Définition de la politique familiale

Définition de la politique familiale

Selon Damon (2007), tous les pays présentent un cadre juridique pour réguler la vie privée et améliorer la vie des ménages. Toutefois, parce que la frontière entre ces politiques concernant la famille et les autres aspects de l’action publique ne sont pas claires, Martin (1999, p.25 ; 2011, p.46) argue qu’il est difficile de donner une définition formelle de la politique familiale. En effet, certains pays intègrent leurs mesures concernant la famille dans le champ des politiques de l’enfance, de la jeunesse, de l’égalité hommes-femmes, etc. En outre, comme le souligne Thévenon (2008, p.3) les objectifs des politiques familiales varient d’un pays à l’autre entre « le relèvement de la fécondité, l’aide à la conciliation entre travail et vie familiale […] ou encore la promotion d’un partage équilibré des tâches familiales entre hommes et femmes ». Enfin, Commaille et al. (2002, p.13) montrent que la légitimité de l’État d’intervenir dans le domaine familial varie également selon le pays : alors que certains (ex. : la France, l’Allemagne et l’Autriche) considèrent que la famille qu’institution doit être soutenue par l’État, d’autres (le Royaume-Uni et l’Irlande) interviennent uniquement pour aider les familles vulnérables. Sans parvenir à donner une définition qui exclurait tout autre type d’action publique, Fagnani propose d’inclure la politique familiale : (47) « Par politique familiale, on peut entendre toutes les mesures inscrites dans un cadre législatif, prises par les pouvoirs publics (à quelque niveau que ce soit, national, régional ou local) et affectant – directement ou indirectement – le mode de vie, le niveau de vie et, de façon plus générale, le « bien-être » des familles ».Dans cet esprit, j’admettrai dans cette thèse que la notion de politique familiale désigne un ensemble de mesures dont l’objectif est de modifier les paramètres quantitatifs et/ou qualitatifs de la famille. Puisque mon propos n’est pas de comparer les politiques familiales de plusieurs pays, mais de décrire les mesures qui affectent la structure de la famille dans un pays en particulier (la Russie), cette définition, bien qu’imparfaite, sera suffisante. Tout comme il est difficile de définir la politique familiale par rapport aux autres actions publiques, il est également ardu de donner une description unique des mesures introduites au titre d’une politique familiale. En ce qui concerne l’Europe de l’Est, Lefèvre (2005, p.7) souligne que « on ne peut pas non plus parler de politique familiale unique et homogène d’un pays de l’Est à l’autre. De grandes différences, liées notamment au degré d’industrialisation, au facteur religieux et aux conceptions culturelles du rôle de la famille et de la mère ont persisté ». Par exemple, en 1991, certains pays faisaient varier le montant d’allocation selon le rang de naissance (Bulgarie, Pologne), tandis que d’autres pays ne le faisait pas varier (RDA, Tchécoslovaquie, Hongrie) (Klinger 1991, p.517). Cette hétérogénéité des mesures peut s’expliquer par le fait que, selon Damon (2006), la politique familiale se fonde généralement sur la tentative de répondre à deux problématiques coexistantes : la problématique sociale et la problématique démographique. La problématique sociale vise à la correction des inégalités sociales entre les familles, alors que la problématique démographique vise à augmenter la population par la mise en place de mesures incitatives destinées à influencer les comportements des couples à l’égard de la procréation. Chaque politique familiale se place dans un espace dont les extrêmes sont définis par ces deux problématiques. La problématique sociale désigne les inégalités au sein d’une population. Dans le cadre de la famille, ces inégalités peuvent être deux types : 1) les inégalités entre les familles de même catégorie sociale compte tenu du nombre d’enfants présents au foyer, et 2) les inégalités entre les familles de catégories sociales différentes. Dans le premier cas, les mesures visent à compenser les charges liées à la présence des enfants, tandis que dans le deuxième cas, elles visent à aider les familles socialement moins favorisées (De Luca Barrusse 2010, p.264 citant Damon 2006). Une politique familiale répond donc à la problématique sociale lorsqu’elle vise à corriger l’un et/ou l’autre de ces types d’inégalités. 

