Contribution expérimentale à la compréhension des risques d’instabilité thermique des bétons

Contribution expérimentale à la compréhension des
risques d’instabilité thermique des bétons

Observations des instabilités thermiques

 Incendies

Ces quinze dernières années ont vu le nombre d’incendies dans les tunnels fortement augmenter. En particulier, certains incendies dans des tunnels routiers ont marqué les observateurs par leur violence et le nombre de victimes humaines engendrées : tunnels sous la Manche (1996 et 2008), du Mont Blanc (1999) et du Fréjus (2005) en France, tunnels du Storebealt (1994) au Danemark, du Tauern (1999) en Autriche ou bien encore tunnel du Gothard (2001) en Suisse (Haack 2003; Faure and Thimus 2004). L’intensification de ces drames est liée entre autres à l’augmentation du trafic routier, au transport de produits dangereux et à la conception des véhicules avec de plus en plus de matériaux hautement inflammables. A ceci peut s’ajouter le fait que la part des poids lourds dans le trafic total des principaux tunnels a fortement augmenté depuis la deuxième moitié du XXème siècle. Dans le cas du tunnel du Mont Blanc, la part relative des poids lourds dans le trafic total est passée par exemple de 8% en 1966 pour atteindre 64% en 1998 (Haack 2003). L’une des principales caractéristiques d’un incendie dans un tunnel est l’extrême sévérité de la sollicitation thermique. Ceci est dû en particulier au confinement d’une telle structure mais également (et c’est un paradoxe) à la ventilation (naturelle ou forcée) des tunnels qui peut entretenir et propager à plusieurs véhicules la combustion (Ingason 2003). Une estimation expérimentale des températures engendrées sur les parois d’un tunnel lors d’un incendie est présentée sur la Figure 1 (Richter 1994). La sévérité de la sollicitation thermique est également caractérisée d’une part par rapport au temps (relativement court) qu’il faut pour atteindre la charge thermique maximale et d’autre part par la durée totale de l’incendie (généralement longue du fait de la difficulté d’accès des secours, des températures très élevées et du manque de visibilité à cause des fumées et de la faible luminosité). En définitive, les conditions d’un incendie en tunnel entrainent un scénario thermique relativement sévère, que les différentes autorités Européennes ont tenté de représenter par l’intermédiaire de courbes de température normalisées. Quelques courbes réglementaires sont représentées sur la Figure 1. Les inspections dans les tunnels après les incendies majeurs de ces dernières années ont tous fait état de structures en béton fortement endommagées avec, à proximité des endroits les plus violemment exposés au feu, des zones de béton clairement détachées (Persy and Deloye 1986; Ulm, Acker et al. 1999; Féron, Autuori et al. 2006; Bernard, Lévy et al. 2007). Ce départ du béton durant l’incendie est provoqué par une instabilité thermique du matériau, un phénomène couramment appelé éclatement ou écaillage (suivant le forme qu’il prend) par la communauté scientifique (les Anglo-Saxons ont tendance à utiliser la seule appellation « spalling »). Quelques illustrations des zones écaillées sont données en Figure 2 et Figure 3.

