Cours la géographie urbaine

Cours la géographie urbaine, tutoriel & guide de travaux pratiques en pdf.

Les problématiques fonctionnelles et écologiques : un premier renouveau

Dès 1924, M. Aurousseau30 s’étonnait de ce que les études urbaines s’intéressent si peu aux fait de distribution31 et qu’elles se concentrent sur des villes individuelles. Mais pour changer de cap, il fallait mobiliser d’autres concepts dans une autre problématique. A cet égard rappelle H. Carter32, deux types de réactions sont à noter: le rejet de la perspective “site-situation” d’une part, l’intérêt pour les rapports entre croissance et société urbaine d’autre part. La première puisait dans les travaux de W. Christaller33 l’occasion du passage de l’inductif au déductif dans l’interprétation des rapports entre villes. La seconde trouvait dans les travaux de l’Ecole de Chicago34 le guide qu’il lui fallait pour explorer les structures internes de la ville. Dans un cas comme dans l’autre, un problème majeur était enfin posé: pouvait-on découvrir dans l’ensemble des relations entre villes, comme aussi dans l’utilisation du sol urbain, même si elles semblent au premier abord anarchiques et des plus incohérentes, un ordre sous-jacent? Pouvait-on retrouver, d’une manière générale, dans la cartographie de l’utilisation du sol urbain ou de la répartition des centres selon leur taille par exemple, un modèle, un type ou un ordre quelconque, d’une cité à l’autre, d’un pays à l’autre, ce qui impliquerait une similitude, de forme de croissance, de processus?
Structuralistes35 avant la lettre, certains géographes allèrent plus loin: pouvait-on représenter cette structure sous forme de modèles, prenant toujours en considération non plus seulement les termes, mais les relations entre les termes? C’est ce que tenteront de résoudre les économistes spatiaux allemands, les sociologues et les géographes américains. Ils s’y sont pris d’ailleurs assez tôt. Dès le début des années 30. Mais ce n’est que plus de quarante ans plus tard que ce type de réflexion s’est popularisée chez les géographes francophones36.

La ville, lieu central dans un système de villes

Héritier des économistes spatiaux allemands, le géographe W. Christaller fut l’un des piliers du renouveau de la pensée. A la recherche d’une explication générale de la taille, du nombre et de la distribution des villes dans un espace donné, il réussissait, dès avant la seconde guerre mondiale, à expliquer la régularité frappante de la disposition des villes et leur organisation en réseaux hiérarchisés en analysant non pas l’histoire des villes, mais en s’interrogeant sur les rapports de commerce et de services entre villes et campagnes, et sur les mécanismes assurant leur régulation. “Il débouchait ainsi sur une théorie, la Théorie des lieux centraux37 qui prouvait que le principe de l’ordre spatial n’est pas tout entier à chercher dans les influences réciproques de l’homme et du milieu. Les phénomènes économiques jouent un rôle essentiel”38. Le problème n’est plus celui de la reconstitution historique des formes spatiales et de leur différenciation: c’est celui de leur explication logique. Le modèle théorique montre en effet qu’en zone homogène, la ville la plus grande, dispensatrice des biens de tous les niveaux, se situe au centre, entourée de centres moyens, eux-mêmes entourés de centres de niveaux inférieurs, selon une hiérarchie régulière de centres et d’aires emboîtés de services, le nombre de centres de même niveau étant d’autant plus élevé que ce niveau est bas. Ce faisant, W. Christaller rendait compte des discontinuités39 et des relations de position que les pratiques sociales inscrivaient dans l’organisation de l’espace. Les activités économiques se concentrent en des nœuds40: c’est là que se réalisent les économies d’échelles41 sans lesquelles la croissance du milieu urbain serait impossible. Dans la théorie des lieux centraux, les centres de niveau élevé dominent les centres de niveau moins élevés, dans la mesure où y sont concentrées un plus grand nombre et une plus grande variété d’activités tertiaires. Les consommateurs habitant l’arrière-pays se rendent dans ces centres pour une quantité de raisons, mais la domination est à l’évidence l’une des dimensions fondamentales de la théorie classique des lieux centraux, tout comme elle est au cœur aussi de la pensée d’origine écologique.

