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Analyse de trois textes relatifs à l’EP – Michel HERR Strasbourg II

Peut-on constituer une histoire de l’Éducation physique scolaire en s’appuyant sur les textes officiels qui ont réglementé sa mise en œuvre sur le terrain de la pédagogie ?I1 est une opinion a priori qui consiste à penser que les textes officiels constituent des jalons dans une histoire de l’éducation physique et qu’il est possible de trouver, dans l’étude de ces textes, les lignes directrices qu’a empruntées la discipline au cours de son histoire. Opinion qui repose sur deux erreurs. La première erreur est celle du reflet. Les textes officiels reflèteraient un moment de l’histoire de l’éducation physique, constituant ainsi le miroir de la forme contingente que prend la discipline dans une phase de son évolution. Ici, le discours tombe à la fois dans un mythe et dans une tautologie. La tautologie c’est que l’éducation physique, régie par des textes officiels, en porte nécessairement la marque. Cela va de soi. Le difficile sera cependant de dire ce que sont ces marques, et jusqu’à quel point elles affectent les pratiques pédagogiques. Or, là, le discours devient hésitant car il faudrait une analyse fine qui, justement, n’en reste pas à l’évidence massive et triviale du départ. Le mythe est celui de la correspondance, terme à terme entre un texte et une pratique pédagogique. L’éducation physique est censée refléter, au niveau du pratique, toutes les déterminations essentielles des textes officiels. Une telle conformité des pratiques pédagogiques, si elle est souhaitée par les auteurs des textes, demeure cependant plus au niveau de l’optatif que de l’envisageable. Il faudrait que les enseignants lisent les textes (ce qui n’est pas sûr) et qu’ils les appliquent strictement (ce qui n’est pas toujours possible ou souhaité) et d’autre part que ces textes soient applicables stricto sensu. Penser la chose possible c’est méconnaître à la fois les caractéristiques des textes officiels, les possibilités d’application liées au contexte, ainsi que la multiplicité des déterminants de la pratique. De plus cette pensée est réductrice car elle considère la pratique pédagogique comme la simple expression d’un texte qui la régit; or d’autres déterminants existent et jouent un rôle sans doute plus important que ce dernier. La deuxième erreur est celle de la lecture. Elle consiste à croire qu’un texte officiel a un sens précis et qu’il est, de ce fait, porteur d’un message. Or, une étude des textes officiels fait ressortir des caractéristiques qui ruinent cette idée: une volonté de synthétiser ce qui existe en évitant de prendre parti ou d’exclure, d’une façon par trop évidente, un courant quelle que soit sa nature (ce sont aussi des textes politiques). C’est cette volonté qui donne aux textes officiels leur caractère éminemment œcuménique. Ensuite, il nous faut souligner le flou de ces textes, conséquence de la première caractéristique. Contrairement à ce que l’on pourrait penser ceci ne constitue nullement un défaut des instructions officielles; mieux, ce flou constitue une de leurs qualités essentielles: c’est ce qui les rend recevables et permet à l’enseignant de conserver un espace de liberté (les instructions ministérielles de 1945 sont remarquables à cet égard); c’est ce qui les rend applicables car leur adaptation aux conditions particulières s’en trouve facilitée; c’est enfin ce qui leur permet de durer dans la mesure où ils parviennent à survivre aux évolutions parfois imprévisibles de la discipline. Mais ceci implique nécessairement une conséquence: les textes officiels ne sauraient constituer un élément déterminant de l’histoire de l’éducation physique. En fait, la lecture de ces textes doit se faire à posteriori dans l’histoire, il s’agit plus de maîtriser les facteurs qui infléchissent l’histoire de l’éducation physique que de révolutionner la discipline. Dernière caractéristique enfin: s’il est vrai qu’existe une volonté de donner la parole à tous les courants de pensées, il faut remarquer qu’en se posant en détenteur de la vérité, le discours officiel est, en définitive, le seul à parler. En conséquence, plus un texte officiel est flou, plus il est applicable et donc efficace, mais moins il pèse sur l’histoire de la discipline, les changements s’insinuant justement dans les vacuités et insuffisances des textes.