Premières observations expérimentales

L’instabilité thermique des bétons n’est pas un phénomène nouveau. (Barrett 1854) observait déjà un caractère instable à haute température des bétons contenant des granulats de silex. La première véritable analyse des risques d’instabilité thermique revient à Gary (1916), rapporté dans (Khoury 2005). Celui-ci a proposé le premier une définition et une classification des types d’instabilité. Cette classification est depuis reprise par une grande majorité de la communauté scientifique. Les instabilités thermiques peuvent donc se décomposer de la sorte (du moins violent au plus violent) : – éclatement de granulat : cet éclatement est non violent, localisé en surface chauffée et ne provoque pas de dommages importants. Ce phénomène est certainement lié au caractère instable du granulat lui-même, – éclatement d’angle : forme d’éclatement également non violente, il se manifeste au niveau des angles inférieurs des retombées de poutre et dans les angles des poteaux, – éclatement de surface, couramment dénommé « écaillage » : ce type d’instabilité thermique est violent dans le sens où il s’agit d’un détachement progressif et continu de petites écailles de béton qui sont expulsées avec force du parement exposé au feu. On parle parfois d’effet « pop-corn » en raison du bruit continu qui accompagne ce type d’instabilité. Partie 1 : étude bibliographique – 17 – – éclatement explosif : il s’agit de la forme la plus violente d’instabilité thermique. Il consiste en un détachement brutal (accompagné d’un bruit d’explosion) de pièces de béton d’une longueur de 10 à 30 cm et d’épaisseur de 1 à 2 cm. Il peut avoir lieu une seule fois lors de l’exposition au feu ou bien sous forme d’une série d’explosions, Les quatre types d’instabilité peuvent se manifester simultanément ou de façon différée au cours du même incendie ou essai (Khoury and Anderberg 2000). Les principaux travaux expérimentaux des dernières décennies, et les résultats de cette thèse, sont essentiellement axés sur les deux formes les plus violentes d’instabilité thermique : éclatement explosif et écaillage. Dans la majorité des cas, ces deux formes d’instabilité thermique interviennent durant les 30 premières minutes du chauffage (fib 2007). Les années suivant la seconde guerre mondiale et les années 70 ont surtout vu les chercheurs s’intéresser à l’étude des propriétés mécaniques et thermiques des bétons à haute température. Le développement des centrales nucléaires a beaucoup contribué à l’étude des propriétés à haute température des bétons. Ces travaux ont notamment conduit à l’élaboration des premiers documents normatifs, qui aboutissent aujourd’hui à l’Eurocode 2 (CEN 2004). Parmi ces études, nous notons quelques travaux très intéressants sur les risques d’instabilité thermique, en particulier ceux de (Meyer Ottens 1972), (Zukov 1975) et (Copier 1979), tous clairement décrits dans la thèse de (Connoly 1995). Une importante étude expérimentale réalisée au Royaume Uni dans les années 50, a fait l’objet d’un rapport en 1953 (Davey and Ashton 1953). Les principales observations de ces travaux ont été reprises et analysées par Malhotra en 1984 (Malhotra 1984). Le but de ces travaux a été de mettre expérimentalement en évidence les paramètres favorisant les risques d’instabilité thermique. Nous synthétisons dans le Tableau 2 les principales observations expérimentales.

Etudes récentes

L’étude du risque d’instabilité thermique des bétons s’est approfondie depuis les années 80. Ceci est fortement lié au caractère instable des « nouveaux bétons » sous sollicitation thermique. Ainsi, de nombreux travaux ont porté sur l’étude du risque d’instabilité thermique des bétons à haute performance, des bétons autoplaçants et des bétons fibrés à ultra haute performance (K.D. Hertz 1992; Sanjayan G. and Stocks L.J. 1993; Diederichs U., Jumppanen U.-M. et al. 1995; Sullivan 2001; Phan L.T. 2002; Kodur, Wang et al. 2004). Ces études ont permis de démontrer clairement le risque important d’instabilité thermique pour ces bétons, qui ont tous en commun d’avoir une compacité (ou une résistance en compression) élevée. En France, le projet BHP2000, a permis de mettre en œuvre une investigation importante du risque d’instabilité thermique des BHP (Bétons à Hautes Performances). Cette étude a en particulier amené le CSTB à développer des nouveaux moyens expérimentaux dont nous nous sommes servis dans le cadre de cette thèse (Irex 2005). En parallèle à ce projet, le projet Européen HITECO, portant également sur des BHP a permis de compléter les observations expérimentales et a en particulier débouché sur la construction d’un logiciel de prévision des instabilités thermiques (HITECOSP) (Bianco, Bilardi et al. 2002). En Suède, une importante étude expérimentale a été menée sur le comportement à haute température des BAP, avec une attention particulière sur le risque d’instabilité thermique élevé de ces bétons. Une thèse est actuellement en cours sur le sujet des instabilités thermiques. Les principaux résultats ont déjà été publiés (Jansson R. 2006; Jansson R. and Bostrom L. 2007; Jansson R. and Bostrom L. 2007; Jansson R. and Bostrom L. 2008). Depuis 2007 et la refonte du comité RILEM HPB, un groupe de travail sur le risque d’instabilité thermique a pour objectif de faire la synthèse des résultats de différentes équipes Européennes et internationales. Le but des ces études récentes, en plus d’étendre les principales observations présentées au § 1.1.2 (partie 1) aux nouveaux bétons, est de proposer différentes théories pour Partie 1 : étude bibliographique – 19 – expliquer l’origine physique des instabilités thermiques. Le développement en parallèle d’outils numériques et de modèles théoriques complets, a permis (et continue aujourd’hui) d’alimenter les débats au sein de la communauté scientifique sur les véritables raisons de l’apparition des instabilités thermiques. C’est également dans le cadre de ces travaux qu’a été mis en évidence le rôle favorable des fibres de polypropylène. Nous reviendrons plus en détail sur ces deux points dans la suite du mémoire.