Politique familiale en Union soviétique

Rabjaïeva (2004) et Noskova (2013) établissent trois phases de la politique familiale en Union soviétique : le modèle « post-révolutionnaire » qui apporte une vision progressiste de la famille, le modèle « stalinien » marqué par un retour à une vision pré-révolutionnaire de la famille, et le modèle « social-soviétique » qui promeut l’égalité entre hommes et femmes.À partir de 1917, l’État cherche à former une famille nouvelle, porteuse des valeurs du communisme, se distinguant de celle présente sous le régime impérial, où l’homme est responsable des revenus et la femme du foyer. Aleksandra Kollontaï, femme politique, idéologue communiste et militante, promeut ce nouveau modèle familial en termes suivants : 101 Partie 1 | L’évolution de la politique familiale : d’une politique sociale à une politique traditionaliste (50) « Une famille traditionnelle ne sera plus nécessaire. L’État n’en a plus besoin parce que la gestion du ménage ne profite plus à l’État, il distrait les travailleurs de leur travail productif sans nécessité. Les membres de la famille n’en ont pas besoin parce que la société assume l’une de ses tâches : élever des enfants. À la place de l’ancienne famille, une nouvelle forme de communication entre un homme et une femme va se développer : une union camarade et cordiale de membres libres et autonomes, égaux dans la société communiste ». « Традиционная семья перестанет быть нужной. Она не нужна государству потому что домашнее хозяйство уже не выгодно государству, оно без нужды отвлекает работников от производительного труда. Она не нужна самим членам семьи потому что другую задачу семьи – воспитание детей берет на себя общество. На месте прежней семьи вырастет новая форма обшения между мужчиной и женщиной – товарещиский и сердечный союз двух свободных и самостоятельно-зарабатывающих, равноправных членов коммунистического общества ». Source : Kollontaï (1918, p.12). Le gouvernement privilégie dans sa politique familiale un modèle formé à partir de deux conjoints qui travaillent. Pour cela, l’État prend en charge l’éducation des enfants par le développement d’infrastructures préscolaire et extrascolaire (jardins d’enfants, cercles et centres aérés, maisons de culture pour les enfants, etc.) et met en place des institutions soutenant la conciliation de la vie professionnelle et de la maternité (la mise en place d’un département de la santé maternelle et infantile en 1917, la création d’un comité de protection de la maternité en 1918, et l’introduction d’un comité de protection de l’enfance en 1919) (Lebina et al. 2007, p.30)29 . L’égalité entre les sexes est au centre de ce modèle familial : les hommes et les femmes reçoivent les mêmes droits (Décret n°160, 1917), l’État légalise l’avortement (Postanovlenie n°471, 1920)30 et le divorce (Décret sur la dissolution du mariage 1917)31, supprime la distinction entre enfants légitimes et illégitimes, ce qui aboutit de fait à la reconnaissance des unions libres (Lebina et al. 2007, p.33 citant le « Code familial », 1926). Ainsi, selon YvertJalu (1981, p.45) « le nouveau régime socialiste propose d’assurer à la femme une véritable et complète émancipation, d’une part en lui garantissant une égalité juridique avec l’homme, d’autre part, en transformant l’économie domestique privée en industrie sociale, et en faisant de l’éducation une affaire publique » (51).Par ailleurs, le nouveau gouvernement cherche à se libérer complètement de l’influence de l’Église. L’institution du mariage devient laïque : le nouveau « Code familiale », élaboré en 1918, proclame le principe de l’absolue séparation de l’Église et de l’État (« Code familiale », art. 52) et ne reconnaît plus le mariage religieux qui doit être désormais enregistré dans des actes d’état civil (ZAGS) (Büttner 2005, p.43). 