La ville, système écologique complexe

Un deuxième type de réaction au caractère trop étroit des études consacrées aux villes a dérivé de la découverte des travaux eux-mêmes rapidement fascinés par le spectacle de l’extraordinaire croissance d’une ville qu’ils apprirent vite à considérer comme un ensemble complexe et varié de forces sociales et économiques dont le jeu se traduisait dans la ségrégation42 interne des utilisations du sol urbain.
Ils attirèrent ainsi l’attention des géographes sur la complexité des paysages intra-urbains, bien loin de la simplicité apparente de la croissance morphologique et du plan général. Attachés à l’étude du comportement humain en milieu urbain43, les fondateurs de l’écologie humaine44 à Chicago sont capables de penser la ville aussi bien de manière globale que dans le détail le plus minutieux, mais dans la perspective qui était la leur, à l’évidence socio-darwinienne. Le propos essentiel fut d’illustrer cette dimension majeure de la vie urbaine — et de tout milieu humain d’ailleurs —, à savoir la brutalité de la lutte pour l’existence45. Les concepts médiateurs furent empruntés à l’écologie végétale et animale qui semblaient parfaitement convenir à l’analyse des processus urbains dont ils observaient la manifestation et qui aboutissaient à la ségrégation de la ville en zones naturelles46, résultant de processus de domination (D), d’invasion (I) et de succession (S). En mettant l’accent sur la dynamique de transformation des communautés urbaines, les écologistes humains font ressortir une séquence D-I-S des groupes communautaires passant des zones détériorées vers des zones résidentielles plus aisées au fur et à mesure de leur intégration et de leur promotion sociale. La zone de domination47 par excellence dans la ville est son centre; on “envahit” les territoires, forçant les anciens occupants à migrer jusqu’à ce qu’ils acquièrent le contrôle de cet espace. Cette séquence serait responsable du gradient positif entre le statut socio-économique et la distance au centre. Le processus déterminant étant la compétition48, définie comme compétition pour l’espace. L’organisation économique, comme effet d’un processus compétitif, est ainsi “organisation écologique”, une sous-structure naturelle et inévitable de la société. Les jeunes associés de R.E. Park utilisèrent ces principes généraux en cherchant à préciser les concepts de manière à les rendre opérationnels. E. Burgess49 en particulier trouva dans le cas de Chicago un laboratoire social exceptionnellement riche. La compétition étant la force de régulation déterminante, la diversité des activités humaines devait se distribuer en fonction des valeurs foncières. De là le fameux modèle représentant le type-idéal d’une ville se développant suivant une série de cercles concentriques. Après ceux de Von Thunen et de Weber50, il s’agissait de l’un des tous premiers modèles de structure spatiale, le premier consacré aux structures intra-urbaines.
Cette première étude des villes à travers l’analyse des configurations spatiales de leur structure écologique51 devait susciter un immense intérêt, émulatif en même temps que critique. A la généralisation des zones concentriques, proposées par le sociologue E. Burgess dans les années 20, s’ajoutèrent celle des secteurs radiants, élaborée par l’économiste H. Hoyt en 1939, qui complète la première sans s’y opposer, car elle ne rend compte que de l’utilisation résidentielle du sol, celle des noyaux multiples52 enfin, suggérée à l’origine par R.D. Mckenzie53 puis reprise et précisée en détail par les géographes C.D. Harris et E.L. Ullman dans leur célèbre article “The Nature of the Cities” de 1945 dont le titre est significatif de la mutation de la recherche sur la ville. L’essentiel était posé.
Commentaires, vérifications et contre-propositions se sont multipliées, sans que l’on prenne garde au fait que les comparaisons étaient vaines vu qu’elles portaient sur des représentations d’aspects foncièrement différents de la réalité urbaine. C’est ce que devait démontrer l’utilisation généralisée des techniques d’analyse factorielles54 qui permettent d’expérimenter la validité de l’ancienne hypothèse de R. Hurd55, celle de l’additivité des trois types d’agencement spatiaux. L’intuition fondamentale qui a permis plus tard à B.J. Berry et ses élèves de régler le problème de fond, revient cependant aux écologistes humains E. Shevky et W. Bell56 dans leur étude de Los Angeles et San Francisco. Ils analysent la stratification sociale57 en milieu urbain et découvrent en particulier l’importance et l’originalité du phénomène ethnique dans la structure spatiale urbaine, la ségrégation58 se traduisant en fait par des modalités d’implantation des groupes ethniques qui ne se conforment ni au schéma concentrique indexé par un indice d’urbanisation59 et de structure démographique, ni au schéma axial indexé par un indice de statut socio-économique60 mais plutôt par un schéma nucléaire se superposant aux deux autres.
Ainsi naissait l’écologie factorielle61 dont le propos est de combiner différentes mesures caractéristiques de la population, des caractéristiques économiques, de bien-être et d’habitat. Obtenues pour différentes sous-zones urbanisées, les secteurs de recensement le plus habituellement, ces données pouvaient en effet se regrouper en un certain nombre réduit de combinaisons clés procurant la base adéquate à partir de laquelle on pouvait différencier une zone d’une autre et chercher à tester l’ensemble des relations unissant ces structures de l’espace social à l’espace construit62. Dans le cours des années 70 les recherches s’enrichirent rapidement de dimensions nouvelles qui allaient inscrire cette écologie factorielle dans une dynamique tenant compte du rôle et du processus de prise de décision63. Mais très vite, force a été de reconnaître que chacune des trois dimensions classiques s’est considérablement transformée64. Le statut socio-économique se complexifie par l’apparition de nouvelles polarisations, tant dans le secondaire que dans le tertiaire, liées à l’intensification de la division du travail, au changements technologiques et à la montée des professions qualifiées, à l’accroissement de la productivité dans certaines branches et à la perte d’emplois dans d’autres. Elitisation des centres et poches de pauvreté durables représentent de nouveaux domaines de recherche prioritaires. Le statut ethnique par l’intensification et la complexification des phénomène de déplacement des populations, volontaires ou subis. Quant au statut familial, il s’est différencié sur les dimensions du continuum de l’âge et à travers la progressive participation des femmes à la force de travail, la place des familles mono-parentales et la monogamie séquentielle semblant jouer un rôle croissant dans la structuration de l’espace social, porte ouverte à la reconnaissance, entre autres, du caractère gendré (sexué) de nos cités. L’image des trois modèles éclate. Comme les “identités urbaines” auxquelles on a cru pouvoir les associer65, sans grands efforts pour expliquer réellement l’existence et les transformations de ces mosaïques urbaines.

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