Autres observations des instabilités thermiques des bétons

Nous trouvons dans la littérature d’autres manifestations d’instabilités thermiques des bétons. Nous les présentons rapidement ci-dessous avec pour les quatre premiers cas, des instabilités thermiques involontaires (non recherchées) et dans les deux derniers cas, des instabilités thermiques provoquées (recherchées). – expulsion d’écailles de béton des pistes de bases militaires au moment du décollage d’avions de chasse (Figure 6 et (Kodres C. A. 1996; Consolazio, McVay et al. 1998)), – explosion d’éprouvettes cylindriques sous chauffage lent (quelques °C/min). Ce type d’instabilité thermique a pour particularité d’être très violent (lourde explosion) et parvient à pulvériser le cœur des éprouvettes (Figure 6 et (Phan L.T. 2002; Noumowe, Carre et al. 2006; Bohn M., Gianaria A. et al. 2008), – dans le cadre d’essais de caractérisation de béton à haute température après chauffage par micro-ondes (chauffage relativement rapide), Hertz a observé un risque d’instabilité thermique violent pour les éprouvettes non préséchées (Hertz 1983), – il existe une technique de décontamination des radionucléides (produits en bombardant de la matière avec des neutrons) des parois en béton des centrales nucléaires en déclenchant l’instabilité thermique de quelques centimètres au moyen d’un chauffage rapide par micro-ondes (Bazant and Zi 2003; Zi and Bazant 2003), – nettoyage de la surface des parois en béton en milieu industriel par passage d’une rampe de brûleurs (procédé dit de « flame cleaning »). Il est intéressant de noter que les études menées autour de cette méthode montrent que le nettoyage (et donc l’instabilité thermique) est meilleur lorsque la teneur en eau du béton est élevée (Mailvaganam, Pye et al. 1998).

