qu’en 1987 que le DD a obtenu sa consécration internationale, à la suite de la publication du rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (CMED) Notre avenir à tous, aussi connu sous le nom de Rapport Brundtland, du nom de la présidente de la commission. Dans le Rapport Brundtland, le DD est défini comme étant « [ … ] un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » (CMED, 1988: 51). Cette définition positionne le DD en relation avec les générations futures, intégrant ainsi une dimension temporelle et normative au développement, celui-ci étant généralement plutôt associé aux progrès techniques et à la croissance économique (Rist, 1996) pour la génération actuelle.

Deux concepts sont inhérents à cette notion de développement durable:
• Le concept de besoins et, plus particulièrement, des besoins essentiels des plus démunis, auxquels il convient d’accorder la plus grande priorité;
• l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir (CMED, 1988 : 51).

Ces deux points soulignés dans le Rapport Brundtland font écho aux deux crises évoquées précédemment. En effet, le DD servirait à promouvoir un développement alternatif pour contrer les lacunes du mode de développement libéral économique axé sur la simple croissance économique. C’est ce mode de développement libéral qui serait à l’origine des deux crises (Sachs, 1999). Par ailleurs, les multiples acteurs concernés et interpellés par le DD auraient des visions différentes des actions à mener pour mettre en œuvre ce mode de développement. Il n’y a donc pas de consensus sur les actions à prendre pour gérer les crises de l’environnement et de la justice. Ces divergences de point de vue et de conceptualisation de l’action et des politiques associées au DD ont créé des « approches du DD » (Gagnon, 2008). Gagnon identifie quatre approches du DD: économiste, écologiste, humaniste et territorialiste. Ces diverses approches représentent des réponses différentes sur les causes et les mesures à déployer pour gérer le dilemme soulevé par les crises environnementales et de justice. Par exemple, une approche économiste présente la solution à ce dilemme dans un appareil productif plus efficace et moins polluant et résout la crise de la justice en produisant plus de richesse à redistribuer, et ce, tout en étant moins dommageable pour l’environnement. Toutefois, sous l’angle de l’approche écologiste du DD, la crise de l’environnement se règle par la conservation de celui-ci et la crise sociale nécessite tout simplement une modification des modes de vie et de production pour calquer ceux-ci sur les processus naturels et les y inclure afin de réintroduire l’humain comme étant un élément de l’environnement. L’approche humaniste voit la crise de l’environnement comme une conséquence de la crise de la justice, car ce serait une redistribution déficiente des richesses qui crée des inégalités sociales et entraîne une surexploitation de l’environnement. Finalement, l’approche territorialiste aborde les deux crises sous l’angle de la gouvernance territoriale, de la place insuffisante des communautés et du territoire dans la prise de décision et la mise en œuvre de solutions permettant de réduire les crises environnementales et de la justice.

Table des matières

1 L’ECOTOURISME ET LES AIRES PROTEGEES : UN ENJEU DE JUSTICE ENVIRONNEMENTALE
1.1 CRISE ECOLOGIQUE, CRISE DE JUSTICE ET DEVELOPPEMENT DURABLE
1.2 P ERTINENCE SCIENTIFlQUE DE LA RECHERCHE
1.3 P ERTINENCE SOCIALE
1.4 STRUCTURE DE LA THESE
2 LES RELATIONS PARCS-COMMUNAUTES : UN VOISINAGE ASYMETRIQUE
2.1 LES AIRES PROTEGEES: DE LA MISE EN RESERVE A LA GESTION DURABLE DES RESSOURCES
2.2 LES RELATIONS ENTRE LES AIRES PROTEGEES ET LES COMMUNAUTES VOISINES
2.3 L A GOUVERNANCE DES AIRES PROTEGEES: DE LA COMMANDE AUTORITAIRE A LA PARTICIPATION DES COMMUNAUTES VOISINES
3 L’ECOTOURISME
3. 1 L E TOURISME: UNE INDUSTRIE COMPOSITE
3.2 L ‘ESPACE TOURISTIQUE
3.3 L E TOURISME COMME SECTEUR D’ACTIVITE ECONOMIQUE
3.4 L E TOURISME COMME STRATEGIE DE DEVELOPPEMENT DES TERRITOIRES PERIPHERIQUES
3.5 LA THEORIE DES AVANTAGES COMPARATIFS
3.6 LES THEORIES ECONOMIQUES DE LA DEPENDANCE
3.7 L ‘ECOTOURISME : UN CONCEPT CONTESTE QUI OFFRE DES RESULTATS MITIGES
3.8 L E CONCEPT D’ECOTOURISME : UNE DEFINITION ET PLUSIEURS INTERPRETATIONS
3.9 L ‘ ECOTOURISME AU SERVICE DU DEVELOPPEMENT
3.10 LA PARTICIPATION DANS L’ECOTOURISME

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