De la saga des ordures à l’invention des déchets

 De la saga des ordures à l’invention des déchets

LES PREMICES : TRAITEMENT ANTIQUE DES IMMONDICES

Parmi les divers usages de l’eau dans les sites urbains, l’un d’entre eux a été primordial dès le départ : l’assainissement. En effet, il était nécessaire, outre de fournir de l’eau potable, de prendre des mesures minimales de prophylaxie pour accompagner l’expansion des villes depuis l’Antiquité. L’eau pour la consommation et comme moyen d’assurer un minimum de salubrité en évacuant les immondices a été essentielle pour l’urbanisation. Le positionnement des sites urbains par rapport à l’eau était donc stratégique dans la mesure où les territoires urbains se développaient et gagnaient en importance. Depuis l’Antiquité, on chercha à évacuer les déchets en se greffant sur le parcours des eaux qui portent les immondices à travers les rivières jusqu’à la mer. Le XVIIIème siècle marque un tournant majeur lorsqu’on sépare les déchets liquides des déchets solides. S’il n’est pas possible de déterminer exactement la date ou la période à laquelle les ordures deviennent un problème pour les hommes, les restes étaient déjà brulés dans les sociétés nomades. La sédentarisation de l’homme autour de  communautés et les changements provoqués par le développement de l’agriculture ont ajouté d’autres préoccupations à propos de l’accumulation des rejets à proximité des premiers groupes humains sédentaires. Les débuts de l’agriculture ont marqué l’origine de ce qui transforme la relation de l’homme avec ses restes : élimination ou réutilisation. Du statut d’immondice fétide dont on cherche à s’éloigner, à leur utilisation comme engrais agricole, le chemin ne semble pas avoir été si long, comme nous le verrons un peu plus tard, à partir du travail de Barles (op cit.). La sédentarisation de l’homme, le développement de l’agriculture et surtout l’urbanisation ont conduit à l’organisation de l’évacuation des excretas, une activité qui a très tôt été associée à des métiers exercés par les personnes les plus vulnérables de la société. Les villes européennes médiévales utilisaient généralement à l’une de leurs portes d’entrée pour regrouper les immondices produites par leurs habitants. Celles-ci également situées près de l’emplacement des marchés à l’intérieur des cités rejetaient, à l’extérieur, les ‘rebuts’ humains, ces habitants mis à l’écart des villes pour avoir contracté des maladies ou commis des crimes. Aussi, ce qui pour certains était un reste, pour d’autres prenait une certaine valeur. Les facteurs culturels et contextuels, tels que le climat ou la position géographique, entrainent jusqu’à aujourd’hui diverses manières de considérer et de valoriser les déchets – parfois même au déni de leur existence. Avec l’émergence du nettoyage urbain en tant que catégorie d’action publique à la fin du XVIIIème siècle, les efforts de la société pour gérer les déchets solides se sont institutionnalisés. Comme nous le verrons, grâce au service universel et à la mise en œuvre de l’infrastructure nécessaire à son exécution, se multiplient les espaces organisés qui deviendront rapidement des modèles pour d’autres villes du monde. C’est le cas des capitales européennes telles que Paris et Londres qui inaugurent leurs sociétés de nettoyage urbain à cette époque. Ces espaces organisés révèlent alors les espaces non organisés – ou moins organisés – dans lesquels les activités sont structurées dans l’ombre de la formalité, parfois informelle voire criminelle.  

Rome : Une Cloaca Maxima en évolution constante

John Bourke (apud Eigenheer, op. cit) a montré que dans l’Empire Romain plusieurs divinités faisaient référence à des aspects eschatologiques : Stercutius4 , Crépitus5 et Cloacina, déesse des canaux de drainage, des latrines et des égouts. La ville de Rome a été fondée au VIIIème siècle av. J.-C., sur la colline du Palatin dominant un terrain marécageux de la plaine du Tibre, où convergent les eaux des sept autres collines qui entourent la ville. Des villages fortifiés ont été très tôt érigés sur chacune de ces collines créant un système de protection et délimitant ce qui deviendrait l’urbis. C’est à travers la construction de ces fortifications que la formation et la caractérisation initiale de la ville de Rome s’est opérée, elle restera une référence de l’Antiquité à la Modernité ayant en particulier mis au point un système original d’évacuation des immondices. Pendant cette première période romaine, l’opposition fondamentale se situait entre les patriciens et les plébéiens, l’exploitation massive des esclaves n’était pas la règle. Les premiers contrôlaient les institutions, et les seconds, formaient le monde des petits paysans, artisans et commerçants. Ce premier cycle de développement, entre les VIIIème et VIème siècles av. J.-C., a trouvé dans le site original de la ville, les conditions géographiques nécessaires à son développement : une protection, une abondance en eau et une position privilégiée à 20 kilomètres de l’embouchure du Tibre, au milieu de la péninsule italienne et de la Méditerranée.