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE
1- PREAMBULE : CONTEXTE GENERAL DE L’ETUDE
1.1. Observations des instabilités thermiques
1.1.1. Incendies
1.1.2. Premières observations expérimentales
1.1.3. Etudes récentes
1.1.4. Autres observations des instabilités thermiques des bétons
1.1.5. Instabilités thermiques d’autres matériaux
1.2. Préjudices liés aux instabilités thermiques des bétons
1.2.1. Stabilité de la structure
1.2.2. Diminution des propriétés isolantes des parois
1.2.3. Pertes financières (cas des tunnels)
1.3. Solutions technologiques
1.3.1. Fibres de polypropylène
1.3.2. Protection thermique
1.4. Instabilités thermiques des bétons et réglementation
1.4.1. DTU
1.4.2. Eurocode 2
1.4.3. Cas particulier des tunnels
1.4.4. Autres recommandations
2- COMPORTEMENT A HAUTE TEMPERATURE DES BETONS
2.1 Généralités sur les bétons
2.1.1 Constituants
2.1.2 Microstructure
2.1.3 L’eau dans le béton durci
2.2 Transformations physico-chimiques des bétons sous l’effet d’un chauffage
2.3 Dilatation thermique
2.4 Evolution de la porosité
2.5 Evolution des propriétés de transfert
2.6 Evolution des propriétés thermiques
2.7 Evolution des propriétés mécanique
2.7.1 Comportement en compression
2.7.2 Comportement en traction.
2.7.3 Fluage à haute température
2.7.4 Déformation thermique transitoire
3- ORIGINES PHYSIQUES DES INSTABILITES THERMIQUES
3.1 Processus thermo-hydrique
3.1.1 Transport de masse et de chaleur dans le béton sous l’effet d’un chauffage
3.1.2 Lien possible avec le risque d’instabilité thermique
3.1.3 Hypothèses de fonctionnement des fibres de polypropylène
3.2 Processus thermomécanique
3.2.1 Gradient thermique
3.2.2 Contraintes thermomécaniques
3.2.3 Lien possible avec le risque d’instabilité thermique
3.3 Limites des deux théories et approches couplées
3.3.1 Limites de l’approche thermo-hydrique
3.3.2 Limites de l’approche thermomécanique
3.3.3 Approches couplées
4- CONCLUSIONS DE L’ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE
DEUXIEME PARTIE : ETUDE EXPERIMENTALE
1- MATERIAUX TESTÉS ET PROGRAMME EXPERIMENTAL
1.1. Formulations des bétons étudiés
1.1.1. Formule de base
1.1.2. Formules déclinées
1.1.3. Récapitulatif des formulations des bétons testés
1.2. Justification du programme expérimental
1.3. Confection, conservation et état hydrique des corps d’épreuve avant essai
1.3.1. Confection des corps d’épreuve
1.3.2. Conservation et état hydrique des corps d’épreuve
2- CARACTERISATION A HAUTE TEMPERATURE DES BETONS DE L’ETUDE
2.1 Propriétés mécaniques à 28 jours
2.1.1 Résistance à la compression et module d’élasticité
2.1.2 Résistance à la traction
2.2 Porosité à l’eau
2.2.1 Matériel expérimental
2.2.2 Traitement thermique des éprouvettes
2.2.3 Résultats
2.3 Perméabilité au gaz
2.3.1 Matériel et programme expérimental
2.3.2 Traitement thermique des éprouvettes
2.3.3 Résultats
2.4 Propriétés thermiques
2.4.1 Matériel expérimental
2.4.2 Traitement thermique des éprouvettes
2.4.3 Résultats
2.5 Perte de masse transitoire
2.5.1 Matériel expérimental
2.5.2 Traitement thermique des éprouvettes
2.5.3 Résultats
2.6 Propriétés mécaniques à haute température
2.6.1 Matériel expérimental
2.6.2 Programme expérimental
2.6.3 Dilatation thermique des bétons de l’étude
2.6.4 Compression uniaxiale des bétons de l’étude
2.6.5 Déformation thermique transitoire des bétons de l’étude
2.6.6 Contribution à l’étude des mécanismes de Déformation Thermique Transitoire
2.7 Synthèse des principales observations
3- COMPORTEMENT THERMO-HYDRIQUE DES BETONS A PETITE ECHELLE
3.1 Matériel expérimental
3.1.1 Vue d’ensemble du dispositif expérimental
3.1.2 Technique de mesure des pressions de vapeur et des températures
3.1.3 Précision sur les mesures de pressions de vapeur
3.1.4 Choix des sollicitations thermiques appliquées
3.2 Programme expérimental
3.3 Résultats
3.3.1 Mesures préalables sur éprouvettes cylindriques.
3.3.2 Observations générales sur les essais PTM
3.3.3 Influence de la compacité des bétons
3.3.4 Influence de la sollicitation thermique
3.3.5 Influence de la nature des granulats
3.3.6 Influence du dosage en fibres de polypropylène
3.3.7 Influence de l’état hydrique initial
3.4 Synthèse des principales observations
4- COMPORTEMENT AU FEU ISO DES BETONS
4.1 Matériel expérimental
4.1.1 Description du dispositif expérimental
4.1.2 Instrumentation des dallettes
4.1.3 Sévérité de la sollicitation ISO
4.1.4 Caractérisation des instabilités thermiques
4.2 Programme expérimental.
4.3 Analyse paramétrique des risques d’instabilité thermique
4.3.1 Caractéristiques des instabilités thermiques.
4.3.2 Influence de la compacité des bétons
4.3.3 Influence de l’épaisseur du corps d’épreuve
4.3.4 Influence de la nature des granulats
4.3.5 Influence des fibres de polypropylèn
4.3.6 Influence de l’état hydrique
4.3.7 Influence de la sollicitation thermique
4.4 Comportement thermo-hydrique des bétons sous feu ISO
4.4.1 Observations générales
4.4.2 Relation entre pressions de vapeur et instabilité thermique des bétons.
4.4.3 Influence de la compacité
4.4.4 Influence de la nature des granulats
4.4.5 Influence des fibres de polypropylène.
4.4.6 Influence de l’état hydrique
4.4.7 Cas particulier du chauffage lent
4.5 Synthèse des principales observations
5- COMPORTEMENT SOUS FEU HYDROCARBURE MAJORE DES BETONS
5.1 Matériel expérimental
5.1.1 Four
5.1.2 Corps d’épreuve
5.1.3 Sévérité de la sollicitation HCM
5.2 Programme expérimental et positionnement des dalles
5.3 Résultats
5.3.1 Observations générales durant le chauffage
5.3.2 Observations après refroidissement
5.4 Synthèse des principales observations
TROISIEME PARTIE : DISCUSSION SUR LES MECANISMES D’INSTABILITE THERMIQUES DES BETONS ET PERSPECTIVES D’ETUDE
1.1. Pressions de vapeur et instabilité thermique
1.2. Processus thermomécanique et instabilité thermique
1.3. Etat hydrique et zone critique
1.3.1. Influence de la compacité
1.3.2. Influence de la sollicitation thermique
1.3.3. Configurations d’essai à risque d’instabilité thermique réduit ou annulé
1.4. Proposition d’une nouvelle solution technologique
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES D’ETUDE
ANNEXES
RÉFÉRENCE BILBIOGRAPHIQUES

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