104 Chapitre 4 | Une politique sociale : réduction des inégalités et soutien aux plus pauvres Dans les années 1926-1953, l’État remet au centre de sa politique familiale un modèle de la famille fondé sur un couple marié avec des enfants (Chouïkina 2002, p.113). Ce tournant dans la politique familiale s’accompagne par une crainte de la dépopulation (Blum 1994, p.72) et se traduit par l’interdiction de l’avortement et de l’homosexualité en 1936 (Décret n°65, 1936) et le durcissement de la procédure de divorce en 1944 (52). Seul un mariage enregistré à l’État civil et indiqué dans le passeport est juridiquement valide et donne : 1) aux époux le droit d’hériter des biens du conjoint, et 2) aux hommes le droit d’établir leur paternité (Chpakovskaïa 2012, p.315). (52) « Le tribunal peut dissoudre le mariage uniquement dans le cas où la demande est provoquée par des motifs sérieux et justifiés et où le maintien du mariage serait susceptible de porter atteinte aux principes de la morale communiste et ne saurait assurer des conditions pour la vie commune et pour l’éducation des enfants […]. Les jugements doivent contribuer à la juste compréhension du sens et de l’importance de la famille et du mariage dans l’État soviétique et éduquer la population dans le respect envers la famille et le mariage basés sur les principes élevés de la morale communiste que protège la loi soviétique ». Büttner (2005, p. 46 citant le journal Pravda du 3 octobre 1949). Selon Noskova (2013, p.156), cette transformation de la politique familiale n’est pas uniquement en lien avec des changements politiques, mais est surtout due aux problèmes démographiques après les pertes humaines de la seconde guerre mondiale. Pour compenser ces pertes, l’État incite les familles à s’agrandir et valorise les mères ayant au moins cinq enfants par la remise de décorations officielles32 (ex. : médaille « Gloire maternelle », Ordre « Mère-héroïque », entre autres) (voir Malinkine 2004). Cette valorisation des familles nombreuses se traduit par l’apparition de mesures qui ont pour effet de réduire les inégalités entre les familles ayant plus ou moins d’enfants. Parmi ces mesures, l’État introduit de nouvelles allocations à partir 1948 (Arrêté n°41, 1947) : 1) une prime de naissance de 200 roubles à partir du troisième enfant, 2) une prime de naissance de 650 roubles et une 32 Dans ce cadre, le gouvernement définit la maternité comme un « destin naturel » et un « devoir national » (Lebina et al. 2007, p.30 citant Tcherniaïeva 2002, p.134). 105 Partie 1 | L’évolution de la politique familiale : d’une politique sociale à une politique traditionaliste allocation mensuelle de 40 roubles à partir du quatrième enfant, 3) une prime de naissance de 850 roubles et une allocation mensuelle de 60 roubles à partir du cinquième enfant. Par ailleurs, un impôt pour les célibataires, concubins et mariés sans enfant est mis en place en 1941. En 1944, la liste des personnes devant payer cet impôt est élargie aux familles ayant moins de trois enfants. L’impôt représente 6% du salaire pour les individus sans enfants, 1 % pour les parents d’un enfant unique, et 0,5 % pour les parents de deux enfants (Grigoreva et al. 2014, p.25). La dernière période est restée dans les esprits par sa politique familiale des années 1980 lorsque l’État introduit de nouvelles mesures qui sont propres au modèle socialdémocrate (Rabjaïeva, 2004, p.94, Gourko 2008, p.205) : 1) le développement du congé parental (le congé parental rémunéré passe de 56 jours en 1955 à 70 jours en 1980, un congé parental partiellement rémunéré devient possible jusqu’aux 1,5 ans de l’enfant, et un congé parental non rémunéré mais permettant de conserver ses fonctions jusqu’aux 3 ans de l’enfant est mis en place), et 2) la mise en place d’allocations accordées à chaque naissance (50 roubles pour le premier enfant, 100 roubles pour les deuxième et troisième enfants) (Elizarov, 2011, p.78 citant Décret n°235, 1981). L’égalité entre hommes et femmes, propre à ce modèle, est également mise en avant par un retour au droit à l’avortement (en 1955), et une simplification de la procédure de divorce (1965). Le principe d’égalité des sexes redevient central dans la politique familiale soviétique puisque la « Constitution » garantit que « les deux conjoints sont complètement égaux dans les relations familiales » (« Constitution » 1977, article 53). Ce principe d’égalité se manifeste par des mesures qui permettent aux femmes de concilier maternité et travail (53), parmi lesquelles le développement d’infrastructures préscolaires (jardins d’enfants, centres pour enfants, etc.). Selon Noskova (2013, p.157), entre 1932 et 1990, le nombre d’établissements préscolaires pour enfants augmente de 60 000 (le nombre d’établissement passe de 27 500 en 1932 à 87 900 en 1990) et le nombre d’enfants fréquentant ces établissements augmente de 7 500 fois (de 1 200 en 1932 à 9 009 500 mille en 1990). 

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