Moyen-Âge : Les immondices aux portes

Les réalisations sanitaires et prophylactiques de l’urbis romaine, bien qu’extraordinaires d’un point de vue architectural et stratégique, étaient très restreintes, limitées à quelques points dans l’espace impérial. Elles reflétaient d’une certaine manière la centralité qu’exerçait Rome sur les territoires conquis. La culture de la propreté et de l’assainissement introduits par la cité dans plusieurs territoires européens a été perdue avec le déclin de l’Empire et les invasions barbares. Alors que, d’une part, ces innovations romaines ont résolu des problèmes et permis l’avancement de la capitale et d’autres villes avant leur déclin, d’autre part, elles n’ont pas pu éviter la diffusion de fléaux et d’épidémies dans différents endroits de l’Europe, ce qui a fini par contribuer à l’effondrement du propre Empire romain. Les Vème au XIème siècles ont été marqués par un fort déclin démographique. La population européenne a connu son niveau le plus bas à la fin de l’Antiquité, autour de l’année 542 avec l’arrivée de la peste de Justinien, dernière grande peste avant la Peste Noire, au XIVème siècle. La population européenne, qui aurait atteint 60 millions au sommet de l’Empire, se retrouvait à 25 millions, son niveau le plus bas, à la fin de l’Antiquité, niveau qui ne serait rétablit qu’à partir du Xème siècle après J. -C. L’éclatement de l’Empire met fin à la centralité imposée par Rome. Le modèle de ville diffusé jusqu’alors, selon lequel les villes, ne seraient que des centres politiques, administratifs et religieux, s’écroule. Le déclin de Rome provoque une vague d’insécurité et un manque d’administration des villes dans presque tout l’Empire, qui les ruine ou les détruit (invasions). Dans ce contexte, la prophylaxie et le souci de la propreté ont reculé avec la même intensité que la population urbaine. L’émergence des villes au Moyen-Âge est due au développement du commerce et de l’artisanat. La croissance des activités agricoles a permis d’accroître le revenu des villes, en particulier des nobles et des ecclésiastiques. Ainsi, plusieurs pôles de fabrication textile ont commencé à se développer en Europe, PIRES NEGRAO Marcelo| Thèse de doctorat | Décembre 2017 – 53 – augmentant le niveau du commerce et élargissant les routes commerciales entre les différents pôles. C’est surtout le cas dans les régions Flandre (De Bruges à Lille), de la moitié Nord de l’Italie (de Milan à Venise, en passant par Pise) ou de la Champagne, où par exemple le Compte a fait des efforts et organisé des foires pour attirer les marchands qui traversaient plus à l’Est, soit par Lorraine, soit par le Rhin. Les défis du nettoyage pour la construction ou de la reconstruction des villes médiévales étaient propres aux problèmes de chaque site : l’élimination des résidus d’animaux et des carcasses, le pavage et l’élimination de l’eau stagnante, la réglementation des activités des cochers, l’utilisation des eaux pluviales et le déversement de la saleté dans les rues – y compris des excréments humains. Il n’est pas exagéré de dire aussi qu’à cette époque, une activité semblable au ramassage des ordures avait déjà été entreprise en vue de la récupération et de la réutilisation des restes pour l’agriculture et l’élevage. Alors que toutes les activités principales de la Lorraine ont lieu entre Metz, Verdun et Toul, les Ducs de Lorraine nomment un simple bastion installé sur une route fréquentée du silo de la Moselle, Nanciaco. Le Duc Gerard Premier (ou Gerard d’Alsace) devait établir une fortification carolingienne qui serait le point de repère de la fondation de la ville et plus tard du centre administratif du duché de Lorraine. Le site original où il installe ce premier village entre les X ème et XIème siècles, abrite aujourd’hui le centre historique de Nancy, et se trouve sur une route reliant Metz à Saint-Nicolas, ou plus globalement, Metz à l’une des vallées du massif Vosgien. C’était une voie commerciale secondaire. Le site choisi pour l’implantation du nouveau village avait véritablement les « pieds dans l’eau », un lieu marécageux qui, peu de temps après la construction de la fortification de Gérard d’Alsace, est entouré d’une douve alimentée par le lac Saint-Jean. C’est le premier grand travail d’assainissement et de prophylaxie de l’histoire de Nancy, qui, comme d’autres ouvrages à l’époque, était avant tout un travail de défense. Nancy a rapidement profité de sa position. Proche des eaux de la Meurthe et de la Moselle et des collines qui PIRES NEGRAO Marcelo| Thèse de doctorat | Décembre 2017 – 54 – entourent la vallée, la cité faisait partie d’un réseau de villages lorrains dirigé par le pouvoir ducal qui avait différentes bases et fortifications dans la région pour défendre le territoire, pour permettre le mouvement des personnes et des biens. Au début du XIVème siècle, la population n’était que d’environ 1 000 habitants. À cette époque, commencent les travaux d’expansion qui précédent le changement de la capitale ducale vers Nancy, après la bataille qui met fin aux prétentions de Charles le Téméraire de créer un vaste État Bourguignon entre le Saint Empire et le Royaume de France. Nancy devient la capitale ducale à partir de 1477. La superficie de Nancy double encore sous le règne du Duc Raoul, au XIVème siècle. La Porte de la Craffe est construite à partir de 1336 comme porte d’entrée et de sortie de l’accès nord de la cité. Dans le vieux patois lorrain Craffia signifierait « ordure » ou « saleté ». On peut donc penser que, par cette porte, étaient éliminées les immondices des habitations mais surtout des marchés qui avaient lieu sur la place ouverte, jetées dans la douve à laquelle elle donnait l’accès.

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