Converser avec soi, au contact des autres web social et modernité réflexive

Converser avec soi, au contact des autres web social et modernité réflexive

À en croire le film The Social Network303 qui met en scène la création du géant des réseaux sociaux, Facebook serait né d’une intuition de son créateur Mark Zuckerberg, alors étudiant à Harvard, observant qu’ « à l’université, tout le monde veut savoir qui sort avec qui, et qui fait quoi. ». Mais avant même de penser à développer les sociabilités des étudiants de son université, le créateur de Facebook avait lancé une application potache, Facemash, n’ayant pas d’autre ambition que de proposer sur le réseau internet d’Harvard un classement des étudiantes basé sur un trombinoscope piraté. À partir de ce dernier, des séries de « matchs » confrontant deux portraits de jeunes filles étaient aléatoirement mises en concurrence et soumises aux votes. De cette application évoquant les sélections par le physique faites sur les sites de rencontre (publicité, matching) à ce postulat de base de Mark Zuckerberg (pour fictif qu’il soit), les origines du plus important des réseaux sociaux informatisés actuels semblent ancrées dans l’exploitation savante des curiosités et du conformisme des internautes : « tout le monde » veut savoir « quelle est la plus jolie / qui fait quoi / qui sort avec qui. », et « tout le monde » veut pouvoir en parler en donnant son avis.

Proposer aux étudiants américains (dans un premier temps) de développer en ligne leurs sociabilités amicales et amoureuses au moment même où ils travaillent à leur socialisation (quitter la sphère familiale d’origine, acquérir les compétences et les attitudes qui leur permettront de trouver un emploi, se préparer à intégrer un nouveau milieu) s’est en tout cas révélé être un pari gagnant. Tout s’est passé comme si le fait de devoir construire leur vie future engageait fortement les étudiants à employer ce réseau social pour réfléchir (sans en avoir l’air) à ce qu’ils sont et souhaitent être en l’éprouvant dans les cercles de leurs sociabilités. Il est vrai que les applications du web social, en offrant la possibilité aux internautes de produire et de partager des contenus culturels autant qu’ils en consomment, constituent de puissants outils de production identitaire. De la même façon que les sites de rencontres permettent de questionner celui que l’on est autant que celui que l’on souhaite être, les dispositifs du web social peuvent permettre à leurs utilisateurs de converser avec eux- mêmes en conversant avec les autres (voir section 3.1.1). Mais les réseaux sociaux comme les blogs ne sont pas tous mobilisés par leurs propriétaires dans une perspective de changement identitaire. Les conversations avec soi-même et les autres proposées par le web social interviennent dans un contexte beaucoup plus large que des relations de séduction ou des productions de contenus ayant explicitement pour objet un changement de vie ou un projet de réforme de soi. En effet, sur le web social, il s’agit le plus souvent de partager ses passions, ses centres d’intérêts et donc bel et bien d’affirmer celui que l’on est dans le cercle de ses contemporains. La portée de cette affirmation individualiste n’est cependant pas de nature à figer et à conforter l’endossement des rôles sociaux par les individus (par exemple dans le choix d’une carrière sur un réseau social tel que linkedin), puisqu’elle se produit et se reproduit en série, dans des sociétés appelant autant à l’autonomie qu’aux engagements collectifs. Entre retraits et engagements, affirmation de soi et réflexivité, ce que proposent finalement les technologies numériques tient dans une révision constante des pratiques par les individus eux-mêmes, placés sous le regard des autres (voir sections 3.1.2 et 3.1.3).

Ce rapport à soi ouvert, expérimental et non figé, notablement déterminé par les sociabilités susceptibles d’être nouées par les individus, conduit, en matière culturelle, au développement marqué de l’éclectisme des pratiques culturelles. En effet, les applications liées au web social, en permettant aux individus d’activer continûment leurs réseaux de liens faibles (avec des connaissances) ou forts (avec des proches), offrent des marges de manœuvre leur permettant de prendre de la distance avec ce qu’ils sont dans l’espace de leurs socialisations (voir section 3.1.4). Ainsi, en explorant les usages que font les étudiants des technologies numériques pour accéder à la culture et en partager les expériences, l’étude menée à l’Université d’Avignon sur « les pratiques cinématographiques des étudiants à l’ère du numérique » propose une première approche des façons dont peut intervenir ce recul interprétatif dans l’échange avec autrui (3.1.5 et 3.1.6).

 

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