JACQUES ET NICHOLAS BERNOULLI

JACQUES ET NICHOLAS BERNOULLI.

Le traité de Jacques Bernoulli publié de manière posthume en 1713 peut être considéré comme un tournant décisif dans la pensée philosophique moderne s’intéressant aux liens entre logique juridique et logique probabiliste, et cela à plus d’un titre. Déjà, il s’agit d’une œuvre incontournable de théorie de la probabilité présentée dans les trois premières parties ; mais son intérêt provient surtout de la quatrième partie où l’effort de son Auteur est consacré à montrer comment les bases de l’art de conjecturer peuvent s’appliquer à la vie civile, morale et politique. rapport à celles qui l’ont précédée, est qu’il part du principe qu’un nombre plus élevé d’observations, concernant un événement quelconque, peut augmenter aussi le degré de probabilité qu’il y a de trouver le véritable rapport entre le nombre de cas où l’événement peut arriver, et le nombre de cas où il peut ne pas arriver. En sorte qu’on puisse parvenir à un degré de probabilité qui soit au-dessus de tout degré donné : c’est-à-dire qui soit une véritable certitude. Dit autrement, on ne part plus de la théorie (a priori) pour rejoindre la certitude, mais on parcourt le chemin inverse qui, de la pratique, c’est-à-dire de l’observation empirique, arrivera jusqu’à déterminer la certitude. Deuxièmement, dans la quatrième partie qui est la plus célèbre de toute l’œuvre (et celle qui nous intéresse le plus), l’auteur accomplit une vraie révolution : les trois premières parties qui ne sont qu’un résumé de la théorie probabiliste de C. Huygens, viennent s’appliquer, avec tous ses corollaires et formules, aux affaires morales.

Quoi de neuf par rapport à la tradition logique précédente ? En simplifiant, nous pourrions expliquer la nouveauté bernoullienne en disant que si le domaine des probabilités mathématiques était auparavant resté distinct du domaine moral, maintenant les deux domaines sont inter-communicants. Certes, dans l’argument pascalien du pari ou dans la troisième partie de la Logique de Port-Royal, il y a tous les éléments pour parler d’une convergence entre probabilité et morale ; mais personne avant Bernoulli n’avait vraiment pensé à tirer profit de la mathématique pour résoudre des problèmes civils, moraux et politiques. Jusqu’à la Logique de Port-Royal, de laquelle Bernoulli est fortement débiteur, l’idée de l’applicabilité de la probabilité numérique aux affaires civiles commençait seulement à traverser l’esprit des philosophes, sans pour autant se présenter si nettement que dans la quatrième partie de l’œuvre du mathématicien. En effet, l’originalité de J. Bernoulli n’est pas d’avoir eu l’idée d’étendre le probable aux affaires de la vie civile, morale et politique, mais d’avoir construit un « théorème décisionnel » pour lequel les événement de la vie quotidienne sont pensés par analogie avec les pierres tirés au sort dans une urne. Il est vrai que les philosophies probabilistes précédentes avaient ouvert la voie à cette intuition, mais à partir de l’Ars Conjectandi de Bernoulli aucune philosophie probabiliste ne pourra la laisser de côté. En ce sens, on peut sans doute affirmer que la quatrième partie de l’Ars conjectandi est un point d’arrivée pour les anciennes conceptions probabilistes ; mais aussi un point de départ pour les conceptions modernes et contemporaines qui concevront la probabilité comme étant un concept essentiellement numérique.

Face à une telle perspective, il est légitime de se demander, comme l’a fait Ernest Coumet (1970), s’il ne s’agit pas ici d’un raisonnement logique certes nouveau, mais suggéré par un raisonnement juridique. Et nous pensons que la réponse est sans doute positive. En effet, Jacob Bernoulli, ainsi que son neveu Nicolas, sont l’expression parfaite d’une mentalité philosophique qui devient soudain expressive d’une exigence pratique, celle de vouloir construire une nouvelle théorie de la probabilité modelée sur le schéma du raisonnement juridique qui est l’exemple même de la possibilité de décider même quand on ne dispose pas épistémologie de la vérité ne possédant aucun degré de probabilité, est pour Bernoulli un concept fractionnable au sens où elle varie selon les probabilités qui la composent. A partir de là, c’est toute l’épistémologie future qui a changé dans la mesure où ces probabilités, ou degrés de certitude, ont été finalement utilisés pour atteindre non seulement la certitude mathématique, mais la certitude morale: « La certitude, considérée par rapport à nous, n’est pas la même en tout, mais varie beaucoup en plus et en moins. Ce qui par révélation, raison, sensation, expérience, αυτοψια ou autrement est tellement évident que nous ne pouvons aucunement douter de son existence présente ou future jouit d’une certitude totale et absolue. Tout le reste acquiert dans nos esprit une mesure moins parfaite, plus ou moins grande, selon que les probabilités sont plus ou moins nombreuses qui nous persuadent qu’une chose est, sera ou a été. La probabilité est en effet un degré de la certitude et en diffère comme la partie diffère du tout. Evidemment, si la certitude intégrale et absolue, que nous désignons par la lettre a ou par l’unité 1, est constituée de – supposons par exemple – cinq probabilités ou parties, dont trois militent pour qu’un événement existe ou se produise, les autres s’y opposant : nous dirons que cet événement a 3/5 a, ou 3/5 de certitude (…). Est moralement certain ce dont la probabilité égale presque la certitude intégrale, de telle sorte que le manque soit imperceptible ; au contraire est moralement impossible ce qui n’a de probabilité que ce qui manque pour être moralement certain de la certitude entière »284.

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