LES VOLONTÉS POLITIQUES

C’est l’aspect le plus idéologique de ces textes, celui qui marque l’intervention d’un pouvoir politique sur l’enseignement d’une discipline. En fait, ces textes sont doublement idéologiques. Ils le sont dans la mesure où ils cherchent à rationaliser leurs propos en se défendant d’être au service d’une idéologie quelle qu’elle soit. Le procédé employé pour y parvenir est de prétendre à une objectivité scientifique dans un domaine où justement l’objectivité et la science n’ont pas leur place: celui de l’éducation. Mais ils le sont dans un deuxième sens du terme: est idéologique ce qui est au service d’un pouvoir, or, derrière les textes officiels existe toujours une volonté inavouée et secrète: celle de légitimer un pouvoir qui n’est pas obligatoirement politique).L’aspect le plus idéologique réside dans la partie introductive de ces textes, véritable exposé des motifs légitimant l’intervention des Pouvoirs publics. En effet, tous les textes officiels, sans exception, et cela est remarquable, commencent par cet exercice de style qui consiste à justifier l’existence du texte et de ce fait à masquer la volonté d’un Etat d’assurer son pouvoir en intervenant sur l’enseignement d’une discipline. Dans tous les cas c’est au nom d’une urgence, sous la pression d’événements importants que sont publiés les textes officiels.

Les instructions de 1941 (publiées par le Commissariat général à l’éducation générale et aux sports, direction de l’éducation générale et sportive rattachée au Secrétariat d’état à l’Éducation nationale et à la jeunesse, éditions Archat) répondent à la défaite de la France face à l’Allemagne. Il s’agit d’œuvrer au redressement du peuple français en corrigeant les erreurs du passé. Si la France a perdu la guerre, c’est parce qu’elle n’a pas su former sa jeunesse, la préparer physiquement et moralement aux combats. Bref, la défaite et l’occupation sont là pour montrer la faillite du système antérieur: il faut donc mettre sur pied de nouvelles instructions.

Les instructions ministérielles de 1945 prétendent mettre fin aux excès de la politique du gouvernement de Vichy; il est urgent de rompre avec un passé douloureux et de créer un monde nouveau: celui de l’après-guerre. C’est bien sous le signe de la rupture que se présentent ces instructions: l’éducation physique… a subi les conséquences de l’occupation… elle est justifiable d’un aménagement »: « Elles ont pour but de mettre un terme… » Ici aussi la pression des événements est telle que l’état se trouve dans l’obligation de prendre des décisions.

Les instructions du 20 juin 1959, quant à elles, justifient leur existence au regard de l’histoire. Pour elles aussi existent urgence et nécessité:  »n’est néanmoins nécessaire de ne pas attendre la rentrée de septembre 1960″. Ce qui autorise l’intervention de l’état, c’est le caractère inadapté des textes précédents (ils ont fait leur temps) et surtout, qu’ils portent la date de leur parution, il s’agit de « négliger, ce qui, dans leur rédaction traduisait les soucis propres à une période de fin de guerre ».

Les instructions officielles de 1967 usent, pour leur part, de l’argument pédagogique (très à la mode dans cette période). C’est, en effet, au nom de problèmes pédagogiques nouveaux que l’état s’adresse aux professeurs et maîtres d’éducation physique et sportive. « L’organisation des activités physiques et sportives, en milieu scolaire et universitaire et l’insertion du sport, phénomène social et culturel, dans les programmes d’enseignement soulèvent un certain nombre de problèmes pédagogiques », argument pédagogique, en dernier ressort, mais surtout introduction des disciplines sportives à haute dose (réclamée à cor et à cri par les enseignants). Ainsi, les textes officiels, loin de créer l’histoire, suivent-ils des impulsions et s’adaptent-ils aux conditions particulières du moment. « Aussi me paraît-il indispensable », poursuit l’auteur du texte, voilà qui autorise et rend obligée l’intervention de l’Etat. Le deuxième argument est celui déjà utilisé en 1959: « Les présentes instructions constituent une mise à jour », ce qui est une façon de dire que les textes précédents sont frappés d’obsolescence, qu’ils ont fait leur œuvre et qu’il est temps de reconsidérer l’enseignement de l’éducation physique dans nos établissements scolaires. Il n’est pas douteux que des événements politiques de première importance tels la mise en place du gouvernement de Vichy, l’instauration du gouvernement provisoire de la France le 2 juin 1944 ou encore l’avènement de la Cinquième République en septembre 1958, constituent des moments privilégiés pour la rédaction de textes nouveaux. Il ne faudrait pas, pour autant, penser que ces événements ont créé une urgence telle que la publication de nouvelles instructions officielles, concernant l’éducation physique, devenait obligatoire. En fait, on peut se demander si ces événements politiques n’ont pas constitué des occasions rêvées pour un pouvoir d’intervenir. On peut, en effet, penser que cette volonté interventionniste de l’état est permanente et que les circonstances particulières constituent alors des moments de choix pour passer à l’acte.

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